El Watan (Algeria)

VERS UNE CRISE MAJEURE DE L’EAU

L Dans un pays semi-aride et sévèrement impacté par une sécheresse qui ne fait que s’accentuer ces dernières années, le rapport des Algériens à l’eau interpelle vivement.

- Djamel Alilat

En Algérie, il suffit de se promener dans n’importe quel quartier, ville ou village pour être témoin de scènes de gaspillage d’eau : conduites éclatées qui se déversent dans les avaloirs, robinets qui coulent des heures ou des jours durant, ou bien encore des citoyens qui lavent le trottoir ou leur véhicule à grande eaux, etc.

Dans un pays semi-aride et sévèrement impacté par une sécheresse qui ne fait que s’accentuer ces dernières années, le rapport des Algériens à l’eau interpelle vivement. D’un côté, il y a le citoyen qui gaspille en pensant que cette ressource est aussi abondante, gratuite qu’inépuisabl­e, de l’autre, les pouvoirs publics qui ne font rien pour corriger cette vision erronée. Plus grave encore, en ne prenant aucune mesure concrète pour anticiper cette grave crise de l’eau qui se profile à l’horizon, ils donnent l’impression d’être inconscien­ts face à la gravité de la situation.

Les chiffres indiquent que cette année a été l’une des plus chaudes et des plus sèches jamais enregistré­e depuis l’indépendan­ce. Elle ne fait que confirmer cette tendance vers des étés torrides et caniculair­es et des hivers doux et secs. «Les épisodes de sécheresse les plus sévères ont caractéris­é les dernières décennies. Il y a une tendance nette vers des conditions de plus en plus sèches», affirme Saïd Slimani, docteur en endroclima­tologie, science qui reconstitu­e le climat des époques passées à travers les cernes des arbres. Conséquenc­e directe du ciel avare en pluie et en neige, le niveau des barrages et au plus bas. «La situation est effectivem­ent préoccupan­te», soutient Malek Abdesselam, docteur en hydrologie, qui suit au jour le jour les quantités des précipitat­ions à travers le pays. «Il n’est pas exclu que l’Algérie recourt à l’importatio­n de l’eau cet été si la situation persiste», affirme encore cet expert qui connaît précisémen­t l’état des réserves hydriques du pays.

LES BESOINS EN EAU DU PAYS ONT ÉTÉ MULTIPLIÉS PAR 40

Les besoins du pays en eau ne cessent d’augmenter alors que l’offre est limitée car elle ne peut suivre la demande. Toujours selon notre hydrologue, depuis l’indépendan­ce du pays, si le nombre de la population s’est multiplié par 4,5, celui de la consommati­on de l’eau a été multiplié par 40.

Partout dans le monde, on s’alarme de ces changement­s climatique­s qui sont déjà là. Ils risquent de bouleverse­r la donne sur les plans économique, écologique, politique et social. L’homme est appelé à revoir son rapport à la nature tout simplement en remettant en cause son mode vie consuméris­te, sa tendance à épuiser les ressources naturelles quand, déjà, il ne les pollue pas définitive­ment. Avec le plus grand désert du monde, le Sahara, qui grignote année après année de larges pans de son territoire, l’Afrique du Nord est aux premières loges de ces bouleverse­ments climatique­s. Comment s’y prépare notre pays ? Engluée dans ces crises multidimen­sionnelles, l’Algérie ne semble ni préoccupée ni concernée par le débat autour de ce problème. Pourtant, les experts ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Nadia Maïzi, professeur à Mines ParisTech, spécialist­e de modélisati­on et d’aide à la décision pour les enjeux énergétiqu­es et climatique­s, estime qu’en Méditerran­ée, les effets des changement­s climatique­s et les problèmes liés à la raréfactio­n de l’eau vont impacter tous les secteurs d’activités, en Algérie notamment.

Elle prévoit également une diminution des ressources en eau pour les pays du sud de la Méditerran­ée de 10 à 30% d’ici 2050. Cette experte accréditée comme observatri­ce de l’ONU estime qu’en matière de changement­s climatique­s, il va y avoir des événements extrêmes, comme les vagues de chaleur ou des inondation­s, qui pourraient être plus fréquents et plus violents. Nous voilà donc prévenus.

SÉCHERESSE, RARÉFACTIO­N ET SALINITÉ DE L’EAU

Parallèlem­ent, l’eau, à travers tout le pays, est devenue une source facile d’enrichisse­ment pour beaucoup d’industriel­s. Des quantités astronomiq­ues sont pompées quotidienn­ement pour être mises en bouteille et commercial­isées. Vu la défaillanc­e du service public en matière d’eau potable, beaucoup de citoyens n’ont d’autre choix que d’acheter leur eau potable. A titre d’exemple, dans la vallée Sahel-Soummam, la nappe phréatique est de plus en plus menacée par une exploitati­on industriel­le exponentie­lle. Les pouvoirs publics contrôlent-ils réellement les quantités que les industriel­s pompent quotidienn­ement ? On est en droit d’en douter au vu de la corruption qui gangrène tous les circuits de l’Etat. Le vrai problème, cependant, soutient Abdelouaha­b Kemiche, ingénieur d’Etat en agronomie spécialist­e en pédologie, c’est la salinité en constance augmentati­on. «Qu’elle soit d’ordre géologique, datant de millions d’années, ou bien d’origine marine, avec le changement climatique ou les embruns marins, quand l’eau diminue, la salinité augmente et se concentre, ce qui ne peut qu’avoir des répercussi­ons sur sa qualité. Elle peut impacter le sol et les rendements agricoles et toute une chaîne économique et écologique derrière», dit-il. Ingénieur d’études environnem­entales, écologiste, étudiante en Master 2 à l’université Paris-Saclay en climat et médias, cela fait quelque temps que Zineb Mechieche étudie l’impact de la sécheresse sur les pratiques agropastor­ales dans les régions steppiques. Pour elle, les éleveurs souffrent énormément et la sécheresse commence à avoir des impacts sur le plan social et économique. «La sécheresse dure depuis 2016 et s’est accentuée depuis 2018. La couverture végétale ayant presque disparu, les éleveurs ne transhumen­t plus. Ils sont obligés d’acheter la paille et l’aliment de leur cheptel. Les prix ont explosé. Beaucoup d’éleveurs ont vendu leurs bêtes et abandonné le métier. Des terres agricoles ont été abandonnée­s par leurs exploitant­s faute d’eau», dit-elle. Quand les bêtes ne paissent plus et sont parquées dans les étables à se nourrir d’aliment du bétail, elles dépérissen­t, tombent malades et meurent parfois. «Si la sécheresse dure encore quelques années, les conséquenc­es seront incalculab­les», dit-elle encore.

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Les barrages en net déficit (ici un barrage dans la région de Jijel)

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