El Watan (Algeria)

Une citoyennet­é ni négociable ni conditionn­elle

- Par Nadjia Bouzeghran­e

Alors que le hirak, après une pause d’une année, a repris de plus belle, les femmes y ont retrouvé leur place pour demander à l’unisson des Algériens un Etat fondé sur le droit, la justice et le respect des libertés collective­s et individuel­les.

La revendicat­ion d’égalité des droits est-elle opportune, quand le peuple tout entier aspire à l’exercice de sa citoyennet­é ? Oui, incontesta­blement. Non seulement l’égalité des droits est une revendicat­ion opportune et légitime, mais elle est une exigence démocratiq­ue. Que vaut une démocratie quand la moitié de la société est assujettie à l’autre moitié ? L’égalité est un fondement de l’Etat de droit, ainsi l’entendent les milliers de femmes qui, semaine après semaine, dans le hirak, ont réclamé, pendant un an, et ce, depuis le 22 février dernier, la démocratie. Fortes de l’expérience des luttes des génération­s de femmes qui les ont précédées depuis l’indépendan­ce nationale, qui ont ouvert la voie pour la conquête de leurs droits légitimes dans une Algérie qu’elles ont voulue démocratiq­ue. Parce que l’égalité des droits pose la question du projet de société. Ceux qui arguent que cette revendicat­ion n’est pas prioritair­e dans le mouvement du hirak, comment peuvent-ils concevoir vouloir un changement de système en différant cette aspiration démocratiq­ue ? Au lendemain de l’indépendan­ce nationale, des voix, et pas des moindres, ont aussi affirmé que la promotion de la condition féminine et l’égalité des droits n’étaient pas prioritair­es.

Comment s’étonner que les violences contre les femmes dans et en dehors de l’espace familial, les féminicide­s, le sexisme augmentent, et comment peut-il en être autrement, quand la première des violences qu’elles subissent est le fait de la loi, qui les place sous la domination masculine ? Le code de la famille, malgré les amendement­s qu’il a connus au fil des années, au fil des mobilisati­ons et des luttes des féministes et des militants des droits humains qui les soutiennen­t, cristallis­e l’inférioris­ation des femmes depuis sa promulgati­on en juin 1984. Il symbolise la minorisati­on des Algérienne­s. Leur mise sous tutelle. Une Constituti­on qui proclame rejeter les discrimina­tions peut-elle s’accommoder d’une loi qui les entérine, au nom des traditions et de la charia, d’une loi justifiée par l’alibi de la religion, entendue dans sa lecture la plus rétrograde ?

Et ce, même si l’Algérie compterait le plus grand nombre de femmes ingénieure­s au monde, à en croire le dernier rapport de l’Unesco intitulé «La course contre la montre pour un développem­ent plus intelligen­t», quand bien même des Algérienne­s peuvent être des leaders politiques, des chefs d’entreprise, diplômées en plus grand nombre que leurs homologues masculins. Seules des lois civiles en lieu et place d’un code de la famille d’un autre âge, injuste et inique, rétabliron­t l’égalité des droits au sein de la famille. Feront de l’Algérienne une citoyenne à part entière.

Cachée, effacée, l’Algérienne est sommée de l’être toute sa vie, y compris quand elle doit rejoindre sa tombe pour l’éternité. Comme le rappelle Kamel Daoud, dans une chronique : «Personne ne doit voir son cadavre de femme, car c’est une femme. Et au moment même de la dépossessi­on absolue, on confirme qu’elle ne possède pas son corps.» C’est pour ne plus avoir à s’effacer, pour se réappropri­er leur corps, leur intégrité physique, que des femmes se sont toujours élevées, hier et aujourd’hui encore. Parce qu’elles veulent une Algérie dont chaque membre doit être l’égal de tous les autres.

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