El Watan (Algeria)

LOUP ET HYÈNE EN DANGER

Le 3 mars est la Journée mondiale de la vie sauvage. Une journée cruciale pour rappeler qu’il faut oeuvrer pour enrayer le déclin massif de la biodiversi­té, notamment le loup et la hyène, abattus en grand nombre.

- Sofia Ouahib souahib@elwatan.com S. O.

Le loup et la hyène, seuls grands prédateurs algériens, sont réellement menacés au vu du nombre d’individus qui sont abattus», prévient Mourad Ahmim, enseignant chercheur en écologie et environnem­ent à l’université de Béjaïa. Ces deux espèces sont abattues, selon lui, par peur pour le bétail, ces derniers étant carnivores mais qui ne s’attaquent que très rarement au bétail. Toutefois, ajoute M. Ahmim, ces animaux font des incursions aux environs des villages et villes car l’homme, de par la mauvaise gestion de ses déchets, crée des dépotoirs un peu partout, ce qui est attractif pour ces animaux car ils ne trouvent plus facilement de proies en forêt car presque toute la faune dont ils se nourrissai­ent a été exterminée. Le chercheur précise que concernant le loup, qu’il s’agit du ‘‘dib’’ qu’on a toujours connu, il fait savoir qu’il n’y a jamais eu d’introducti­on ou autre mais ancienneme­nt, on se basait sur la morphologi­e externe pour décrire les espèces et les classer laissant croire que nous avons le chacal doré (Canis aureus de son nom scientifiq­ue). «Mais avec l’avènement de la génétique moléculair­e, il y a eu un chamboulem­ent dans la classifica­tion et la taxonomie des espèces, et on s’est rendu compte que beaucoup d’espèces qu’on pensait connaître, étaient tout autres», explique-t-il. Ainsi, concernant le loup (ancienneme­nt chacal), M. Ahmim explique qu’il y a eu de récents travaux très poussés qui ont été effectués sur toute son aire de répartitio­n, et les analyses génétiques ont montré qu’en Algérie, comme dans beaucoup d’autres pays, l’espèce qu’on considérai­t comme étant le chacal doré (Canis aureus) a finalement plus de ressemblan­ce avec le loup et on lui a donné le nom de loup doré d’Afrique (Canis anthus), une espèce qui est différente de l’espèce européenne et américaine. «A mon avis, il y aurait deux espèces différente­s en Algérie, ou bien un polymorphi­sme important, car on voit des individus qui sont chétifs et d’autres qui sont robustes», ajoute-t-il. Si la hyène est protégée en Algérie par le décret n° 83-509 du 20 août 1983, le loup, quant à lui, ne l’est pas, car, selon le chercheur, il a toujours été en effectifs bien équilibrés, à l’inverse de la hyène qui a failli disparaîtr­e durant les années 1980. Pis encore, M. Ahmim se désole du fait qu’aucun travail de protection n’est réellement réalisé sur le terrain. Personne n’est pénalisé, selon lui, pour avoir abattu une hyène. «Certains s’affichent même avec comme trophée sur les réseaux sociaux», affirme-t-il. Selon l’expert, en termes d’applicatio­n de la réglementa­tion sur la base des données recueillie­s uniquement sur les réseaux sociaux, les services de sécurité et ceux chargés de la protection de la faune pour sévir et punir le délinquant, mais rien n’est fait. Pour ce qui est du loup, et vu qu’il n’est pas protégé, M. Ahmim affirme qu’il est abattu à outrance. «On déplore le fait qu’il soit aussi abattu, et ce, même par des chasseurs profession­nels. Ce dernier n’est pas un gibier, alors pourquoi le tuer ?», s’interroge-t-il. C’est pourquoi, le chercheur recommande vivement, au vu de ce qui se passe en termes d’abattage des loups, de bien réfléchir à mettre à jour la liste des espèces animales à protéger et aussi de durcir les sanctions. Il faut savoir que les animaux sont protégés sur la base de beaucoup de critères, à savoir les effectifs (une espèce à faible effectifs risque de disparaîtr­e facilement), l’endémisme (certaines espèces n’existent que dans certains endroits du globe), et enfin, l’importance des espèces dans l’équilibre écologique global.

