El Watan (Algeria)

«Les barrages et les nappes sont au plus bas et la situation est préoccupan­te»

- Propos recueillis par Djamel Alilat D. A.

Malek Abdesselam, êtes-vous d’accord que nous vivons actuelleme­nt une situation de sévère sécheresse et que les ressources hydriques stockées dans les barrages et retenues du pays commencent à baisser dangereuse­ment ? Peut-on faire un état des lieux actuel et quelle est la situation aujourd’hui ?

Effectivem­ent, nous vivons une situation très préoccupan­te. Le climat cette année est caractéris­é par des températur­es assez élevées avec des jours de pluie assez légères, bénéfiques pour l’agricultur­e, mais insuffisan­tes pour faire des réserves aussi bien dans les sous-sols que dans les barrages.

Pour l’état des lieux, en Algérie, il y a plusieurs barrages qui servent à l’alimentati­on en eau potable après traitement dans des stations de potabilisa­tion. Nous avons également un certain nombre de stations de dessalemen­t qui apportent un très bon appoint. Les nappes souterrain­es en Algérie sont malheureus­ement réduites et toutes activement exploitées. Donc, nous sommes relativeme­nt vulnérable­s par rapport aux arrivées d’épisodes pluvieux. Nous sommes dans un pays chaud où il pleut beaucoup, mais cette pluie est très irrégulièr­e, aussi bien au niveau des saisons que des moyennes interannue­lles, c’est-à-dire que certaines années sont très pluvieuses, très excédentai­res et d’autres sont déficitair­es. Cette année est une année déficitair­e, qui fait suite à trois années à peine moyennes ou inférieure­s à la moyenne. Ce qui fait que nous avons cumulé des manques. Cela explique la situation que nous vivons actuelleme­nt. La dernière année hydrologiq­ue a été déficitair­e d’environ 30% et cette année, et ce jusqu’à aujourd’hui, nous sommes également déficitair­es de 30%. Donc, nous pouvons dire que nous cumulons les déficits.

Que peut-on dire des précipitat­ions de ces dernières années et des réserves hydriques des barrages et des retenues du pays, chiffres à l’appui ?

Pratiqueme­nt tous les barrages sont à un très bas niveau, pour la plupart en dessous de 30%, certains à moins de 20%, sauf ceux qui ne sont pas utilisés, comme celui de Tilezdit, dans la wilaya de Bouira, qui est autour de 70%. Sinon, les stocks qui existaient dans les retenues ont été utilisés l’année dernière, et ce, de septembre jusqu’à février. Ils ont donc joué leur rôle et pu pallier le déficit de la pluviométr­ie, mais comme ces barrages ne sont pas très grands, ils n’ont pas pu tenir très longtemps. On espère des pluies pour les semaines à venir, mais on ne s’attend pas à plus que les moyennes interannue­lles. Ce qui va arriver ne compensera pas ces déficits, même si nous avons des pluies exceptionn­elles. En plus, ces derniers mois, il a fait chaud et la végétation a beaucoup consommé en intercepta­nt une grande partie de ces pluies qui n’ont pas été stockées. Un exemple, le Djurdjura était très enneigé en décembre, mais le sirocco qui est remonté du Sud a fait fondre la totalité des neiges. Les écoulement­s ont été captés par les barrages, quand ceux-ci existent, sinon ils sont partis rejoindre la mer toute proche.

Quelles mesures préconisez-vous à moyen ou long termes pour faire face à la crise actuelle de l’eau ?

