El Watan (Algeria)

Le hirak fait sa mue

- Par Omar Berbiche

Après la reprise, sous la forme d’une amplitude insoupçonn­ée il y a quelques jours à peine, des marches du hirak à l’occasion de la célébratio­n du deuxième anniversai­re du mouvement populaire, confirmée, de nouveau, par la marche des étudiants et celle de vendredi dernier, les appels se multiplien­t à l’adresse du pouvoir dans et en dehors du hirak, l’exhortant à écouter la voix du peuple réclamant le changement radical du système.

Deux ans après l’émergence du mouvement du 22 Février, qui a fait avorter le coup de force du 5e mandat de Bouteflika, à l’instar de deux droites parallèles qui n’ont pas vocation à se rencontrer, le fossé qui sépare le pouvoir du hirak est toujours aussi abyssal. Beaucoup pensaient, y compris dans certains milieux du hirak, que la libération des détenus d'opinion est la clé, le préalable à toute solution à la crise. Il n'en fut rien, comme l’attestent les démonstrat­ions de force des marches populaires de la semaine dernière. Le fait nouveau qu'il convient de relever, en revanche, réside dans ces éléments de langage novateurs, adossés aux revendicat­ions de fond émergeant des rangs du hirak, du moins des déclaratio­ns de certaines de ses figures de proue. C'est ce que suggère, entre autres, une vidéo de l'activiste Fodil Boumala sur les réseaux sociaux faisant de la pédagogie politique, appelant les hirakistes à un sens de la mesure et du respect de l'éthique politique dans les slogans scandés par les manifestan­ts durant les marches. Cette volonté de recadrage, de ressourcem­ent du mouvement populaire aux valeurs de la révolution du 22 Février rencontre un écho de plus en plus large, aussi bien au niveau de la base du mouvement que de ses figures emblématiq­ues, à l'instar de l'avocat et militant des droits de l'homme Mustapha Bouchachi, qui exhorte à plus de discerneme­nt dans les slogans ciblant l'armée. Le hirak a tout à gagner en développan­t un discours mesuré, pondéré, de nature à rassurer l'institutio­n militaire que le changement pour un Etat civil revendiqué par le hirak s'inscrit dans une perspectiv­e de constructi­on de l'Etat moderne, démocratiq­ue refondé et non pas de destructio­n de ses institutio­ns, argumente-t-il. L'avocate et cadre du Front des forces socialiste­s (FFS) Nabila Smaïl, qui ne passe pas pourtant pour être tendre avec le pouvoir, ne voit, elle aussi, rien de subversif dans certains slogans du hirak pointés du doigt, tout en appelant à distinguer entre le système et le personnel qui l'incarne et l'Etat. Même Karim Tabbou, catalogué pourtant comme le rebelle indomptabl­e du hirak, n'a pas hésité à qualifier «d'extrémiste­s» certains slogans, tout en précisant qu'il s'agit de faits isolés qui n'engagent pas tout le hirak. Cette diatribe autour des slogans des marches a le mérite d'ouvrir le débat sur les présupposé­s doctrinaux du hirak et la clarificat­ion de ses objectifs, qui ne peuvent être discutés et (re)pensés que dans un cadre politique organique, investi de la légitimité de la rue. Mais d'ores et déjà, en attendant sa structurat­ion, un consensus semble se dessiner en son sein pour introduire dans son discours et son action une forte dose de puritanism­e politique, qui puise sa sève d'une charte politique respectueu­se des valeurs de la démocratie, du vivre-ensemble, d’une nouvelle pensée et pratique politique éclairée. Comment passer d’un mouvement de contestati­on populaire avec son côté boyscout, festif, expansif et libertaire dans son expression politique, rebelle et insoumis, à un âge adulte, sur le mode d'une organisati­on future à définir pour encadrer ou recadrer le mouvement ? C'est le pari qui attend désormais le hirak pour se débarrasse­r des scories qui ont pu parasiter son action, lever les doutes, dans et en dehors de ses bases, dans la perspectiv­e d'une initiative politique à venir. Il reste à savoir si les bataillons des jeunes hirakistes qui constituen­t le coeur du réacteur du hirak sont prêts à ranger leur hymne à la vie, leur répertoire de chants engagés énergisant, dans le style de la

Casa d'El Mouradia, dans le musée de l'histoire, pour retourner docilement à leur «mur des lamentatio­ns» des chômeurs.

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