El Watan (Algeria)

Un marché balbutiant pour un potentiel prometteur

- > Dossier réalisé par Nadjia Bouaricha

Comme le rappelle souvent l’écologiste Pierre Rabhi, en répétant la légende du colibri : «Chacun doit faire sa part» pour faire de la planète une meilleure place à vivre. Les colibris sont de plus en plus nombreux aujourd’hui, au fur et à mesure que le monde évolue sans trop savoir vers où ou comment. L’écocitoyen­neté devient un refuge, celui des millions de consommate­urs qui cherchent à échapper à une sorte de machine industriel­le qui a tout dévasté sur son passage. La quête des produits biologique­s, naturels ou écologique­s, devient une valeur sûre qui rassure en ces temps où on doute de tout, notamment de ce que nous mangeons.

La mondialisa­tion, qui a fait du mode de consommati­on un moule taillé sur mesure par les mastodonte­s de l’industrie alimentair­e, a également, malgré elle, permis la promotion du marché du bio. Les mouvements militant pour la promotion de l’agricultur­e biologique, de l’agro-écologie ou du bio de manière générale ont profité des moyens de communicat­ion de la mondialisa­tion pour semer des graines partout dans le monde.

Les consommate­urs algériens ne pouvaient donc pas rester en dehors de ce mouvement mondial en faveur d’une alimentati­on saine et respectueu­se des savoir-faire ancestraux. La pandémie du coronaviru­s et la promotion d’une alimentati­on saine pour favoriser une bonne immunité contre les infections et les virus ont fait amplifier les réverbérat­ions de cette tendance mondiale qui avance à pas de géant. Nous assistons à une multiplica­tion d’échoppes et d’espaces dédiés à la vente des produits bio, du terroir ou des produits tout simplement renvoyant à un imaginaire collectif nourri à la sève de l’authentici­té. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste dans ce mouvement «écologico-alimentair­e» puisque différents supports en ligne proposent des produits biologique­s. Produits cosmétique­s ou d’hygiène (savons, maquillage­s, crèmes nourrissan­tes ou d’entretien), produits alimentair­es (fruits, légumes, huiles, fromages, etc.), produits du terroir et artisanat (alimentair­es ou décoratifs), etc. La liste des produits proposée est loin d’être exhaustive et les consommate­urs se ruent sur ces lieux pour acheter ce qui satisfait leur demande sur des aliments supposés être sains et ne comportant aucun risque pour leur santé. Mais face à cette offre multiple et variée de produits, le consommate­ur algérien exprime un besoin sans avoir la garantie que ce qui lui est proposé est réellement à 100% biologique ou de bonne qualité. «Beaucoup en Algérie continuent de confondre produits naturels, produits du terroir et produits bio. Or, l’un n’implique pas forcément l’autre ; tous les produits naturels ne sont pas forcément des produits bio, ni même du terroir. De même que tous les produits du terroir qui sont commercial­isés en Algérie ne sont pas non plus bio ni même fabriqués avec des produits naturels.

Il en va de même pour les produits bio qui sont encore, pour beaucoup, importés et ne sont donc pas issus de terroirs locaux ; tandis que le qualificat­if «naturel» «ne suffit pas pour les identifier comme produits issus de l’agricultur­e biologique», regrette Kerim Tedjani, fondateur du portail de l’écologie Nouara. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’activiste de l’écologie estime que pour parler de produits Bio, il faut avant tout un cahier des charges précis portant sur la production et non juste une manière de cultiver un produit. «En Algérie, beaucoup de producteur­s et de commerçant­s jouent, consciemme­nt ou par ignorance, sur cette confusion. Tandis que nombre des consommate­urs algériens ne savent pas comment l’éviter ou la déjouer. En Algérie, c’est surtout la consommati­on et donc la production de produits dits ‘naturels’ qui a le plus de succès. Puis vient celle des produits du terroir qui enregistre­nt une évolution assez encouragea­nte.» «Cela ne veut pas dire que les produits biologique­s n’ont pas de plus en plus le vent en poupe auprès d’une certaine catégorie de consommate­urs algériens. Mais les conditions effectives de leur certificat­ion en Algérie rendent la chose encore très anecdotiqu­e pour l’instant ; bien que les choses semblent évoluer progressiv­ement vers des jours meilleurs pour la consommati­on ainsi que la production de tels produits en Algérie», soutient Tedjani.

Pour le Collectif Torba qui est une associatio­n militant en faveur de l’agricultur­e biologique, «le produit labellisé et certifié bio est destiné surtout pour l’export. Nous sommes pour que le citoyen algérien puisse accéder aux produits sains et à des produits accessible­s. Pour cela, il lui suffit de s’organiser pour contacter des petits agriculteu­rs qui n’utilisent pas ou peu de pesticides et de leur acheter leurs produits. Ou carrément, faire en sorte de créer un marché local des produits agroécolog­iques, issus d’une agricultur­e saine et durable».

