Souvenirs du luxueux Blue Train sous l’apartheid
Premier noir embauché sur l’ultra-luxueux Blue Train en Afrique du Sud, le majordome Sydney Masenyani, 61 ans, a accueilli des milliers de passagers. Meilleur souvenir ? Son visage s’illumine de joie : «Mandela !» Droit comme un I dans son uniforme impeccable, ce géant tranquille, aussi efficace qu’effacé, place les passagers élégants dès leur arrivée dans le wagonrestaurant pour ce premier dîner du «Le Cap Pretoria». Quelque 1600 km parcourus à un rythme lent, pour étirer l’expérience voluptueuse sur 48 heures. «Je fais partie du mobilier», dit-il avec simplicité. Serveur à bord de «petites lignes» à ses débuts, il est aujourd’hui responsable des boissons et repas à bord : «Je fais en sorte que les clients soient contents, qu’ils ne manquent de rien.» Avant sa retraite, dans un peu plus d’un an, il se dépêche de transmettre son savoir-faire aux nouvelles générations de serveurs, barmen et majordomes. La chef Esther Ndhlovu, qui cuisine dans le train bleu nuit depuis plus d’une vingtaine d’années, a été «la première femme et la première personne noire» à ce poste, précise Sydney. Une pionnière de l’après-apartheid. Lui a été embauché en 1993. Les lois ségrégationnistes sont déjà révoqués, mais le pays reste en transition. Nelson Mandela, ex-ennemi public numéro un, ne sera élu que l’année suivante à la tête du pays, signant la fin de la domination de la minorité blanche. «Il fallait embaucher des Noirs» sur le plus prestigieux des trains. Jusque-là, tout le personnel était blanc. Les clients aussi, il va sans dire. «Mais au lieu d’en embaucher plusieurs d’un coup, j’ai été le seul», pendant de longs mois, raconte Sydney sur le ton de la confidence. Visage fermé, il raconte les blagues incessantes de ses collègues sur Mandela, sorti de prison trois ans plus tôt. «Ils parlaient tous en afrikaans, pensant que je ne comprenais pas. Ils étaient obligés de s’adresser à moi en anglais», ce qui les exaspérait. Du coup, «ils me surnommaient ‘‘Le petit Mandela’’», l’empêcheur de tourner en rond. Glacé, il se souvient de son premier voyage. L’un de ses chefs multiplie les blagues amères : «L’an prochain, le train sera obligé de faire un détour par Soweto, pour passer devant la maison de Mandela.» Heureusement, «mon patron à Johannesburg leur répétait ‘‘Sydney ne va nulle part, que ça vous plaise ou non’’».