COVID-19

Mais est-il aujourd’hui nécessaire de protéger tous les animaux sans exception ? «Oui et non», répond M. Ahmim. Oui, car toute espèce, selon lui, a son importance et un rôle à jouer dans l’équilibre écologique. Et non car il y a, selon lui, des espèces qui sont nuisibles et invasives, à l’exemple des rats et certains rongeurs qui sont la hantise des agriculteu­rs. «Ce qu’il faut réellement c’est une juste valeur en terme de protection et un bon suivi car les effectifs des espèces peuvent varier rapidement d’une époque à une autre et il se pourrait que même des espèces qui ont des effectifs importants durant une période X deviennent rares car il y a eu une maladie qui s’est abattue sur elles durant une autre période, d’où l’importance du suivi pour une bonne prise de décision pour la protection ou la limitation des effectifs en cas de nuisibilit­é», explique-t-il. Si les mesures de protection ne sont pas appliquées, c’est car, selon M. Ahmim, il n’y a pas de textes stricts et de textes exécutifs d’applicatio­n des lois qui existent. Selon lui, il y a lieu de renforcer les mesures de protection de notre environnem­ent, car il n y a pas que la faune qui est menacée. Et si nous avons tant de mal à mettre en place des mécanismes de protection des animaux, cela est dû, selon le chercheur, à plusieurs facteurs. D’abord, M. Ahmim assure que c’est essentiel d’aider les forestiers, qui intervienn­ent parfois au dépend de leur vie, à mieux accomplir leur tâche de protecteur de la faune forestière en les dotant de moyens de travail et de persuasion adéquats. Ensuite, il pointe du doigt l’insuffisan­ce en termes de corps qui doivent protéger l’environnem­ent. «En Algérie, nous n’avons pas de police de l’environnem­ent», se désole-t-il. Et enfin, l’implicatio­n des services de sécurité et leur formation dans le domaine. «Ils ont certes beaucoup de missions, mais cette celle-ci est importante aussi car il s’agit du patrimoine national», soutient-il. D’ailleurs, le chercheur prévient des risques encourus si toutefois, ces espèces disparaiss­ent. Selon lui, en termes techniques, l’érosion de la biodiversi­té, provoquera des désagrémen­ts très importants au niveau de notre planète. «La Covid-19 due à un virus de la famille des Coronaviri­dae en est le parfait exemple», assure-t-il. Selon lui, il y a beaucoup de Coronaviri­dae mais ils ne sont pas tous zoonotique­s, c’est-à-dire qu’ils ne provoquent pas tous des maladies ou zoonoses chez l’homme car ces entités vivent dans ou sur des hôtes primaires chez qui ils ne provoquent pas d’effet pandémie. A cet effet, M. Ahmim explique que lorsqu’on a une biodiversi­té importante, il y a beaucoup d’espèces. Et chaque espèce a des effectifs importants qui hébergent les entités comme les virus, les bactéries et autres agents pathogènes. «L’homme de par ses activités, a induit une érosion de la biodiversi­té d’où la disparitio­n de beaucoup d’espèces et la diminution des effectifs de beaucoup d’autres», précise-t-il. Ajoutant que les entités comme les virus qui vivaient sur cette biodiversi­té, qui fait d’ailleurs office de barrière, n’ayant pas trouvé d’hôte primaire se sont rabattues sur l’homme. Si le chamboulem­ent écologique existe déjà, le chercheur craint une aggravatio­n de la situation sanitaire avec l’apparition de nouvelles maladies. «Il est grand temps de réfléchir à une bonne protection de notre biodiversi­té afin d’éviter des conséquenc­es très néfastes sur les population­s», conseille-t-il. Cela passe d’abord, selon lui, par une prise de conscience de la population, une bonne gestion de la faune et de l’environnem­ent en général, et une réflexion autour du durcisseme­nt des mesures de pénalisati­on.

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