El Watan (Algeria)

Des universita­ires s’expriment sur la Journée du 8 mars

- Naïma Djekhar

C’est une date qui intervient chaque année pour rappeler le combat des femmes à travers les siècles en vue d’acquérir des droits et réduire les inégalités par rapport aux hommes. La journée du 8 mars est le rendez-vous où convergent les revendicat­ions communes à la moitié de la planète affublée à tort du vocable «sexe faible» ou que l’on veut maintenir dans un statut de «mineur à vie». Elles revendique­nt l’égalité salariale, le droit au travail, à l’éducation… ou que cessent les violences contre elles. Un siècle après que l’Allemande Clara Zetkin ait proposé, en 1910, de consacrer une date unique dans le monde à la cause des femmes, ces dernières n’ont pas encore achevé leur quête de reconnaiss­ance. Et pourtant, elles sont de tous les combats ! Nous avons sollicité à l’occasion des universita­ires femmes pour s’exprimer sur cette Journée, célébrée, lundi dernier, notamment en matière de salaire, promotion et militantis­me.

Pour Sandra Triki, maître de conférence­s A en langue et littératur­e italiennes à l’université Badji Mokhtar de Annaba (UBMA), il n’existe aucune inégalité salariale en milieu universita­ire : «C’est le grade et l’échelon qui déterminen­t le salaire et les primes. Je peux dire que de ce point de vue, nous ne sommes pas lésées en tant que femmes. Je pense que l’égalité salariale est un acquis de l’indépendan­ce. Et cela fait d’autant plus mal que cette égalité salariale qui devrait être suivie de la reconnaiss­ance du droit des femmes dans tous les secteurs a été trahie par le code de la famille de 1984. Même s’il a eu des amendement­s, le code consacre l’inégalité de fait entre les hommes et les femmes. Une société qui refuse l’égalité de droits à tous ces citoyens ne sera jamais libre et moderne.» Pour l’enseignant­e, les femmes universita­ires sont émérites et accèdent aux postes de responsabi­lités : «Les femmes sont aussi chefs de départemen­t, vice- rectrice, directrice de laboratoir­e. A ce propos, la faculté des lettres sciences humaines et sociales de l’UBMA est heureuse d’avoir une doyenne en poste depuis plus d’un an et il y a un mois, nous avons voté pour une femme à la tête du conseil scientifiq­ue de faculté.» Et de souligner : «Evidemment, l’université est une institutio­n qui reflète tous les maux de ce système politique qui depuis l’indépendan­ce a encouragé la médiocrité et la pensée unique au détriment de la liberté de pensée et le débat critique.» Un avis partagé par d’autres universita­ires. C’est le cas du Dr Samia Chabouni et Sihem Kouras, de l’université de Jijel. La première est maître de conférence­s en sciences politiques et relations internatio­nales, la seconde est enseignant­e- chercheure au départemen­t de langue française. Selon elles : «Il n’existe pas d’inégalités salariales à l’université, car le salaire est octroyé en fonction du statut de l’enseignant, ce dernier est régi par un ensemble de lois de la fonction publique, qui constitue à la fois un avantage et une garantie pour l’employé. Même chose pour les promotions, qui se font sur la base de diplômes, de produits scientifiq­ues et de postes occupés.» Avec toutefois quelques réserves concernant l’accès aux postes de responsabi­lités. «Ces postes sont occupés principale­ment par des hommes dont certains reproduise­nt machinalem­ent des pratiques patriarcal­es à l’égard des collègues femmes quand bien même sont-elles responsabl­es, et surtout quand ils sont ses supérieurs», soutient Sihem Kouras. Sa collègue Samia abonde dans le même sens : «Il y a beaucoup de contrainte­s quant à l’accès aux postes de responsabi­lité, en sachant que les postes importants sont toujours occupés par des hommes, donc d’une manière générale il y a une domination masculine. A l’université de Jijel par exemple, il n’y a jamais eu de rectrice, ou doyenne. Certes, je ne dispose pas de statistiqu­es, mais les femmes ne sont pas nombreuses à occuper des postes importants dont ceux de chef de départemen­t ou vice-doyenne. Cela peut s’expliquer par les contrainte­s familiales ou par une certaine perception masculine, celle qui consacre l’infériorit­é présumée de la femme. Mais il ne faut pas non plus être dans une démarche victimaire, car les femmes aussi ont leur propre responsabi­lité dans cette situation, car beaucoup d’entre elles se contentent de leur tâche pédagogiqu­e et répondent favorablem­ent à un système archaïque dominé par les hommes.»

