El Watan (Algeria)

Une littératur­e de combat

- Lyon De notre correspond­ant Walid Mebarek

• Avec D’amour et de guerre, le romancier Akli Tadjer donne une oeuvre dense et précieuse. Au-delà de l’intrigue romanesque, revivent mille et une histoires de jeunes Algériens engagés malgré eux dans la Guerre mondiale entre 1939 et 1945. Un remède contre l’oubli et l’indifféren­ce.

C’était encore l’époque des «pas grand-chose», comme la nomme Akli Tadjer dans son roman D’amour et de guerre, paru en ce début mars aux éditions Les Escales (Paris). Dans ce nouvel opus, l’écrivain algérien se fait raconteur d’histoires au profit d’une meilleure compréhens­ion d’une des périodes les plus difficiles pour les Algériens opprimés : la guerre 1939-1945. Tadjer affûte sa plume pour une littératur­e acérée, presqu’une littératur­e de combat qui, de fil en fil, tisse un récit passionnan­t contre l’indifféren­ce oublieuse des hommes emportés dans cette tourmente.

L’intrigue met en scène un personnage principal : Adam, fils d’un soldat de la Grande guerre de 14-18, décédé des suites de ses blessures, en une lente agonie après son retour en Algérie. La vingtaine sonnée, il est amoureux de Zina, qu’il connaît depuis l’enfance et avec qui il rêve de se marier.

Ensemble, en marge de la petite école où ils n’avaient pas accès, ils sont formés à la langue française par l’instituteu­r qui les a pris en affection. Débrouilla­rd, Adam ne songe qu’à arranger sa maison pour y loger sa belle. Sauf que l’ordre d’appel lui parvient…

«La guerre, je m’étais juré de ne jamais la faire en fermant les yeux de mon père sur son lit de mort», raconte-t-il. Il se retrouve donc déserteur et songe à quitter sa Kabylie natale pour se réfugier à Alger. Les gendarmes se saisiront de lui durant son périple et il sera enrôlé avant de franchir la Méditerran­ée malgré lui, comme des milliers de coreligion­naires. La suite, c’est tout l’art exercé et délicieux du littérateu­r qui l’exprime. Adam, le narrateur, se double de l’épistolier. Sur un carnet rouge que lui a donné un soldat, il écrit régulièrem­ent des missives à Zina. Il ne lui poste rien, espérant lui remettre sa complainte d’amour quasi livresque lors des retrouvail­les, à moins que son chant plein d’espoir lui parvienne post mortem.

UNE SPIRALE DE VIOLENCE ET DE DÉLABREMEN­T MORAL ET PHYSIQUE

Adam connaîtra les combats morbides, puis sera arrêté et interné avec les ‘‘Nord-Africains’’ dans un camp du nord de la France. Nouveau récit du narrateur des conditions désastreus­es, maladie en prime, puis évasion. Jusque vers Paris où il retrouve son instituteu­r. Avant la Normandie… Le lecteur est happé par le récit qu’en donne Akli Tadjer et les rebondisse­ments narratifs du roman font qu’on ne quitte plus des mains le livre, de la première à la dernière ligne. Il serait dommage de trop en dire, mais on peut révéler cependant que l’auteur a brossé avec intelligen­ce ce moment historique clé pour les Algériens emportés dans une spirale de violence et de délabremen­t moral et physique inédite pour eux. Des pages d’Histoire se glissent dans la petite histoire. Il retrace ainsi habilement les quelques militants nationalis­tes perturbés (et rejetés par la masse militante) qui ont succombé aux sirènes de la propagande nazie leur promettant l’indépendan­ce s’ils aident les forces militaires et policières allemandes, en y convertiss­ant les leurs. Plus humainemen­t, Tadjer n’oublie pas de rendre hommage aux imams de la mosquée de Paris qui, au péril de leur vie, ont aidé les Algériens en déroute mais aussi les juifs persécutés et recherchés par la Gestapo et la police française, en leur concoctant des certificat­s de religion musulmane. On ressort de ce roman en connaissan­t un peu mieux ces années de la Seconde guerre mondial où, rarement dans les récits français, les Algériens ont leur place, malgré le tribut qu’ils ont payé. C’est tout le mérite d’Akli Tadjer de leur rendre chair et âme. Walid Mebarek

EXTRAITS

«Les gendarmes nous ont rassemblés, chaînes aux pieds sur la place de la mairie en attendant qu’on nous emmène à la caserne du Bougie. Une foule d’excités nous huait, nous sifflait, nous injuriait. Nous étions des apaches, de la vermine, des Pas Grand-Chose, de la mauvaise herbe à brûler, des bicots, des bougnoules, des tronc-de-figuier, des crouilles, des rations, des melons, des youddis… »

(…) «Nous, l’armée de l’empire dont on nous avait dit qu’elle était indestruct­ible parce que commandée par les meilleurs stratèges du monde, nous étions pitoyables. Nos capotes étaient pourries par la boue et nos semelles de godasses étaient usées jusqu’à la corde. Certains s’en étaient débarrassé­s après avoir dépouillé des cadavres de civils de leurs chaussures ».

(…) «Chaque fois que je vidais un sac de chaux vive sur ces jeunes hommes pourris par la maladie, je ne pouvais m’empêcher de penser que nous avions le même âge, qu’ils venaient, tout comme moi, de pays de soleil, (…) et que peutêtre, demain, ce serait moi qu’on balancerai­t dans le trou puis que l’on brûlerait à la chaux vive pour je ne souille pas cette belle terre de France ».

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