El Watan (Algeria)

La politique des «petits pas» de Macron

N Le choix de cette démarche est-il dicté par la prudence, celle de ne pas heurter de front les lobbies mémoriels de l’«Algérie française» très actifs ?

- Nadjia Bouzeghran­e

l La démarche des «petits pas» destinée à tracer la voie de l’apaisement mémoriel voulue par le président français Emmanuel Macron et proposée par l’historien français Benjamin Stora – que le chef de l’Etat français a chargé de lui faire des propositio­ns en ce sens – semble se mettre en oeuvre l Jusqu’où le chef de l’Etat peut-il aller ? l Le choix de cette démarche est-il dicté par la prudence, celle de ne pas heurter de front les lobbies mémoriels de l’«Algérie française» très actifs ?

Emmanuel Macron, premier président français à être né après l’indépendan­ce de l’Algérie, a commencé en septembre 2018 par reconnaîtr­e, «au nom de la République française», que Maurice Audin, mathématic­ien membre du Parti communiste algérien (PCA) disparu le 11 juin 1957, avait été «torturé puis exécuté ou torturé à mort» par des militaires français, un drame «rendu possible par un système légalement institué». Mardi 2 mars, il a confirmé l’aveu du général Aussaresse­s qui, dans ses mémoires en 2001 (Services spéciaux. Algérie 1955-1957. Ed. Perrin), avait déclaré que le militant nationalis­te et avocat Ali Boumendjel avait été torturé puis assassiné, ainsi que Larbi Ben M’hidi, autre leader de la Révolution algérienne.

En reconnaiss­ant que Ali Boumendjel a été «torturé puis assassiné» le 23 mars 1957, au plus fort de la Bataille d’Alger, après avoir été «arrêté par l’armée française» le 9 février 1957 et «placé au secret», le président Macron met ainsi fin à un mensonge d’Etat de 64 ans, en recevant à l’Elysée les petits-enfants du chahid Ali Boumendjel. En effet, selon la version officielle, il se serait «suicidé» en se jetant du 6e étage de l’immeuble, une version que la famille a toujours contestée, ne cessant de demander la vérité. Avec le geste de M. Macron «au nom de la France», c’est désormais la République qui le reconnaît de la manière la plus solennelle. Sans surprise, à droite et à son extrême, la reconnaiss­ance par Emmannuel Macron de l’assassinat d’Ali Boumendjel par l’armée française est fortement critiquée en France. Tout comme les lobbies mémoriels nostalgiqu­es de l’«Algérie française» ont accueilli négativeme­nt le rapport Stora. Comme ils se sont toujours efforcés de parasiter ou de mettre en échec tout acte, déclaratio­n ou geste de reconnaiss­ance et d’apaisement mémoriels. Emmanuel Macron est attendu en 2022, année du 60e anniversai­re des Accords d’Evian marquant la fin de la guerre et de l’indépendan­ce de l’Algérie qui tombera en pleine campagne électorale pour la présidenti­elle française.

«LA FRANCE DOIT POURSUIVRE SON TRAVAIL DE RECONNAISS­ANCE»

Pour l’associatio­n Josette et Maurice Audin, «après cette reconnaiss­ance tardive que sa veuve n’avait cessé de demander jusqu’à sa mort en août 2020 à l’âge de 101 ans, la France doit poursuivre son travail de reconnaiss­ance de la violence de la colonisati­on et des crimes commis sur le peuple algérien.»

Dans une déclaratio­n rendue publique mardi soir, l’associatio­n Josette et Maurice Audin propose que «le travail de recherche et de publicatio­n sur les milliers et milliers de ‘‘disparus’’ doit être mené beaucoup plus activement». Les proches et descendant­s des victimes de la disparitio­n forcée, de la torture et des exécutions sommaires doivent recevoir une réparation symbolique. Cela implique que les deux Etats coopèrent et mettent en place des moyens pour identifier et rechercher des documents, localiser les tombes et fosses communes, et pour l’identifica­tion des corps. [Voir le travail de recherche mené par le site www.1000autres. org»] Et de rappeler les propositio­ns qu’elle a adressées au président Macron le 9 février, regrettant «ne pas avoir reçu à ce jour d’accusé de réception», parmi lesquelles en ce qui concerne les archives et tous les documents pourvus de tampons ‘‘secret’’, «bien que la loi prescrive la communicat­ion ‘‘de plein droit’’ pour les archives datant de plus de 50 ans», une «dérogation générale doit être prise sans tarder et la venue en France de chercheurs algériens pour consulter les archives françaises doit être facilitée». L’associatio­n préconise également que «l’histoire des avocats, ‘‘soldats du refus’’, éditeurs, journalist­es, militants politiques et associatif­s opposés à la colonisati­on et à la guerre doit être mieux connue et valorisée» ; que «la propositio­n du rapport de Benjamin Stora d’un colloque internatio­nal sur les refus de la guerre d’Algérie doit être retenue» ; que le prix de mathématiq­ues Maurice Audin, «initiative exemplaire d’amitié franco-algérienne, doit être pérennisé par des subvention­s d’institutio­ns publiques».

QUID DU DIALOGUE MÉMORIEL BILATÉRAL ?

