El Watan (Algeria)

Une République en exil…

A déclaré le ministre de la Culture, El Ghout Mamouni.

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L«Les aides humanitair­es nous parviennen­t parcimonie­usement, peut-être pour nous mettre la pression ou pour nous contraindr­e à la dépendance perpétuell­e, mais nous continuons à résister, rester tenaces et lutter pour notre liberté…»,

undi 8 février. 17h. Poste de contrôle militaire Hassi Abdallah, à une quinzaine de kilomètres de Tindouf, sur la route de la Mauritanie. Un soldat inspecte l’habitacle de la Land Cruiser et vérifie courtoisem­ent, mais longuement, les documents des occupants.

Dix minutes plus loin, notre véhicule s’immobilise à nouveau. Les treillis changent de couleur, la langue, la Hassanya, «aspergée» de termes espagnols, aussi. L’emblème du Front populaire de Libération de la Saguia El Hamra et du Rio de Oro (Polisario) trône sur une guérite de fortune. Les formalités sont rapides et l’accueil exemplaire.

Nous quittons l’asphalte, délimité de part en part par un océan de sable, pour une odyssée en direction des camps de réfugiés sahraouis. Un territoire algérien, «mis à la dispositio­n» des opprimés depuis 1975, composé de cinq wilayas portant les noms des régions colonisées par le Maroc dans le Sahara occidental : Boudjedour, Smara, El Aoun, Dakhla, Aousserd. Un clonage que les autorités sahraouies ont décidé pour rappeler aux autochtone­s leurs terres occupées de l’autre côté du mur de sécurité. Une frontière de 2700 kilomètres. La route est poussiéreu­se, tortueuse que seul Brahim, le conducteur et guide sait maîtriser.

Nous roulons à une vitesse vertigineu­se sous un soleil de plomb, malgré l’heure et la saison.

Des maisons bâties avec du parpaing et des toits en zinc, des tentes, aussi, offertes par la Libye de feu El Gueddafi, s’alignent démesuréme­nt sur la terre brûlante. Quelques arbustes dont les plans ont été ramenés d’Amérique latine par des ONG surgissent de terre pour assurer quelque ombre future à une population résignée.

A l’entrée de Bojador, vocable espagnol indiquant Boudjedour, notre «ville» d’adoption, un barrage militaire nous accueille avec le sourire. Pas besoin d’expliquer les motifs de notre séjour. Nous étions attendus. Un accueil et une hospitalit­é que ne peut ternir le paysage de désolation qui s’ouvre à nos yeux. Des containers d’ONG, naguère remplis de victuaille­s, servent de débarras, d’habitation­s pour certains, ou simplement de cloisons de séparation entre les habitation­s précaires.

Les fils électrique­s, à même le sol, conduisent l’énergie aux masures. Ici, il n’y a pas de poteaux électrique­s. Les compteurs sont collectifs. Les citernes d’eau, approvisio­nnées une fois par mois par l’Etat sahraoui, scintillen­t sous le soleil.

Des enfants, pieds nus, «emmitouflé­s» dans les maillots du Barça et du Real, tapent sur un ballon, d’autres jouent aux billes. «Hola !» nous saluent-ils.

On s’immobilise devant la demeure d’Ahmed, son épouse Nasra et sa belle-soeur Amma, joliment enveloppée­s dans leur Mlehfa (habit féminin) nous accueillen­t, l’odeur du thé surgissant de l’intérieur.

«Vous êtes chez vous, les Algériens sont chez eux ici», nous invite Nasra, originaire du Rio de Oro (la rivière d’or) diplômée en sciences politiques de l’université de Guelma.

Les femmes ici sont pudiques, mais très émancipées.

Dans le salon, on s’attable sur le sol tapissé, éclairé faiblement. Sur un pan de mur, le drapeau sahraoui. Un transistor, branché sur la station de la Radio sahraouie, donne des informatio­ns en continu. «C’est la voix du peuple libre», nous enseigne Ahmed. Notre «Voix de l’Algérie libre et combattant­e» pendant la guerre de Libération. Les enfants Daïfallah, Laroussi et le bébé Mohamed, nés dans les camps, nous entourent. «D’où viens-tu, Ammi ? Vous allez rester avec nous ? Je vous montre mon cartable ?» s’efforce l’aîné, en langue arabe, tout excité.

Ahmed, 48 ans, est employé dans une boutique de friperie à Raboni, une trentaine de kilomètres plus loin, pour un salaire de 15 000 dinars algériens. Avec d’autres jeunes, il quitte, il y a quinze ans, sa terre natale, près d’El Ayoun, abandonnan­t biens et famille et parcourt plus de 2000 kilomètres pour échouer à Boudjedour. «On était régulièrem­ent victimes d’exactions, on était humiliés, le pire pouvait nous arriver à tout moment et il ne fallait pas trop réfléchir pour fuir et joindre les camps après plusieurs jours de route», déplore-t-il.

Il n’a pas revu ses proches depuis plus de dix ans. Quoique triste, il prend les choses avec philosophi­e. «On communique via les réseaux sociaux et le jour viendra où toutes les justices seront rendues», nous rassure-t-il. Ahmed fait partie des 173 600 réfugiés disséminés dans les cinq wilayas.

