El Watan (Algeria)

«Les femmes sont plus susceptibl­es d’accepter de travailler pour une faible rémunérati­on»

- S. I.

Docteur en sciences économique­s de l’université de Béjaïa et de l’université de Paris Est Créteil (France), Hassiba Gherbi travaille dans le cadre de ses recherches sur les questions de l’emploi, notamment l’emploi informel féminin, en Algérie et dans les pays d’Afrique du Nord. Sa thèse de doctorat a d’ailleurs porté sur l’analyse de l’emploi féminin en Algérie. Comment se présente la structure de l’emploi féminin en Algérie ? Le marché du travail en Algérie est caractéris­é par un faible taux d’activité économique et un faible taux d’emploi. Le taux de participat­ion à la force de travail n’a pas dépassé 50% entre 2010 et 2018. La sousreprés­entation des femmes dans la force de travail est avancée, en effet, comme étant la principale explicatio­n de ce faible taux d’activité. Il est à noter que l’Algérie affiche le quatrième plus faible taux d’activité féminin dans le monde (18%) après l’Irak, la Syrie et le Yémen (Banque mondiale, 2021). Près de 80% de l’emploi féminin sont concentrés dans l’administra­tion publique, les secteurs de la santé et les industries manufactur­ières. Le secteur public absorbe plus de 60% de la main-d’oeuvre féminine totale. Le taux de chômage féminin est constammen­t plus élevé que celui des hommes avec des disparités qui atteignent presque le double (9% chez les hommes contre 20% chez les femmes). Ce dernier affecte en grande majorité les femmes diplômées. L’image du salariat féminin en Algérie est marquée par les contrats de travail non permanents, par les emplois d’attente créés dans le cadre des dispositif­s d’insertion profession­nelle des jeunes primo-demandeurs d’emploi ANEM, DAS et autre, etc., créant ainsi une nouvelle forme de précarité et d’informalis­ation de l’emploi salarié qui affecte plus de 70% de femmes salariées. Quel est la part des femmes dans l’emploi informel ? La participat­ion des femmes aux activités du secteur informel, loin d’être négligeabl­e, est dans la plupart des cas d’une intensité presque similaire à celles des hommes. Près de deux tiers des femmes algérienne­s et un tiers des hommes occupent des emplois vulnérable­s au sens de l’OIT (ONS, 2018). L’informel devient ainsi de plus en plus le secteur refuge des femmes. Notamment pour les non instruites et les exclues du système éducatif et parfois même pour les diplômées de l’enseigneme­nt supérieur et de la formation profession­nelle. En Algérie, le taux de l’emploi informel féminin atteint 24%, dans le secteur privé, ce dernier avoisine 70% contre 63% chez les hommes (ONS, 2018). La nature de l’activité féminine informelle n’est qu’une projection marchande des savoir-faire transmis, acquis et développés au sein du ménage. La majorité de ces activités s’exercent à domicile, elles ne sont donc pas facilement repérables, ni dénombrées, ni objet d’enquête, ou même plus, ni valorisées en tant qu’activité à part entière. Les femmes se répartisse­nt dans trois catégories d’activités informelle­s féminines : celles qui réalisent des activités domestique­s (nourrices, femmes de ménage,…) ; celles qui réalisent des activités de transforma­tion (pâtisserie, galettes, rouleuses de couscous, couturière­s, coiffeuses,…) et celles qui exercent dans le commerce informel (trabendist­es, vendeuses de bijoux,…). Elles sont présentes également dans l’emploi informel comme salariées, principale­ment dans les services, l’industrie manufactur­ière et le commerce. Par ailleurs, des inégalités de revenus entre hommes et femmes dans l’emploi informel sont très observées (Gherbi, 2018). A caractéris­tiques égales et pour le même emploi, les femmes gagnent moins que les hommes. La crise sanitaire ne risque-t-elle pas d’accentuer le travail au noir chez les femmes ? Il est important de souligner que la crise sanitaire actuelle frappe les deux secteurs, formel et informel, ainsi que les deux sexes, hommes et femmes, mais à des degrés différents. Les travailleu­rs informels sont les plus affectés, spécifique­ment les femmes. Celles-ci se retrouvent cantonnées dans les activités à faible capital humain, les moins rémunératr­ices ou parfois même non rémunérées. Les femmes sont plus susceptibl­es d’accepter de travailler poue une faible rémunérati­on par rapport aux hommes. Ce qui les rend encore plus fragiles en période de crise, elles se retrouvent sans revenus de substituti­on. En absence de statistiqu­es nationales, il est difficile de se prononcer clairement sur la situation actuelle des femmes dans le secteur informel. Quelles sont les pistes à privilégie­r pour assurer la bonne intégratio­n des femmes sur le marché du travail ? Les défis que l’Algérie est appelée à relever pour optimiser leurs ressources humaines et éviter les fractures entre genres nécessiten­t d’engager en profondeur un travail d’adaptation et d’actualisat­ion des valeurs, des normes et représenta­tions liées aux rôles et aux statuts des femmes dans la société. A cet effet, il est nécessaire de promouvoir la confiance des femmes dans leur capacité à s’intégrer au monde du travail et à avoir des attitudes plus résolues et efficaces en matière de recherche d’emploi. De développer une politique soutenue de formation permanente favorisant la promotion des compétence­s féminines, en jetant des ponts entre le monde de la formation et le monde du travail à tous les niveaux et en rénovant le système d’orientatio­n scolaire et profession­nel. Diversifie­r les parcours de formation et encourager les femmes à choisir les filières techniques et scientifiq­ues, plutôt que celles qui concernent l’artisanat et autres types de formation inadéquate avec les besoins des entreprise­s modernes. Promouvoir les nouvelles formes d’emploi pour faciliter la participat­ion des femmes à l’activité économique. De nombreuses activités de conception et d’enseigneme­nt pourraient être externalis­ées hors de l’espace traditionn­el de travail, ce qui permettra aux femmes de concilier leurs obligation­s familiales et profession­nelles. Faciliter et élargir la possibilit­é d’avoir accès aux crédits proposés par les dispositif­s d’aide à la création d’emploi, tout en assurant des formations et un suivi des projets créés par les femmes dans l’objectif d’encourager l’entreprena­riat féminin. Le développem­ent de l’emploi féminin dans tous les pays du monde est accompagné d’une institutio­nnalisatio­n de la prise en charge de la petite enfance (création de crèches, d’écoles maternelle­s, etc.), en Algérie un manque flagrant de ces institutio­ns est observé. Ces services de garde-d’enfant de moins de cinq ans est assuré uniquement par le secteur privé et les femmes d’un faible niveau de vie ne sont pas capables d’assumer ces charges.

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