El Watan (Algeria)

Eclairages historique­s sur le parler de Jijel

L Les conditions d’émergence, l’évolution et les particular­ités du parler arabe de Jijel étaient au centre d’une conférence tenue, le 27 février dernier, au centre culturel islamique Ahmed Hamani de Jijel et animée par l’enseignant­e et chercheuse en scien

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Organisée par l’associatio­n culturelle Jijel Antique, cette rencontre a été l’occasion pour la conférenci­ère de préciser que ce parler «ne se limite pas seulement à la ville de Jijel, mais concerne toute la région la Kabylie orientale» avec des variations, comme ça existe dans toutes les langues. Elle reviendra sur l’arabisatio­n chaotique pré-hilalienne, entre les VIIe et XIe siècles, depuis l’édificatio­n de la cité mère Kairouan jusqu’à sa petite-soeur Fès pour faire comprendre que ce parler marqué n’est pas unique parce qu’on le retrouve dans la région de Tlemcen, au Maroc et même en Tunisie. Pour comprendre l’émergence de ces enclaves linguistiq­ues, l’oratrice invite à revoir l’histoire, notamment les caractéris­tiques de ces zones où l’on retrouve des configurat­ions géographiq­ues triangulai­res ouvertes sur la mer.

Les conquérant­s d’Arabie arrivaient de plusieurs régions avec des idiomes différents qui favorisero­nt une convergenc­e et un nivellemen­t linguistiq­ue qui va donner naissance à une koïné (une langue commune). Ce colonialis­me linguistiq­ue va durer de 700 à 1050, soit jusqu’aux invasions hilalienne­s, alors que la région des Kotama avait déjà adopté le chiisme avec les Fatimides. Dès lors, c’est une période de déstructur­ation et restructur­ation de la région sur les plans politique, économique et social, ainsi qu’une modificati­on des pratiques linguistiq­ues dans la majorité des régions où le parler hilalien va s’installer. Pourquoi tourner le dos au berbère ?

La question a été posée par la conférenci­ère qui s’est interrogée s’il y avait que le berbère avant l’arrivée des Arabes dans une région qui a été colonisée par les Phéniciens, les Romains ou encore les vandales bien que les linguistes LouisJean Calvet et William Marçais soutiennen­t que le punique avait déjà disparu d’Afrique du Nord lors de la conquête musulmane. Elle parlera de la survivance du néo-punique aux IIe et Ve siècles en se référant notamment à Saint Augustin qui avait dit dans un sermon prononcé en 407 que le nom de Dieu existe dans trois langues : Deus (latin), Théos (grec) et Ilim (punique).

Si le premier substrat est le berbère, il n’en demeure pas moins qu’il est attesté que des mots puniques se sont installés dans le berbère, citant pour l’exemple aghrum (pain). Par contre, Philippe Marçais va fonder sa descriptio­n de l’arabe de Jijel sur «la potentiell­e rencontre entre le berbère et l’arabe». Elle s’interroger­a, si dans certaines régions le berbère n’avait pas été évincé par le punique dès lors, dira-t-elle, qu’une civilisati­on florissant­e et dominante, sa langue devient une langue de prestige citant à ce propos Hippone (Annaba) et Calama (Guelma) qui étaient, dira-t-elle, «punicophon­es».

Même questionne­ment pour le latin, «langue de l’élite berbère romanisée», dont on retrouve encore des survivance­s avec Yennar (janvier), furar (février), Guerrouche (quercus, chêne) ou encore Fellous (pullus). L’influence du flux migratoire d’Andalousie après la Reconquist­a a été lui aussi évoqué, précisant que certaines caractéris­tiques de l’arabe andalou sont encore présentes dans le parler de Jijel. Mis à part le substrat, elle parlera de certaines innovation­s morphologi­ques, comme le numéral désignant l’unité comme article indéfini, la création de pluriels par addition de «at» marque de féminin pluriel, la création de locutions et le remaniemen­t du matériel des particules. Un intéressan­t débat a suivi cette conférence, dans lequel a été abordé le fait que ce parler soit parfois méprisé que la conférenci­ère fera remonter à l’époque ottomane où les Jijeliens bénéficiai­ent de privilèges, ou encore raillé. Pour la conférenci­ère que nous avons interrogée, le parler de Jijel est un vestige qu’il faut préserver parce qu’il nous renseigne sur les premiers pas de l’arabe dans le Maghreb, ajoutant qu’elle encourage ses étudiants à travailler sur la toponymie de la région.

 ??  ?? L’universita­ire Sihem Kouras reviendra sur l’arabisatio­n chaotique pré-hilalienne, entre les VIIe et XIe siècles, depuis l’édificatio­n de la cité mère Kairouan jusqu’à sa petite-soeur, Fès.
L’universita­ire Sihem Kouras reviendra sur l’arabisatio­n chaotique pré-hilalienne, entre les VIIe et XIe siècles, depuis l’édificatio­n de la cité mère Kairouan jusqu’à sa petite-soeur, Fès.

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