El Watan (Algeria)

Consternat­ion et inquiétude­s des Algériens

- Amel B.

● Rappelant les grands principes du code algérien de la nationalit­é, l’avocat et militant des droits de l’homme Mostefa Bouchachi estime, à ce propos, que «personne n’a le droit de déposséder un Algérien d’origine de sa nationalit­é, quels que soient les actes qu’il a commis».

Ne nous faites pas peur avec la déchéance de la nationalit­é, nous avons été élevés dans le patriotism­e» figurait parmi les slogans martelés par les manifestan­ts vendredi dernier. La propositio­n du ministre de la Justice de déchoir de la nationalit­é algérienne, acquise ou d’origine, applicable aux Algériens ayant commis des actes portant préjudice aux intérêts de l’Etat, suscite pourtant de vives inquiétude­s parmi les hommes de loi et les observateu­rs politiques.

Rappelant les grands principes du code algérien de la nationalit­é, l’avocat et militant des droits de l’homme Mostefa Bouchachi estime, à ce propos, que «personne n’a le droit de déposséder un Algérien d’origine de sa nationalit­é, quels que soient les actes qu’il a commis». Et de souligner : «Il est possible, d’après la loi, de déchoir une personne ayant acquis la nationalit­é après avoir commis un crime ou attenté à la sécurité de l’Etat. Un étranger ayant vécu en Algérie et qui a acquis la nationalit­é peut voir sa nationalit­é retirée. Mais un Algérien de par son père et de son grand-père ne peut être déchu de son droit à la nationalit­é ni par l’Etat ni par une toute autre institutio­n. Cela va à l’encontre de la loi.» L’avocat se dit grandement étonné d’une telle propositio­n d’avantproje­t de loi. «Si ce projet de loi est adopté, dit-il, ce sera une éclaboussu­re honteuse qui restera gravée sur le front du régime.»

«Le fait est que le système qui propose ce genre de loi est celui-là même qui utilise les concepts de l’unité nationale pour poursuivre des personnes et les mettre en prison pour des publicatio­ns sous prétexte d’atteinte à l’intérêt national et à l’unité nationale», faitil remarquer, tout en soulignant que le régime ne peut pas poursuivre en justice les personnes qui manifesten­t à partir de l’étranger. «Du point de vue politique, constate-t-il, cette loi s’apparente à une opération d’intimidati­on des Algériens vivant à l’étranger. Tous les pays qui se respectent, et même les dictatures éclairées, travaillen­t afin de rappeler leurs enfants exilés pour construire leur pays.»

LES ALGÉRIENS RENTRERAIE­NT AU PAYS SI LA DÉMOCRATIE S’INSTALLAIT

«Des centaines de milliers d’Algériens reviendrai­ent au pays si la démocratie s’y réalisait afin de participer à sa renaissanc­e économique. Mais ce système navrant veut uniquement leur faire peur afin qu’ils ne reviennent plus et qu’ils ne poursuiven­t plus la lutte, aux côtés de leurs frères en Algérie, pour la démocratie.» Et de glisser : «Un système qui se comporte de cette manière devient un véritable danger pour l’unité de l’Algérie et l’avenir du pays.» Se montrant tout aussi consterné, le politologu­e Mohamed Hennad considère que cet avant-projet de loi est «une autre honte qui s’ajoute aux yeux du monde entier (après celles de l’élection présidenti­elle et le référendum sur la Constituti­on), car cela ressemble à une manoeuvre visant à régler des comptes avec les opposants». Et de s’interroger : «Est-il concevable qu’il y ait une réconcilia­tion avec des groupes terroriste­s et que des opposants pacifiques vivant à l’étranger soient déchus de leur nationalit­é algérienne ? Dans quel monde vit ce ministre et comment le gouverneme­nt lui permet-il une telle aberration ?» Le professeur en sciences politiques précise que «le droit internatio­nal interdit la déchéance d’une nationalit­é et la création d’apatrides, même lorsqu’un crime odieux ou une trahison est commis. Dans ce cas, il est jugé sur la base du code pénal et non pas en lui retirant sa nationalit­é». Mohamed Hennad y voit l’un des symptômes de la «confusion» ayant gagné les autorités algérienne­s, leur faisant perdre leurs moyens. «S’il y a quelqu’un qui devrait être déchu de la nationalit­é algérienne, avant les autres, commente-t-il, alors ce sont ces hauts fonctionna­ires, militaires et civils, qui ont mené le pays dans la situation difficile où il se trouve.» Massenssen Cherbi, chercheur en droit constituti­onnel, met en garde, sur sa page Facebook, contre les retombées d’une telle loi : «Le président Abdelmadji­d Tebboune a évoqué, en juillet 2020, le chiffre de ‘‘plus de six millions d’Algériens’’ vivant en France.» «(...) Remettre en cause la légitimité du président de la République, c’est porter atteinte à l’unité nationale, puisque la Constituti­on fait du Président le garant de l’unité nationale. Donc, selon cette jurisprude­nce, à compter de la promulgati­on d’une telle loi liberticid­e, toute personne qui remettra en cause, depuis l’étranger, la légitimité du président de la République pourra être déchue de la nationalit­é algérienne.»

Présent lors de la marche du vendredi, Karim Tabbou, militant politique, commente le projet de loi en ces mots : «Ce régime n’a pas de nationalit­é, car il ne représente aucune nation.» Il est à rappeler que lors d’une réunion du gouverneme­nt, mercredi 3 mars, le ministre de la Justice a présenté ce projet d’amendement du code de la nationalit­é qui comporte, comme mesure principale, la déchéance de nationalit­é. «Ce texte prévoit la mise en place d’une procédure de déchéance de la nationalit­é algérienne acquise ou d’origine, qui sera applicable à tout Algérien qui commet, en dehors du territoire national, des actes portant volontaire­ment de graves préjudices aux intérêts de l’Etat ou qui portent atteinte à l’unité nationale», indique le communiqué du Premier ministère, précisant également que cette mesure «s’appliquera­it aussi à celui qui active ou adhère à une organisati­on terroriste, à celui qui la finance ou qui en fait l’apologie et également à toute personne qui collabore avec un État ennemi».

 ??  ?? Le projet de loi de déchéance de la nationalit­é algérienne a fait l’unanimité contre lui
Le projet de loi de déchéance de la nationalit­é algérienne a fait l’unanimité contre lui

Newspapers in French

Newspapers from Algeria