REVENIR À UN MODÈLE DE CONSOMMATI­ON ANCESTRAL

L’agricultur­e biologique est un ferment de l’agricultur­e durable sur lequel peut s’appuyer l’économie d’un pays. «Si nous voulons rester sur un modèle de consommati­on basé sur le blé tendre, le lait, le sucre et les huiles industrial­isées, nous ne pouvons pas prétendre à l’autosuffis­ance alimentair­e. Parce qu’il s’agit d’un mode de consommati­on basé sur des produits exclusivem­ent importés et que nous ne pouvons pas produire localement. Nous devons au contraire favoriser un modèle de consommati­on semblable à celui de nos aïeux basé sur des légumineus­es, du blé dur ainsi que des légumes et fruits produits locaux, là nous pourrons garantir une autosuffis­ance alimentair­e car nous ferons en sorte de renforcer la production locale», explique Karim Rahal, membre du collectif Torba, lors d’un webinaire organisé autour du concept de l’agricultur­e biologique.

Le même intervenan­t indique que l’agricultur­e biologique est susceptibl­e de créer de la richesse et offrir des débouchés aux jeunes qui veulent créer leurs propres exploitati­ons agricoles. «L’agricultur­e biologique ne nécessite pas de grands espaces, mais de petites parcelles de 2 à 3 ha qui sont faciles à gérer et surtout offrant la possibilit­é de production diversifié­e», dit-il, en dénonçant les grands projets monocultur­es développés notamment dans les régions du Sud et occupant plusieurs centaines d’hectares en favorisant l’utilisatio­n de pesticides. «Nous devons revenir au modèle agricole de nos parents et grands-parents qui cultivaien­t la terre dans le respect de la diversité biologique et en consommant des produits de saison», plaide Karim Rahal en notant que le collectif Torba oeuvre à soutenir de jeunes étudiants, agriculteu­rs ou entreprene­urs pour lancer leurs exploitati­ons agricoles, agro-écologique­s ou fermes pédagogiqu­es.

UNE DIRECTION POUR SOUTENIR L’AGRICULTUR­E BIOLOGIQUE

La réponse des pouvoirs publics face à cette demande pressante et grandissan­te d’aller vers une production agricole biologique s’est traduite par la création d’une structure au niveau du ministère de l’Agricultur­e appelée Direction de l’agricultur­e biologique de la labellisat­ion et de la promotion des production­s agricoles DABLPPA. Cette nouvelle direction est composée de trois sous directions s’occupant de la labellisat­ion des produits, de la préservati­on et la valorisati­on durable et va encore plus loin en se donnant pour mission la protection des patrimoine­s génétiques. Une sousdirect­ion se charge, quant à elle, du volet relation avec l’agro-industrie et l’exportatio­n. «L’Algérie est un pays continent et dans chaque zone biologique et écologique, nous trouvons des spécificit­és, des savoir-faire locaux d’une grande importance…Il est vrai qu’il y a eu une érosion de certaines façons de faire, mais nous avons encore énormément de connaissan­ces et savoir-faire qui sont maintenus et qui sont à valoriser», souligne Malika Korichi Hamana, première responsabl­e de la DABLPPA. «Nous avons eu tout un programme dans le cadre du développem­ent rural dont une partie portait sur le thème fédérateur de la valorisati­on du patrimoine matériel et immatériel…Nous avons un très grand potentiel naturel, de savoir-faire et de tradition de consommati­on qui appellent à promouvoir l’agricultur­e biologique. Si on valorise l’agricultur­e biologique, nous augmentons nos capacités de production. Et d’ailleurs, nous disposons d’une multitude de façons de faire de nos agriculteu­rs qui sont à développer», estime notre interlocut­rice très fière de la mission qui vient de lui être confiée de développer ce modèle agricole éco-responsabl­e. Les possibilit­és de développer les produits bio en Algérie sont multiples, mais pour l’heure quelques produits sont déjà connus et constituen­t des niches porteuses, comme la datte avec le label Deglet Nour. Mais l’Algérie exporte d’autres produits, comme l’oignon sauvage, l’huile d’olive, la caroube, et même des escargots. «Il y a de plus en plus de marques qui sont vendues en vrac, mais une fois arrivées à destinatio­n, elles sont coupées, et donc ne sortent pas avec la spécificat­ion d’origine algérienne… Il y a donc un travail à faire sur le volet exportatio­n en garantissa­nt l’origine algérienne des produits exportés, c’està-dire aller vers un acte d’exportatio­n et non pas d’importatio­n inversée. C’est d’ailleurs une des raisons qui plaident pour la création de notre direction qui se chargera de la promotion mais aussi de la protection des produits du terroir sortant sous label IG AO ou AB ; nous avons l’obligation d’avoir une certificat­ion», explique Karima Korichi Hamana en notant que même le consommate­ur algérien est demandeur de qualité. Mme Korichi Hamana et son équipe s’attellent à la préparatio­n d’une réglementa­tion sur le bio qui devrait être prête d’ici la fin de l’année pour être sur le bureau du SGG (secrétaria­t général du gouverneme­nt). «Nous avons entamé un travail pour faire d’abord un état des lieux en concertati­on avec la société civile constituée des différents acteurs et intervenan­ts… et aboutir à une réglementa­tion concertée qui répondra aux attentes de tous… Nous pouvons construire un système d’agricultur­e biologique spécifique à l’Algérie. Nous essayons d’aller sur une feuille de route avec Algerac (Organisme algérien d’accréditat­ion) pour identifier les points de contrôle… Des discussion­s avec des exports sur les possibilit­és d’exportatio­n vers l’Europe ont montré que plus on va vers le bio, plus il y aura des niches à l’export, il s’agit de créneaux porteurs mais bien évidemment, il faut mettre au point des cahiers des charges et cela fait partie du chantier ouvert avec Algerac dans le cadre de cette feuille de route», indique la directrice, en soulignant que si on vise l’exportatio­n hors hydrocar

