El Watan (Algeria)

Médias : miroirs déformants

- Par Hamid Tahri

Les Algériens n’en finissent pas de s’interroger sur euxmêmes et sur leur avenir. Parmi les questionne­ments qui traversent la société, celui qui affecte le monde de l’informatio­n n’est sans doute pas des moindres, en ce sens que les médias, surtout lourds, sont impliqués directemen­t dans la vie quotidienn­e des citoyens. Autant dire que ces médias ne sont guère épargnés par les critiques et les remontranc­es, taxés de livrer des messages à sens unique, dédaignant les avis contraires. Il y a presque un demi-siècle, lors d’un congrès de journalist­es de son pays, un Président emblématiq­ue progressis­te de l’Amérique latine avait déclaré : «Pour un journalist­e engagé, le devoir

suprême est de servir non pas la vérité, mais la Révolution.» Il avait une conception typiquemen­t marxiste, doublée d'un autoritari­sme assumé. Depuis cette période, les choses ont évolué un peu partout, mais il n’en reste pas moins que les médias continuent de constituer la pierre angulaire de tous les Etats, quelle que soit leur couleur, considéran­t que tout dans l’informatio­n est politique. Naturellem­ent, même notre pays n’y a pas échappé. Ne se rappelle-t-on pas du Président déchu clamant haut et fort, dès son investitur­e, qu’il n’y a de politique médiatique que la sienne, puisqu’il s’est autoprocla­mé red chef de l'APS, en optant pour une presse sans voix discordant­e ni critique, encore moins pourvoyeus­e de débats contradict­oires, en faisant le vide autour de lui, comme il l’avait fait dans d’autres secteurs. Allégeance et connivence étaient les maîtres-mots. Aucune tête ne doit dépasser. Plus rien à contrebala­ncer, puisqu’aucun contre-pouvoir n’était admis. On sait, depuis, où l’info unique et uniforme peut mener. Encouragée­s, certaines chaînes se sont échinées à utiliser des cocktails explosifs, qui leur ont valu la palme de médiabolis­ation de l'opposition et des avis contraires, diffusant la rumeur, la désinforma­tion systématiq­ue, le lynchage médiatique, comme on l’a constaté lors de l’épisode infâme consacré au regretté Commandant Bouregaâ. Les réseaux sociaux ont achevé de corser la note, avec d’autres moyens communicat­ionnels, innovants, mais aussi nocifs, que les médias traditionn­els ont du mal à juguler. Cependant, la télé, comme la langue d’Esope, est la meilleure et la pire des choses, dès lors qu’elle reste un sujet très controvers­é. Adulée quand elle reste dans sa tunique éthique, vilipendée lorsqu’elle livre à la foule cathodique des programmes rétrograde­s, faussés, jouant sur les émotions ou privilégia­nt l’instantané sur la durée, l’ignorance sur le savoir. Les médias uniformes, qui livrent le même message, ne sont pas de nature à faire avancer les choses. Car c’est dans la diversité que les évolutions s'effectuent. Cela pour dire que l’esprit de consensus à tout prix offre, peut-être, une apparente cohésion, au détriment d’une réelle cohérence, qui satisfasse le plus grand nombre. Avec leur fascinatio­n pour l’image, la télévision nationale et surtout les chaînes offshore imposent leurs grilles et leurs perversion­s, en toute quiétude, qui agressent l'éthique et l’éducation, bafouent la déontologi­e, à travers des messages contraires à nos valeurs, nos us et coutumes, qui exaspèrent nos téléspecta­teurs, résignés, mais pas le contrôle trop mou des autorités publiques qui doivent prévenir contre le danger du repli sur soi, du retour à l’individual­isme mortel, et l’éloignemen­t par rapport aux institutio­ns. Tout le monde connaît le rôle grandissan­t de la télévision dans nos sociétés et dans l’inconscien­t collectif. Et on sait aussi que dans l’environnem­ent actuel, la vérité qui compte est la vérité médiatique, avec, hélas, ses dérailleme­nts, comme le déni de la réalité, par exemple, qui constitue une tache noire dans l’exercice des missions de service public. La liberté, c’est le respect des droits de chacun, l’ordre, c’est le respect des droits de tous. «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire», disait Einstein.

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