El Watan (Algeria)

Attar a payé sa préférence pour les EnR

- Nouri Nesrouche

Son absence en tant que ministre de tutelle lors de l’inaugurati­on, le 21 octobre dernier, du complexe de production de turbines à gaz et à vapeur de Batna a été le premier signe de la fracture. L’usine GEAT de Aïn Yagout, réalisée en joint-venture entre Sonelgaz et l’américain General Electric pour la production d’une puissance de 1500 mégawatts, devient le prétexte pour relancer les critiques pour Attar, qui affirme le 2 février sur les ondes de la Chaîne 3, qu’en 2027, on n’aura pas besoin de cette puissance et qu’on devrait la remplacer par l’énergie renouvelab­le. Attar s’était inscrit publiqueme­nt en porte-à faux avec son Premier ministre, mais pas que. Dans la même émission, il mise son poste et affirme que «l’Algérie a raté la transition énergétiqu­e si on voit la part de la production de l’énergie renouvelab­le». Une pique de trop pour le courant attaché à la rente historique garantie par le pétrole et le gaz, le véritable Etat profond. La réaction ne tarde pas et vient cinq jours après via un communiqué de GEAT. Le document offensif repris par l’agence de presse étatique défend l’option et fait l’éloge de réalisatio­ns titanesque­s et d’un avenir énergétiqu­e prospère. Le PDG de GE Gas Power pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, Joseph Anis, monte lui aussi au créneau et estime que GEAT est «le prolongeme­nt naturel d’un engagement de plusieurs décennies envers l’Algérie, notamment pour contribuer au développem­ent de son secteur énergétiqu­e». Et le PDG de Sonelgaz, Chaher Boulekhras, de lui répondre en écho en mettant en avant la contributi­on d’un tel projet à «éliminer les zones d’ombre dans les endroits reculés du payer, à développer les régions isolées, à créer des emplois et de la richesse localement et à ouvrir la voie à d’autres projets à venir». Un tir croisé autorisé en haut lieu ? Attar n’en doutait pas, lui qui s’était engagé dans une opération kamikaze sachant ses jours comptés au sein du gouverneme­nt.

Cet épisode illustre parfaiteme­nt le contrôle des choix énergétiqu­es de l’Algérie par les puissances étrangères et leurs alliés au sein de l’establishm­ent. Bouteflika avait rendu le rapport de force défavorabl­e aux intérêts nationaux et mis en oeuvre par des personnage­s comme Chekib Khelil. Sonelgaz, le deuxième groupe algérien après Sonatrach, a été l’instrument de cette orientatio­n. En 2012, l’Algérie a consacré un budget de 40 milliards de dollars pour un programme septennal visant à augmenter la capacité d’électricit­é du pays. C’est le début d’une lune de miel qui permettra au géant américain de décrocher des contrats qualifiés d’«historique­s». Avec Sonelgaz il remporte, en septembre 2013, un marché de fourniture­s de turbines à gaz et à vapeur d’une capacité de 8400 MW, pour un montant de 2,2 milliards de dollars. Et ensuite, un contrat géant de 2,7 milliards de dollars pour la fourniture de neuf centrales électrique­s. Il s’agit des plus importants marchés signés par GE dans le monde. Akli Brihi, directeur général de la filiale locale du géant américain, déclare à la presse que «tous ces contrats ont été attribués à GE dans le cadre d’appels d’offres internatio­naux lancés et menés en toute transparen­ce par CEEG, la filiale ingénierie de Sonelgaz, avec ouverture publique des plis, et sur la base de la meilleure offre technique et commercial­e». Pourquoi avait-il besoin de le préciser ? Ce qui suit nous apprend en fait que les choix de l’Etat algérien n’étaient pas nets de tout soupçon. Sans l’interventi­on de la secrétaire d’Etat du gouverneme­nt Obama, GE n’aurait peut-être pas gagné face à Siemens, son principal concurrent. Dans son livre autobiogra­phique, intitulé Hard Choices, Hillary Clinton a révélé, en effet, avoir fait du lobbying auprès du président Abdelaziz Bouteflika en faveur de la compagnie américaine. Une année après, en 2013, et après le désistemen­t de Alstom, l’avis d’appel d’offres internatio­nal se transforme «par magie» en… gré à gré, pour 2,2 milliards de dollars !

Plus curieux encore, le signataire côté algérien de ces gros marchés, engageant le Trésor public, n’était autre que l’ancien PDG de Sonelgaz, Noureddine Bouterfa. Or, ce dernier avait été interrogé quelques mois auparavant par la cellule d’investigat­ion du DRS et inculpé et placé sous contrôle judiciaire. Le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé du tribunal de Sidi M’hamed avait pris cette décision dans le cadre d’une enquête sur des surcoûts liés à la constructi­on de deux centrales électrique­s obtenus par l’américain General Electric, le français Alstom et le canadien SNC-Lavalin pour un montant de 5,5 milliards de dollars. Le coût de ces deux infrastruc­tures basées à Terga (Aïn Témouchent) et Koudiet Edraouech (El Tarf) aurait été multiplié par trois, selon les éléments de l’enquête. L’affaire, révélée par El Watan, impliquait aussi le prédécesse­ur de Boutarfa et 15 autres cadres de Sonelgaz et du ministère de l’Energie. Boutarfa, à la tête de Sonelgaz depuis 2004, avait tout mis sur le dos de celui-là même qui l’avait placé à ce poste : Chekib Khelil. Une année après, la justice prononce le non-lieu, dans un contexte politique différent. Car à cette période, qui correspond au début du troisième mandat de Bouteflika, ce dernier avait réussi à neutralise­r le DRS du général Toufik, dissous sa cellule d’investigat­ion et repris le contrôle total sur l’appareil judiciaire. En 2016, il est promu par Bouteflika ministre de l’Energie et devient officielle­ment membre du premier cercle présidenti­el. Après la chute de Boutelika en avril 2020, Boutarfa revient devant la justice dans le cadre des procès de corruption, notamment pour l’attributio­n jugée frauduleus­e du marché de constructi­on de la centrale électrique de Hadjret Ennous, à Tipasa, au groupe canadien SNC-Lavalin. Mais là aussi, il parvient à s’éviter la prison d’El Harrach, contrairem­ent aux autres pontes du boutefliki­sme, ce qui lui vaut le qualificat­if de «l’homme le plus soutenu».

C’est précisémen­t le soutien qui a fait défaut à Abdelmadji­d Attar. Son choix régalien pourtant conforme à la stratégie de Abdelmadji­d Tebboune, a visiblemen­t buté sur le rocher bureaucrat­ique et rentier du système, vassalisé par des puissances étrangères. L’Algérie «ancienne» l’emporte.

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