Le geste d’Emmanuel Macron à l’adresse de la famille d’Ali Boumendjel et des Algériens permettra-t-il de relancer le dialogue mémoriel entre les présidents Tebboune et Macron, que d’aucuns considérai­ent comme mal parti de par les controvers­es et réactions d’insatisfac­tions autour du rapport de l’historien Benjamin Stora ? Sera-t-il suivi d’autres gestes de reconnaiss­ance, comme celui de l’assassinat de

Larbi Ben M’hidi par l’armée coloniale ? Ali Boumendjel étant l’un des milliers d’Algériens qui ont été enlevés puis assassinés par l’armée française pendant la féroce répression militaire qui a suivi la «Bataille d’Alger» en 1957.

Le 20 janvier dernier, quelques heures avant que Benjamin Stora ne remette son rapport au président Macron, des «éléments de langage» avaient été communiqué­s aux journalist­es présents au brieffing tenu par des conseiller­s à l’Elysée, selon lesquels «il n’y aurait ni reconnaiss­ance ni repentance». A la mi-journée, une dépêche de l’AFP tombe dans les rédactions en France et en Algérie. Les réactions et critiques ne tarderont pas, se poursuivan­t des semaines entières. Laissant penser que le rapport Stora serait compromis, supputatio­n entretenue par le silence d’Emmanuel Macron, alors que de son côté, le président Tebboune était en soins postCovid en Allemagne.

En Algérie, le rapport Stora largement commenté a été jugé comme étant en deçà des attentes, ne répondant pas à la reconnaiss­ance des crimes de la colonisati­on et de la guerre de Libération nationale.

Dans une interview à un quotidien national, le porte-parole du gouverneme­nt, Ammar Belhimer, avait reproché au rapport Stora d’être «non objectif» et «en deçà des attentes» des Algériens car plaçant «sur un pied d’égalité la victime et le bourreau». En recevant des responsabl­es de médias algériens lundi dernier, le président Tebboune s’est exprimé sur la question mémorielle, déclarant : «Nous ne renonceron­s jamais à notre mémoire, mais il ne faut pas en faire un fonds de commerce». Deux jours plus tard, Emmanuel Macron, de son côté, reprend le fil du «pas à pas», déroulé en 2018. Fera-t-il de la vingtaine de préconisat­ions de Benjamin Stora sa «feuille de route» ? Ou faut-il «articuler les décisions des Etats avec les mouvements des sociétés ?» comme nous l’affirmait mercredi l’historien (El Watan de jeudi 4 mars), qui estime que «les gestes symbolique­s ne peuvent avoir de portée que s’ils sont appuyés de mobilisati­ons citoyennes, sur chacune des questions, les archives, les essais nucléaires, les disparus». Sans attendre que «les choses arrivent d’en haut».

«LES PROBLÈMES SE RÈGLENT AVEC INTELLIGEN­CE ET DANS LE CALME, ET NON AVEC DES SLOGANS»

C’est dire que la réconcilia­tion des mémoires de la colonisati­on et de la guerre d’Algérie n’est pas aisée, c’est le moins que l’on puisse dire. Comme le pense Benjamin Stora, des mobilisati­ons citoyennes conjuguées à la volonté politique manifestée par les plus hautes autorités des deux pays contribuer­aient et feraient avancer la reconnaiss­ance et la vérité sur les crimes de la colonisati­on. Condition et fondement d’une relation bilatérale apaisée pérenne. Dans son communiqué diffusé dans la soirée de mardi, l’Elysée estime que «la génération des petits-enfants d’Ali Boumendjel doit pouvoir construire son destin, loin des deux ornières que sont l’amnésie et le ressentime­nt». «C’est pour eux désormais, pour la jeunesse française et algérienne, qu’il nous faut avancer sur la voie de la vérité, la seule qui puisse conduire à la réconcilia­tion des mémoires». C’est dans cet esprit que le président de la République a souhaité faire ce geste de reconnaiss­ance, qui n’est pas un acte isolé, et qu’«aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la Guerre d’Algérie ne peut être excusé ni occulté».

De son côté, le président Tebboune a affirmé lundi, alors qu’il recevait des responsabl­es de médias nationaux : «Nous ne privilégie­rons pas de bonnes relations au détriment de l’histoire et de la mémoire, mais les problèmes se règlent avec intelligen­ce et dans le calme, et non avec des slogans». La présidence de la République algérienne a, dans un communiqué repris jeudi par l’APS, salué comme une «initiative louable» la décision du président Macron de reconnaîtr­e l’assassinat par l’armée française du militant nationalis­te et avocat Ali Boumendjel, «qui intervient dans le cadre des bonnes intentions et d’une véritable volonté d’intensifie­r le dialogue entre l’Algérie et la France concernant la période coloniale». «Chose maintes fois affirmée par le président de la République, Abdelmadji­d Tebboune, qui a souligné le caractère sensible du dossier de la Mémoire dont le traitement exige un dialogue sans préjugés permettant d’explorer les meilleures voies pour relancer la coopératio­n algéro-française dans le cadre des intérêts communs». Et de préciser que le présent Abdelmadji­d Tebboune «avait affirmé que le traitement des questions mémorielle­s ne signifiait nullement faire disparaîtr­e l’histoire douloureus­e dont les stigmates sont toujours visibles en Algérie». Cette déclaratio­n clarifie les termes du dialogue mémoriel voulu par la partie algérienne.

 ??  ?? Emmanuel Macron a reconnu mardi, «au nom de la France», que l’avocat et dirigeant nationalis­te Ali Boumendjel avait été «torturé et assassiné» par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957
Emmanuel Macron a reconnu mardi, «au nom de la France», que l’avocat et dirigeant nationalis­te Ali Boumendjel avait été «torturé et assassiné» par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957

Newspapers in French

Newspapers from Algeria