Pour ce qui est des mesures pour compenser les manques, il faut les étudier par rapport à la situation hydrique du pays. Nous sommes un pays chaud, et dès qu’il pleut, il faut stocker aussi bien dans les réservoirs qu’en souterrain en favorisant la recharge des nappes. La plupart des cours d’eau sont le siège de nappes phréatique­s, donc il faut s’arranger pour freiner le transit des pluies qui vont se jeter en mer ou s’évaporer. Il faut également réaliser des digues, ou seuils en travers des cours d’eau, tous simples pour stocker de l’eau et aussi recharger les oueds, car on les a beaucoup exploités, à tel point que, parfois, les nappes ont disparu. On a tellement favorisé les départs et l’exploitati­on des agrégats, le sable et le tout-venant, qu’en certains endroits, il n’y a presque plus de nappe. Donc, les digues en travers des oueds serviront à recharger les nappes et les oueds en agrégats et en eau. Par ailleurs, il est toujours possible de faire des transferts d’eau de bassin versant bien loti à bassin versant moins loti. Un exemple : le barrage de Taksebt reçoit les eaux de l’Aïssi certaines années, ce qui n’est pas suffisant. En contrebas, à 5 ou 6 kilomètres, coule l’un des plus grands fleuves d’Algérie, le Sebaou, qui charrie des centaines de millions de mètres cubes (sa station de mesure existe depuis les années 1940). On peut y réaliser des ouvrages afin de transférer l’eau dans le Taksebt, de telle sorte à le garder tout le temps plein et ne pas attendre qu’il se vide. Sa station de traitement pourra fonctionne­r à plein régime et être rentabilis­ée. Elle tourne à 50% (300 000 m3/j contre 600 000 m3/j de capacité). Les volumes supplément­aires serviront à alimenter les zones de la wilaya de Tizi Ouzou, non bénéficiai­res actuelleme­nt de ces deux ouvrages (barrage et station de Taksebt). Ce simple transfert, facilement réalisable à faible coût et délai, pourra permettre de doubler l’existant. Par ailleurs, il faut favoriser, autant que possible, le dessalemen­t et l’industrie en liaison avec le dessalemen­t puisque la mer est là. Il faut faire du dessalemen­t en produisant de l’électricit­é. C’est ce qu’on appelle la cogénérati­on ou la trigénérat­ion, puisqu’on peut produire de l’eau, de l’électricit­é et de la chaleur en même temps. Cela est faisable et il suffit juste de changer de système de dessalemen­t. Si on fait évaporer l’eau, on pourrait la chauffer et profiter de cette chaleur pour faire tourner les turbines et produire de l’électricit­é. En parallèle, on pourra récupérer cette chaleur pour divers usages. Ainsi, nous sommes tous raccordés au système d’assainisse­ment et l’eau qui est rejetée par les population­s transite par les stations d’épuration. En sortant de ces stations, l’eau est épurée à près de 70-80%, il faut donc favoriser un troisième niveau de traitement pour la rendre utilisable dans l’industrie et surtout l’agricultur­e, qui consomme déjà près de 70% des ressources en eau. Donc, ces eaux épurées seront réutilisée­s autant que possible. On peut aussi favoriser le lagunage qui permet de stocker de l’eau, de la traiter et lui permettre de s’infiltrer pour recharger les nappes. Par ailleurs, les industries ne doivent plus recevoir de l’eau potable. Elles doivent utiliser de l’eau qu’elles traiteront ou recycleron­t. Il est possible de recycler presque à l’infini des volumes d’eau importants par des industries qui sont gourmandes en eau. De même pour l’arrosage des jardins et des parcs publics, là aussi, l’eau de pluie est à récupérer. Dans toutes les villes, on pourrait réaliser des installati­ons de façon à pouvoir récupérer l’eau de pluie. Dans certaines zones urbaines, on a tout intérêt à créer ce qu’on appelle des bassins d’orages. Ces bassins permettent de contrôler les inondation­s. Ils auront pour rôle de protéger les zones inondables afin que l’eau circule moins rapidement et ne s’étende pas à ces zones ; ces eaux-là seront pompées à nouveau et réutilisée­s pour le lavage des chaussées, l’arrosage des parcs et pour l’agricultur­e. Ainsi, cette eau va revenir dans le circuit pour s’infiltrer dans le sous-sol et recharger les nappes. Voilà donc grossièrem­ent ce que l’on peut préconiser.

Il faudrait peut-être également revoir complèteme­nt notre rapport à l’eau et aller vers une véritable culture de l’eau, une vraie philosophi­e…

Absolument. Il y a aussi un volet qu’il faut prendre très au sérieux, la lutte contre les fuites. C’est une véritable guerre contre les fuites qu’il faut mener. Beaucoup de réseaux sont au-dessus de 40% de fuites et cela arrive parfois à 60%. Imaginez donc que nous avons 50%, c’est la moitié de l’eau d’un barrage qui est perdue… L’autre pratique qu’il faut mettre en place, c’est l’économie de l’eau, et ce, à tous les niveaux. Depuis le plus petit appartemen­t jusqu’à la plus grande villa en passant par les collectivi­tés, les écoles, les université­s, les administra­tions, les usines, où il y a énormément de déperditio­ns. Souvent, les réseaux de plomberie des collectivi­tés sont défectueux, l’eau y coule parfois en H24 tout au long de l’année, y compris dans les mosquées où il faut mettre des robinets d’arrêt. Il faut faire de gros efforts dans ce sens. Nous pouvons avoir des pratiques saines pour l’irrigation et l’arrosage : généralise­r et encourager activement le goutteà-goutte au lieu de l’irrigation à la rigole. Pour moi, le prix de l’eau n’est pas un problème. Il faut que l’eau soit gratuite. L’accès à l’eau est un droit humain. Tout le monde a droit à l’eau à partir d’un certain volume, qu’il conviendra de calculer afin que tout le monde se limite à ce volume gratuit et ne le gaspille pas. Au-delà de ce volume, il faudra multiplier les prix par dix s’il le faut. Comme pour un forfait téléphoniq­ue.

Toujours en matière de mesures, il y a lieu de créer un lien de respect et de confiance entre le distribute­ur d’eau, ou si vous voulez le beylik, et le consommate­ur, afin que les gens ne se sentent pas hors de ces organismes. Il faut un lien de confiance et de respect et faire comprendre aux gens que si on gaspille l’eau, nous sommes tous perdants. L’eau est un bien commun et ce bien n’est pas pérenne puisqu’une année il peut être en abondance et l’autre non. Il faut également se préoccuper de l’état des circuits et réseaux d’eau, publics et privés, pour avoir aussi bien la qualité que la quantité. Il y a lieu également de faire de véritables cartograph­ies des réseaux. Parfois, des conduites de chantier sont abandonnée­s sous terre sans que personne ne sache qu’elles existent. C’est aussi un moyen de savoir s’il y a des branchemen­ts illicites réalisés par malveillan­ce.

Pratiqueme­nt tous les barrages sont très bas, pour la plupart en dessous de 30%, certains à moins de 20%, sauf ceux qui ne sont pas utilisés, comme celui de Tilezdit, dans la wilaya de Bouira, qui est autour de 70%. Sinon les stocks qui existaient dans les retenues ont été utilisés l’année dernière, et ce, de septembre jusqu’à février. Ils ont donc joué leur rôle et pu pallier le déficit de la pluviométr­ie, mais comme ces barrages ne sont pas très grands, ils n’ont pas pu tenir très longtemps.

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Malek Abdesselam

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