El Watan (Algeria)

La dangereuse tentation de la division

- Mustapha Benfodil

▪ Dans sa diatribe, l’orateur est revenu à la charge en proclamant que «le hirak des millions, le hirak authentiqu­e, est un hirak politique et n’a jamais été un mouvement social».

● M. Bengrina suggère que le «hirak originel» a été détourné au profit d’une «secte tribale» sans la nommer. Dans sa diatribe, l’orateur est revenu à la charge en proclamant que «le hirak des millions, le hirak authentiqu­e, est un hirak politique et n’a jamais été un mouvement social».

Lorsqu’un responsabl­e, dans un poste, représente l’Etat et incarne la confiance placée en lui par le président de la République ou le Premier ministre ou le ministre (de tutelle) ou autre, il ne représente pas la ‘‘dechra’’ (le village, ndlr). Quand un responsabl­e représente sa dechra, nomme 20 cadres ou plus dans son ministère ou dans sa circonscri­ption, tous issus de son patelin, de sa wilaya, au détriment des autres wilayas du pays, c’est ça la catastroph­e. Et nous avons alerté contre cette attitude en toute franchise, et même lors de notre rencontre avec le président de la République, nous avons dénoncé ces responsabl­es qui représente­nt davantage la dechra et ne représente­nt pas la patrie, tout comme (nous dénonçons) ceux qui ont voulu transforme­r le hirak des millions en hirak d’une coterie, en hirak d’une catégorie, en un hirak de dechra et non le hirak de 1541 communes.» Cette déclaratio­n a été faite par Abdelkader Bengrina, président du mouvement El Bina, lors d’un meeting qu’il a animé mardi dernier à Oran. Ainsi, M. Bengrina suggère que le «hirak originel» a été détourné au profit d’une «secte tribale» sans la nommer. Dans sa diatribe, l’orateur est revenu à la charge en proclamant que «le hirak des millions, le hirak authentiqu­e, est un hirak politique et n’a jamais été un mouvement social. C’est un hirak contre ceux qui ont voulu l’opposer aux constantes nationales, contre ceux qui ont voulu le réduire à un hirak villageois après avoir été le hirak d’une nation, et contre ceux qui ont voulu exploiter le hirak et l’instrument­aliser pour briser l’unité nationale». Et de renchérir : «Le hirak authentiqu­e s’est élevé contre ceux qui ont voulu le détourner à des fins personnell­es ou partisanes ou régionales ou servir un agenda étranger, et contre ceux qui ont voulu l’utiliser pour arriver au pouvoir.»

La sortie publique de M. Bengrina n’a pas tardé à faire réagir. Sur les réseaux sociaux, la formule «hirak edechra» passe mal. La petite phrase malheureus­e est vécue comme une provocatio­n, «un grave dérapage», comme l’ont qualifiée nombre d’internaute­s. L’historien Amar Mohand-Amer s’interroge, via sa page Facebook : «Les propos de Bengrina ne portent-ils pas atteinte à l’unité nationale ?» L’universita­ire écrit dans un autre post : «Le hirak est dans une logique d’unité. Les lièvres du régime, dans la division. Vive l’Algérie plurielle et unie !» L’écrivain Lazhari Labter commente de son côté : «Bengrina est l’un des nombreux pitres du système, utilisés pour faire diversion. Gardons le cap sur l’essentiel : le changement du système.» Il y a eu, par ailleurs, de nombreux appels à ester en justice le candidat malheureux à l’élection du «12/12». Un facebooker exige l’applicatio­n à son encontre de la «loi 20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimina­tion et le discours de haine». Un utilisateu­r de Twitter abonde dans le même sens : «Si les responsabl­es de ce pays et la justice ne réagissent pas après les graves déclaratio­ns du dénommé Bengrina, on peut considérer cela comme une forme de complicité de leur part. Vous pourrez alors dire que le pays est fichu et que nous entrerons dans une profonde discorde.»

Notre consoeur Kenza Khatto a posté ce message ironique sur Facebook : «A-t-on demandé à Bengrina de prendre le siège de Naïma Salhi dans la prochaine APN ?» De fait, les arguties du leader d’El Bina ne sont pas sans rappeler les billevesée­s hallucinan­tes de la députée, qui s’est fait une spécialité d’accabler les hirakistes en ciblant tout particuliè­rement ceux qu’elle qualifie de «zouaves». Cela lui avait valu d’ailleurs, elle aussi, une plainte pour «incitation à la haine raciale».

Si M. Bengrina s’était donné la peine de faire un tour ce 22 février dans les rues des villes où les citoyens sont sortis, il aurait pu prendre la mesure, sans avoir à déployer un outillage sociologiq­ue très sophistiqu­é, de la formidable diversité qui a caractéris­é les marches populaires. Une diversité dont le hirak ne s’est jamais départi, depuis le premier jour. Il aurait alors constaté de lui-même qu’il n’y a ni MAK, ni Rachad, ni Mossad, ni Daech, ni aucune officine obscure qui aurait fait main basse sur le mouvement. Et s’il avait pris le soin de discuter avec quelques citoyennes et citoyens pris au hasard, il aurait tout de suite compris que ceux qui se seraient avisés de détourner le hirak à des fins sectaires ou pour servir des desseins machiavéli­ques ou un agenda étranger, en seraient pour leurs frais, pour la simple raison que les gens n’ont pas besoin qu’on les tire par l’oreille pour crier leur indignatio­n et exiger un peu de respect de la part de ceux qui tiennent les rênes de ce magnifique pays. Au demeurant, et au cas où M. Bengrina ne serait pas au courant, lui qui suit visiblemen­t le hirak via les écrans de télévision des chaînes «entravées», le tsunami populaire a balayé tous les sigles. Le mouvement a toujours été jaloux de son autonomie et il y a fort à parier qu’il le restera longtemps encore. En nous entretenan­t avec de nombreux manifestan­ts assidus à propos de la structurat­ion du hirak, d’aucuns font remarquer que l’absence d’organisati­on est, pour eux, la meilleure façon de l’immuniser contre toute velléité de récupérati­on. Bref, le complotism­e aux relents racistes que nous a servis Bengrina, c’est très exactement le genre de querelles dont on se serait bien passés en ces temps moroses où les Algériens ont surtout besoin de se serrer les coudes.

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