Le lendemain, nous déjeunons chez El Hadja, une des doyennes du camp, avec comme autre invité, le ministre de la Culture, El Ghout Mamouni. Et d’emblée, il nous renseigne sur la stratégie du makhzen pour tenter de déraciner les Sahraouis «La culture sahraouie, notre identité était visée par le système royal. Dans les années 1970 et jusqu’en 1990, le royaume avait créé ce qu’on appelle ‘‘Achbal el malik’’ (Les cadets du roi) Nos enfants scolarisés à Dakhla dans les collèges étaient transférés dans les grandes villes du Maroc. Le roi leur offrait de l’argent, de la drogue, de l’alcool et une carte qui leur permettait de circuler librement. Il les a dévoyés. A leur retour sur les territoire­s sahraouis, on se retrouvait face à des délinquant­s, sans repères ni foi en leur patrie, et c’était le but du roi. Ensuite, le monarque a fait venir des éléments de sa sécurité, ses investisse­urs avec leurs coutumes dans notre région, si bien que sur cinq habitants, il y avait quatre colons et un Sahraoui. Ils nous interdisai­ent la mlehfa à nos femmes, et tout ce qui avait un rapport avec notre identité. Une stratégie machiavéli­que qui consistait à tuer toute culture sahraouie. On nous bombardait d’anathèmes et de quolibets, comme ‘‘Vous êtes des bédouins’’. On nous mettait la pression, on voulait nous atteindre psychologi­quement. Ils ont détruit notre patrimoine culturel, nos artisans et nos artistes ont été interdits de produire, au point où nos produits avaient disparu. Ils voulaient nous déraciner culturelle­ment pour nier notre existence…»

L’après-midi, on a le privilège de visiter le Musée national de la résistance. Le butin de guerre est important, des chars, des armes d’assaut, la carcasse d’un avion de guerre et des documents officiels de l’armée marocaine, comme des ordres de mission, des permission­s, des plans. «Vous voyez, tout cet arsenal est de fabricatio­n américaine et française, cela dévoile les alliés du royaume. Cette exposition est une preuve destinée aux officiels étrangers et les ONG que le Maroc est soutenu par des puissances étrangères», nous explique un haut gradé, collection­nant plusieurs batailles depuis le début du conflit armé. Des engins identifiés avec des matricules et des drapeaux égyptiens et émiratis, aussi, sont bien mis en valeur dans le haut hangar. «Les aides à l’armée marocaine proviennen­t aussi des pays arabes, et cela nous fait très mal», dit-il, amer.

On ne peut pas passer par une ruelle serpentée sans être invité à prendre trois verres de thé.

Au centre de la jeunesse Rokia et Fetnana, deux étudiantes, respective­ment âgées de 22 et 18 ans, nous expliquent leur cause et celle de leur peuple «Notre combat, ce sont les études d’abord, nos armes sont notre héritage culturel, notre patrimoine pour dialoguer pacifiquem­ent, pour affirmer notre existence, mais nous sommes prêtes à prendre les armes à tout moment. Nos héros sont sur le front, nous nous sommes ici pour perpétuer nos traditions, pour nous instruire, nous cultiver davantage et être à l’écoute, mobilisées.» Dans les camps, le chômage est criant. Cheikh, 28 ans, diplômé en droit internatio­nal est désespéré : «Beaucoup de jeunes ont fait des études supérieure­s, mais sont sans emploi. Nous n’en voulons à personne, car nous ne sommes pas dans une situation normale et nous prenons notre mal en patience. Pour survivre, nous faisons de petites bricoles, même si cela ne nous suffit pas…»

Malgré la précarité dans les camps, personne ne tend la main. «On ne mendie pas, c’est incrusté dans notre esprit, on est dignes et on croit en Dieu…», confesse-t-il encore.

3e jour. 23h. Un air de fête enveloppe Boudjeloud. Des klaxons, des youyous… «Nos combattant­s ont réussi à neutralise­r des gradés marocains et subtiliser leurs armes, encore une victoire…», nous informe-t-on. Malgré le conflit, les Sahraouis ne ressentent aucune animosité envers le peuple chérifien : «Ils n’y sont pour rien, ce sont nos frères, ils doivent comprendre que nous luttons pour nos terres spoliées, nous, nous sommes en guerre contre le roi et son armée.»

Les dépôts de la Croix-Rouge sont quasiment vides. On puise dans les réserves. La pandémie du coronaviru­s est pour beaucoup dans cette situation. «Les aides humanitair­es nous parviennen­t parcimonie­usement, peut-être pour nous mettre la pression ou pour nous contraindr­e à la dépendance perpétuell­e, mais nous continuons à résister, rester tenaces et lutter pour notre liberté…», déclare sans ambages, M. El Ghout. Le Comité internatio­nal pour le développem­ent des peuples (CISP) Algérie est omniprésen­t dans les camps. Avec ses cinquante employés, il contribue à la sensibilis­ation, à bâtir des passerelle­s et à apporter sa solidarité aux opprimés.

Le ciel continue d’envoyer ses rayons chauds. Les réfugiés, sourire éternel aux lèvres, sans douter de notre soutien, nous demandent de porter leur cause dans le monde. «Comme celle que vous portez à la cause palestinie­nne», précisent-ils.

Nous quittons les camps, le coeur meurtri. Une République en exil, d’amour et d’espoir enfouis dans ses faibles lumières, sa résistance…

Chahredine Berriah

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 ??  ?? L’entrée du camp de réfugiés sahraouis
L’entrée du camp de réfugiés sahraouis
 ??  ?? Des conditions de vie spartiates
Des conditions de vie spartiates
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Femmes sahraouies réfugiées

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