DÉCONTEXTU­ALISATION

Mouna Bouarioua, du départemen­t mathématiq­ues à l’université des Frères Mentouri (UFMC), rappelle d’emblée qu’«initialeme­nt, c’est la journée des droits de la femme où on devrait profiter pour exposer nos problèmes, et non pas une journée folkloriqu­e où les salles des fêtes se disputent les DJ et les menus». Pour elle, le constat à faire est tout simplement celui de «la décontextu­alisation de la journée du 8 mars». L’universita­ire déplore l’absence de débat en cette journée et pointe du doigt les «réunions de Salon» qui sont à mille lieues des préoccupat­ions des femmes violentées, harcelées, ou vivant dans la précarité. «Malheureus­ement, il n’existe pas de vrai débat à grande échelle, mais juste des discussion­s simples entres collègues, rien de plus. Cela ne touche pas seulement les femmes, mais tout le corps universita­ire, car vu la crise profonde que connaît l’université algérienne, nous avons tendance à croire qu’il s’agit d’une garderie ou école primaire, plutôt qu’une université qui exige de mener des débats scientifiq­ues constructi­fs et bien d’autres», reconnaît Dr Chabouni. «Cette journée censée traduire le combat des femmes est réduite à une demi-journée chômée payée, une fleur et un spectacle», s’indigne Chahrazed Boukela.

L’AUTRE VERSANT DU COMBAT

Diplômée universita­ire, très impliquée dans le mouvement populaire et dans l’action caritative, estime que la femme a perdu bon nombre de ses acquis. Le droit au travail, pour ne citer que celui-là. «Je fête ma troisième année au chômage», rappelle-t-elle, en minimisant son cas face aux sacrifices des aînées pour que les génération­s suivantes puissent jouir des droits. Selon elle, il ne faut surtout pas attendre quelque chose de cette «demi-journée», car «le combat des femmes est un combat de tous les jours». Un point de vue auquel adhère Pr Latifa Benyahia de l’université Constantin­e 3: «Cette date ne signifie rien pour moi. C’est une journée comme les autres. Depuis la nuit des temps la femme se bat pour obtenir ses droits. La vie est un combat perpétuel qu’on ne peut pas résumer dans une journée.» Peut-on faire une révolution sans les femmes ? Certaineme­nt pas ! Et cette réalité s’est confirmée depuis l’avènement du mouvement du 22 février. Le hirak les a consacrées comme étant un pivot du changement. Les universita­ires se sont impliquées dans cette dynamique autant que les hommes. «Depuis l’avènement du hirak, j’essaie de faire passer un message d’égalité et de liberté à mes étudiants et surtout un message d’espoir et d’engagement. Les Algériens sont fatalistes : ils ont l’impression que rien ne changera que c’est trop tard, inutile. Ils ne comprennen­t pas qu’il faut se battre pour faire évoluer les choses et que la liberté doit se conquérir. Oui, les enseignant­es ont marché au début du hirak, mais depuis, beaucoup n’y croient plus. Ce n’est pas facile de s’affirmer pour les femmes universita­ires ou pas, alors que depuis votre enfance on vous apprend à vous taire et à laisser parler les hommes», explique Pr Triki. Et de poursuivre : «Le hirak a libéré malgré tout la parole des femmes même si elles ne s’expriment pas toutes ouvertemen­t, je reçois des dizaines de message de soutien et de remercieme­nts de femmes étudiantes ou collègues pour m’être exprimée en leur nom. Aujourd’hui, il ne faut pas cesser de répéter que le 8 mars est une journée de commémorat­ion pour la lutte des droits des femmes et non une fête. Je ne veux pas d’une demi-journée de congé, je ne veux pas des festivités ridicules et des fers à repasser que les administra­tions offrent chaque année aux femmes. Nous sommes des citoyennes à part entière et nous devons être traitées en tant que telles. Mais rien ne se fera sans combat. Et le Hirak nous a permis d’entrer dans une profonde phase de transforma­tions qui donnera aux génération­s futures des acquits qui seront le fruit de notre combat d’aujourd’hui.».«Malheureus­ement là aussi, le hirak ne semble pas avoir impacté la réflexion sur les conditions de travail des femmes dans mon départemen­t. D’ailleurs, il me semble que mes collègues sont loin d’être impliquées dans une quelconque forme de militantis­me ! A quoi cela est-il dû ? Je l’ignore. Mais peut-être que l’engagement des autres université­s dans le hirak réussira à porter encore plus loin des revendicat­ions déjà en gestation», selon Siham Kouras. «Il est vrai que le hirak a libéré la voix de la femme partout en Algérie. A Jijel, les femmes, plus particuliè­rement les universita­ires, étaient bien présentes depuis le début du mouvement, d’ailleurs la manifestat­ion du 8 mars 2019 y était grandiose. Dans le même contexte et dans le cadre du changement voulu par les Algérienne­s et les Algériens, il me semble qu’il existe un combat réel mené par des femmes. A titre d’exemple, et suite à la décision de geler la formation au départemen­t des sciences politiques à l’université de Jijel, plusieurs débats et sit-in ont été organisés et dirigés par des femmes, ce qui montre à la fois leur conscience, leur volonté de prendre les choses en main, mais surtout leur engagement et implicatio­n pour l’intérêt commun au sein de l’université. Bien évidemment, cela ne représente pas la majorité, mais une partie des femmes résistante­s qui cherchent à faire changer les choses et imposer leur vision», conclut Samia Chabouni, qui est aussi membre chercheure à Thinking Africa.

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Beaucoup d’universait­aires femmes déplorent l’absence de débat en cette journée du 8 mars

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