Les deux écrans et la lutte des temps
Il y a deux mondes qui se côtoient dans le même pays, l’un qui passe par l’air et l’autre par la mer. Le premier est la télévision nationale par ondes hertziennes qui annone chaque jour dans un style complètement hors du temps qui n’a d’équivalent qu’en Corée du Nord, au Turkménistan ou en Guinée équatoriale. L’autre est l’ensemble des réseaux sociaux d’internet et particulièrement Facebook, connectés par des câbles sous-marins à la planète et qui est un genre de jungle où chacun peut dire n’importe quoi. Entre ces deux espaces techniquement et verbalement séparés de 50 ans, il n’y a pas photo, mais si le premier monde ne devrait plus exister, le second pose par contre problème, comme on l’a vu encore dernièrement avec la condamnation à 7 ans de prison du jeune militant et poète Ameur Guerrache de Ouargla, qui a occasionné de violentes émeutes dans la ville. Dans la masse des accusations portées contre lui, où figure évidemment l’«incitation à attroupement», il y a l’«apologie du terrorisme», autrement dit des publications Facebook très choquantes.
Mais faut-il sanctionner ce genre de délit ou estimer qu’une publication sur Facebook est comme une phrase prononcée dans un café qui ne devrait pas faire l’objet d’une condamnation ? La question n’est pas simple et si on n’arrête pas quelqu’un qui dit une bêtise dans la rue, faut-il enfermer tous ceux qui racontent n’importe quoi sur internet et lancent des appels au meurtre, comme Rachid Nekkaz ? La justice algérienne a légiféré, tout ce qui est écrit est passible de sanctions et on a beau savoir que les Algérien(ne)s disent souvent des choses qu’ils ne pensent pas, le juge condamne là où une paire de claques suffit. Dans tous les cas, il y a bien eu des émeutes à Ouargla que la télévision officielle ne mentionnera pas, et il est évident qu’il fait meilleur vivre sur Facebook que dans son salon face à l’EPTV. Surtout si le jeune Ameur Guerrache fait la totalité de sa peine, c’est sûr que dans 7 ans il deviendra vraiment terroriste.