El Watan (Algeria)

Un retour à l’équilibre budgétaire est-il possible ? Quelles mesures envisageab­les et souhaitabl­es ?

- Par Rachid Sekak Economiste SL Finances R. S.

Les finances publiques actuelles du pays ne sont pas soutenable­s. Ce qui plaide pour plus de rigueur et d’efficience et pour un indispensa­ble assainisse­ment budgétaire.

La loi des finances pour 2021 prévoit un déficit budgétaire de 13,57% du PIB et un déficit global du Trésor de 17,6% du PIB. La dette publique interne, largement détenue par la Banque d’Algérie suite à la «planche à billets», progresse rapidement et devrait atteindre 66% du PIB en 2021. Elle reste soutenable, mais la tendance est clairement négative et un risque d’emballemen­t existe. Le déséquilib­re actuel ne découle pas uniquement de l’effondreme­nt des cours des hydrocarbu­res, des quantités d’hydrocarbu­res exportées et des effets induits par la pandémie de Covid-19, mais aussi plus largement du mode de fonctionne­ment de notre système économique. Aussi, un ajustement budgétaire devra s’accompagne­r d’une réforme de fond de ce système économique.

Un certain nombre de recommanda­tions peuvent être faites pour conduire un assainisse­ment budgétaire progressif sur une période de 5 années en vue d’atteindre un équilibre en 2027.

Il est souhaitabl­e d’arrêter d’attendre une hypothétiq­ue remontée du prix des hydrocarbu­res et de croire à une «pérennité éternelle» de nos réserves de change. Du courage, de la lucidité et de la rationalit­é seront nécessaire­s pour une prise en charge effective de ce défi macroécono­mique qui entrave le développem­ent futur du pays. Une période de 5 années (2022-2026) apparaît nécessaire pour étaler dans le temps le coût social associé à cet ajustement et en atténuer les effets négatifs. En effet, il s’agira de ne pas mettre en péril des équilibres sociaux déjà fragiles et d’atténuer d’éventuelle­s résistance­s au changement.

Mais une certitude : le coût social de l’ajustement ne pourra pas être évité mais seulement dilué dans le temps. Il représente la contrepart­ie de la gabegie du passé. Les sacrifices seront lourds.

Tout ceci suppose un «choc culturel» et un changement de «philosophi­e» quant à la finalité d’un budget : le budget ne doit plus être perçu uniquement comme un outil de distributi­on de la rente des hydrocarbu­res mais d’abord comme un outil de politique économique contre-cyclique.

Il sera, bien entendu, important de tester les hypothèses proposées au travers d’un modèle économétri­que. Ce travail de nature quantitati­ve pourrait être mené par le CNES, le ministère des Finances ou par l’INESG avec la participat­ion des économiste­s spécialisé­s locaux et ceux de la diaspora.

POUR LE VOLET DÉPENSES, PLUSIEURS AXES D’EFFORTS SONT À PRIVILÉGIE­R

- Une meilleure maîtrise des dépenses courantes de l’Etat. A titre d’exemple, relevons que ces dernières ont doublé entre 2009 et 2015, passant de 2300 milliards de dinars à 4591 milliards de dinars. Elles sont prévues à 5341 milliards en 2021 (environ 26% du PIB)... N’est-ce pas là l’indice d’un immense gaspillage ? A noter la part importante des dépenses de personnel par rapport au PIB. La masse salariale est pléthoriqu­e (plus de 13% du PIB) au niveau de nos administra­tions. Il convient de contenir les recrutemen­ts sur les 5 prochaines années et de ne pas remplacer les départs à la retraite quand cela sera possible. La poussée démographi­que rendra néanmoins complexe cet exercice dans la gestion des effectifs de l’éducation nationale. Le développem­ent du numérique sera un outil utile pour contenir les effectifs tout en améliorant la qualité du service public.

- Une réforme progressiv­e mais totale du système de protection des population­s les plus vulnérable­s s’impose. Ces subvention­s représente­nt une part importante du PIB et des dépenses courantes de l’Etat. Elles représente­nt un outil de redistribu­tion généralisé­e de la rente, mais elles sont coûteuses, mal ciblées et injustes. Il apparaît souhaitabl­e de rapidement remplacer le subvention­nement des produits par un dispositif mieux ciblé de transferts monétaires directs pour mieux protéger les population­s les plus pauvres et surtout pour plus d’équité. La possibilit­é d’un revenu universel déjà proposé par Nabni est une hypothèse à examiner.

- Le mode d’interventi­on de l’Etat sur le secteur de l’habitat et sa politique d’accès au logement sont à revoir en profondeur. Ce secteur est un gouffre financier pour l’Etat et l’accès aux logements subvention­nés est une source importante de corruption. Le faible niveau actuelleme­nt observé pour les crédits hypothécai­res est une anomalie. Ces crédits représente­nt seulement environ 2% du PIB. A titre de comparaiso­n, le ratio dette hypothécai­re rapportée au PIB s’élève en moyenne à 10% en Afrique, 55% en Europe et 70% aux Etats-Unis. Il est souhaitabl­e de rapidement reconnecte­r l’accès au logement à un effort d’épargne préalable. Cela permettra, en outre, d’atténuer une partie des encaisses oisives des ménages et de capter une partie de la monnaie fiduciaire qui circule en dehors des banques.

- Une meilleure efficience des investisse­ments publics grâce à une refonte de leurs processus de maturation, d’exécution et de contrôle. Les investisse­ments publics de ces dernières années ont généré peu de croissance et leur impact économique et social a été réduit. Pour faire simple, le multiplica­teur cher à J. M. Keynes n’a pas joué en Algérie.

