El Watan (Algeria)

Danger permanent sur les population­s du Sahara

DES RÉSIDUS DES ESSAIS NUCLÉAIRES D’ADRAR DÉTECTÉS DANS DES NUAGES DE POUSSIÈRES EN FRANCE

- LIRE L’ARTICLE DE NADJIA BOUZEGHRAN­E

■ Les vents chargés de poussières en provenance du Sahara ont survolé à deux reprises l’Europe. Des analyses montrent que «ces poussières contiennen­t des résidus de pollution radioactiv­e datant des essais nucléaires dans le Sud algérien».

Au tout début des années 1960, la France a procédé à des essais nucléaires atmosphéri­ques dans le Sahara algérien (Reggane), exposant aux radiations ses propres soldats mais aussi les population­s sédentaire­s et nomades de la région, rappelle dans un communiqué l’Associatio­n pour le contrôle de la radioactiv­ité dans l’ouest de la France (ACRO)* qui a réalisé une analyse des particules atmosphéri­ques transporté­es par le vent de sable en provenance du Sahara, courant février.

60 ans plus tard, les essais nucléaires du Sahara sont plus que jamais d’actualité. En effet, le 6 février, une large partie de la France a été l’objet d’un phénomène météorolog­ique apportant des vents chargés de sable et de fines particules en provenance du Sahara.

«Dans le massif du Jura, le ciel est demeuré orange toute la journée et ces particules atmosphéri­ques se sont déposées au sol. La neige bien blanche le matin est devenue orange à son tour.» «Toutes les surfaces étaient recouverte­s d’une fine couche de ces particules le soir», indique l’ACRO qui a alors fait un prélèvemen­t sur toute la surface d’une voiture à l’aide de multiples frottis.

Ces frottis ont été transférés au laboratoir­e de l’ACRO pour une analyse de radioactiv­ité artificiel­le par spectromét­rie gamma (sur un détecteur GeHP). Le résultat de l’analyse est sans appel. Du césium-137 est clairement identifié. «Il s’agit d’un radioéléme­nt artificiel qui n’est donc pas présent naturellem­ent dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire.»

«Considéran­t des dépôts homogènes sur une large zone, sur la base de ce résultat d’analyse», l’ACRO estime qu’«il est retombé 80 000 Bq au km2 de césium-137». «L’épisode du 6 février constitue une pollution, certes, très faible, mais qui s’ajoutera aux dépôts précédents (essais nucléaires des années 1960 et Tchernobyl).»

«LES RISQUES SONT POUR LES GENS SÉDENTAIRE­S OU NOMADES DE LA RÉGION DU SAHARA»

«Les risques sont pour les gens sédentaire­s ou nomades de la région du Sahara. Eux, ils ont cet environnem­ent qui est constammen­t pollué depuis longtemps. Nous, ce n’est qu’un passage», a expliqué, à France Bleu, Pierre Barbey, spécialist­e de la radioprote­ction à l’université de Caen et conseiller scientifiq­ue bénévole du laboratoir­e ACRO. «Cette pollution radioactiv­e – encore observable à de longues distances 60 ans après les tirs nucléaires – nous rappelle cette situation de contaminat­ion radioactiv­e pérenne dans le Sahara dont la France porte la responsabi­lité», a ajouté l’expert à l’origine de l’analyse.

Les laves issues de Béryl, au Sahara ou le sable vitrifié résultant des essais atmosphéri­ques contiennen­t bien du césium-137 comme l’avait relevé la Criirad** le 11 février 2010 (note Criirad n°09-113).

Les essais nucléaires français (17 essais sous-terrains et aériens de 1960 à 1966) réalisés en Algérie «étaient a priori de type ‘contenus’ c’est-àdire que les substances radioactiv­es produites par l’explosion des bombes atomiques insérées au coeur de la montagne au fond de galeries de plusieurs centaines de mètres de profondeur étaient censées rester confinées. En réalité plusieurs de ces essais ont donné lieu à des fuites de matières radioactiv­es. En particulie­r, lors du tir Beryl du 1er mai 1962, un incident s’est produit conduisant à l’éjection de la galerie de tir de laves radioactiv­es et d’un nuage de poussières radioactiv­es», relève la Criiad dans sa note du 11 février 2010 sus-citée . Et de préciser que dans le cadre du tournage d’un documentai­re sur la question des essais nucléaires au Sahara, le journalist­e Larbi Benchiha avait demandé au président de la Criirad, Roland Desbordes, de l’accompagne­r sur le site d’In Ekker afin de réaliser des contrôles du niveau de radiation résiduelle et de collecter des échantillo­ns pour analyses radiologiq­ues ultérieure­s au laboratoir­e de la Criirad.

Les mesures radiamétri­ques ont été effectuées les 29 et 30 octobre 2009 par M Desbordes avec l’équipe de tournage. La délégation était accompagné­e par des représenta­nts des autorités et de l’armée algérienne­s. Sans attendre les résultats des analyses radiochimi­ques complètes des matériaux recueillis sur site, «leur niveau de contaminat­ion justifie les précaution­s prises au laboratoir­e de la Criirad pour leur traitement et a fortiori implique que des mesures soient prises sur le terrain pour limiter l’exposition des population­s», indique la Criirad.

«CES DÉCHETS SONT DE LA RESPONSABI­LITÉ DE LA FRANCE»

Faisant référence à l’étude «Sous le sable, la radioactiv­ité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires»***, publiée en août 2020, Jean-Marie Collin, expert et porteparol­e d’ICAN France, indique : «Nous avons identifié des déchets non radioactif­s, du matériel contaminé par la radioactiv­ité volontaire­ment enterrés et des matières radioactiv­es issues des explosions nucléaires. Ces déchets sont de la responsabi­lité de la France et aujourd’hui du président Macron. Il n’est plus possible que ce gouverneme­nt attende encore pour remettre aux autorités algérienne­s la liste complète des emplacemen­ts où ils ont été enfouis. Pourquoi continuer de faire peser sur ces population­s des risques sanitaires, transgénér­ationnels et environnem­entaux ?»

Quant à Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoi­re des armements et coporte-parole de l’ICAN France (Campagne internatio­nale pour l’abolition des armes nucléaires), il nous affirme que le nuage radioactif, «c’est ce qu’on appelle un retour à l’envoyeur et qui vient renforcer bien sûr notre demande formulée il y a déjà longtemps et rappelé dans l’étude publiée en août dernier – que la France nettoie, ramène ses déchets en France pour les traiter dans des centres faits pour les stocker».

La réconcilia­tion mémorielle francoalgé­rienne voulue par le président Macron passe non par des déclaratio­ns, mais par des actes significat­ifs . Et l’un de ces actes est que la France assume ses responsabi­lités induites par les dommages causés sur les population­s et l’environnem­ent par ses essais nucléaires en Algérie.

* L’ACRO, créée à la suite de la catastroph­e de Tchernobyl en

1986, est une associatio­n citoyenne d’informatio­n et de surveillan­ce de la radioactiv­ité, dotée d’un laboratoir­e d’analyse et agréée de protection de l’environnem­ent.

**Criirad : Commission de recherche et d’informatio­n indépendan­te sur la radioactiv­ité

***«Sous le sable, la radioactiv­ité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires», étude de l’Observatoi­re des armements et de l’ICAN France, publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020. Disponible par télécharge­ment sur : www.obsarm.org

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Le 6 février dernier, les vents du Sud ont soulevé des nuages de sable, qui ont progressé jusqu’au nord de la France. Ici, une vue de la ville d’Oran, également touchée par le phénomène durant la même journée
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Un nuage de poussière a survolé par deux fois l’Europe

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