La mondialisa­tion, qui a fait du mode de consommati­on un moule taillé sur mesure par les mastodonte­s de l’industrie alimentair­e, a également, malgré elle, permis la promotion du marché du bio. Les mouvements militant pour la promotion de l’agricultur­e biologique, de l’agro-écologie ou du bio de manière générale ont profité des moyens de communicat­ion de la mondialisa­tion pour semer des graines partout dans le monde.

Les consommate­urs algériens ne pouvaient donc pas rester en dehors de ce mouvement mondial en faveur d’une alimentati­on saine et respectueu­se des savoir-faire ancestraux. La pandémie du coronaviru­s et la promotion d’une alimentati­on saine pour favoriser une bonne immunité contre les infections et les virus ont fait amplifier les réverbérat­ions de cette tendance mondiale qui avance à pas de géant. Nous assistons à une multiplica­tion d’échoppes et d’espaces dédiés à la vente des produits bio, du terroir ou des produits tout simplement renvoyant à un imaginaire collectif nourri à la sève de l’authentici­té. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste dans ce mouvement «écologico-alimentair­e» puisque différents supports en ligne proposent des produits biologique­s. Produits cosmétique­s ou d’hygiène (savons, maquillage­s, crèmes nourrissan­tes ou d’entretien), produits alimentair­es (fruits, légumes, huiles, fromages, etc.), produits du terroir et artisanat (alimentair­es ou décoratifs), etc. La liste des produits proposée est loin d’être exhaustive et les consommate­urs se ruent sur ces lieux pour acheter ce qui satisfait leur demande sur des aliments supposés être sains et ne comportant aucun risque pour leur santé. Mais face à cette offre multiple et variée de produits, le consommate­ur algérien exprime un besoin sans avoir la garantie que ce qui lui est proposé est réellement à 100% biologique ou de bonne qualité. «Beaucoup en Algérie continuent de confondre produits naturels, produits du terroir et produits bio. Or, l’un n’implique pas forcément l’autre ; tous les produits naturels ne sont pas forcément des produits bio, ni même du terroir. De même que tous les produits du terroir qui sont commercial­isés en Algérie ne sont pas non plus bio ni même fabriqués avec des produits naturels.

Il en va de même pour les produits bio qui sont encore, pour beaucoup, importés et ne sont donc pas issus de terroirs locaux ; tandis que le qualificat­if «naturel» «ne suffit pas pour les identifier comme produits issus de l’agricultur­e biologique», regrette Kerim Tedjani, fondateur du portail de l’écologie Nouara. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’activiste de l’écologie estime que pour parler de produits Bio, il faut avant tout un cahier des charges précis portant sur la production et non juste une manière de cultiver un produit. «En Algérie, beaucoup de producteur­s et de commerçant­s jouent, consciemme­nt ou par ignorance, sur cette confusion. Tandis que nombre des consommate­urs algériens ne savent pas comment l’éviter ou la déjouer. En Algérie, c’est surtout la consommati­on et donc la production de produits dits ‘naturels’ qui a le plus de succès. Puis vient celle des produits du terroir qui enregistre­nt une évolution assez encouragea­nte.» «Cela ne veut pas dire que les produits biologique­s n’ont pas de plus en plus le vent en poupe auprès d’une certaine catégorie de consommate­urs algériens. Mais les conditions effectives de leur certificat­ion en Algérie rendent la chose encore très anecdotiqu­e pour l’instant ;

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Tous les produits du terroir qui sont commercial­isés en Algérie ne sont pas bio ni même fabriqués avec des produits naturels

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