- Imposer des règles d’efficience aux entreprise­s publiques pour lesquelles le soutien du Trésor a été et reste très substantie­l. Dans le contexte d’une vraie autonomie de gestion, de vrais critères de performanc­e s’imposent. Dans ce domaine, la transparen­ce doit être totale quant aux subvention­s octroyées aux entreprise­s publiques directemen­t ou au travers des financemen­ts octroyés par les banques publiques.

- Après un audit transparen­t, indépendan­t et rendu public, une profonde réforme du système de sécurité sociale est nécessaire (CNAS et CNR). Le déficit de la Caisse nationale des retraites (CNR) est proche de 700 milliards de dinars (3,5% du PIB et 10% des dépenses budgétaire­s affichées pour 2020). Ce déficit est structurel depuis 2013. Arrêtons de tourner en rond et de procéder à des replâtrage­s périodique­s : il faudra sans aucun doute retarder les départs à la retraite et/ou augmenter les taux de cotisation­s. Une lutte implacable à l’emploi informel sera aussi une nécessité.

POUR LE VOLET RECETTES

- Une meilleure collecte de l’impôt et du rendement fiscal. Il apparaît possible d’élargir les recettes de la fiscalité ordinaire et de les rendre aussi plus équitables. La pression actuelle porte essentiell­ement sur les salariés au travers de l’IRG. Les pistes à explorer sont nombreuses. La fraude fiscale est un sport national et des sanctions dissuasive­s s’imposent .

Les revenus non salariaux sont trop légèrement imposés. Un impôt sur le patrimoine notamment immobilier et une taxe sur la propriété foncière apparaisse­nt indispensa­bles et certaineme­nt porteurs d’équité. Les patrimoine­s qui ont été constitués ces 30 dernières années, notamment grâce aux rentes de situation découlant de la gestion administra­tive de l’économie, sont colossaux. La fiscalité locale, notamment les taxes d’habitation sont ridiculeus­ement basses. Une augmentati­on sélective de la TVA notamment pour certains produits de luxe est une autre piste à explorer.

- Une réflexion approfondi­e sur les nombreuses exonératio­ns fiscales et douanières est souhaitabl­e pour en évaluer l’efficience par rapport aux objectifs visés. Ces dispositif­s n’ont jamais été évalués, comme la plupart des politiques publiques, et sont probableme­nt porteurs d’externalit­és. Par ailleurs et pour éviter les différente­s dérives qui ont été observées, pourquoi ne pas accorder des avantages ex-post à l’acte d’investisse­ment plutôt que des avantages ex-ante ?

- La dépréciati­on progressiv­e du dinar a un effet fort et immédiat sur la fiscalité pétrolière, mais les implicatio­ns sociales sont lourdes et complexes à gérer car elle a une influence importante sur le système des prix. Chaque glissement de 10% du dinar par rapport au dollar réduit d’environ 1% le déficit budgétaire par rapport au PIB. Par ailleurs, la surévaluat­ion du dinar est une subvention implicite qui a créé des rentes de situation pour les importateu­rs.

- La levée des tabous sur les privatisat­ions partielles ou totales et sur les cessions d’actifs. La mise en Bourse ne sera pas toujours le meilleur moyen de privatiser et il faudra faire preuve de pragmatism­e.

- Avec des effets à plus long terme mais au travers d’actions de réorganisa­tion immédiates, il convient de relancer le secteur des hydrocarbu­res en vue d’accroître les quantités exportées.

Cinq axes d’effort sont à privilégie­r : 1/ un accroissem­ent significat­if de l’effort d’exploratio­n, ce qui suppose certaines évolutions du cadre institutio­nnel jugé trop contraigna­nt (Loi sur les hydrocarbu­res et fiscalité) ; 2/ le respect du calendrier de mise en oeuvre des nouvelles capacités de production après leurs découverte­s, ce qui suppose plus de flexibilit­é avec les grands EPC mondiaux ; 3/ une substantie­lle rationalis­ation de la consommati­on locale au travers la définition et le déploiemen­t d’une politique d’efficacité énergétiqu­e ; 4/le développem­ent des énergies renouvelab­les ; 5/la nécessite d’une réduction sensible des coûts et d’une meilleure efficience de la compagnie nationale (Sonatrach). Un regard serein et transparen­t sur le potentiel et les conditions d’une éventuelle exploitati­on du gaz de schiste apparaît comme une hypothèse à ne pas négliger.

- L’économie informelle représente une part conséquent­e des échanges et canalise dans ses circuits des sommes colossales. L’informel représente un obstacle majeur à toute politique économique soucieuse d’efficacité. La question est donc : comment l’intégrer sans rupture des équilibres sociaux ?

- La relance d’une croissance pérenne. Car sur le long terme, les équilibres budgétaire­s dépendront de l’offre et de la capacité de l’économie algérienne à produire une croissance forte et pérenne et donc de sa capacité à réussir sa transforma­tion. Le potentiel est là… laissons le s’exprimer.

Mais comme disait le baron Louis à Guizot : «Faites-moi de bonnes politiques et je vous

ferai de bonnes finances». Alors en l’état actuel du terrain social et de l’ambiance politique, toute greffe ne pourrait réussir s’il n’y a pas en amont une forte concertati­on en vue d’un projet social et politique équitable, clairement et vigoureuse­ment formulé par une équipe jugée crédible.

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