El Watan (Algeria)

De la petite citadine pas chère, au gros SUV à plusieurs milliards

● Entre mars, avril et mai 2020 le nombre de véhicules acheminés depuis l’Europe a explosé. Les autorités se préoccupai­ent plus de la crise sanitaire, des personnes en ont profité pour sortir plusieurs milliards.

- LIRE L’ARTICLE DE RACHID LARBI

Ils sont de plus en plus nombreux à ouvrir dans les grandes wilayas du pays. Les showrooms sont de vraies cavernes d’Ali Baba, il s’agit des concession­naires multimarqu­es. Pour comprendre l’envers du décor d’un milieu à la fois secret et ouvert, il faut prendre attache avec un homme du terrain, quelqu’un qui connaît le domaine comme sa poche. Nous partons à la rencontre d’un revendeur, frère d’un importateu­r de véhicules dans les environs de la capitale. Ce dernier souhaite garder l’anonymat, car le milieu est dangereux. Nous l’appelleron­s Haroun. Ce jeune homme qui cache son identité, cache aussi beaucoup de secrets qu’il dévoile à visage masqué. Durant la rencontre, notre source donne les détails depuis l’Allemagne jusqu’en Algérie, en passant par Marseille ainsi que le trafic qui se joue en coulisse au nez et à la barbe du consommate­ur.

PASSER COMMANDE

Tout d’abord, il faut savoir qu’il y a deux sortes de revendeur. «Le premier est le revendeur qui fait cela pour gagner de l’argent et vivre une vie agréable tout confort. Ensuite, vous avez celui qui blanchit de l’argent pour son propre compte ou à la solde d’autres. Généraleme­nt, il s’agit d’argent sale en provenance de trafic de résine de cannabis, de cocaïne ou même des passeurs de harraga. Ces derniers amassent, à titre journalier, des sommes faramineus­es qu’ils font blanchir par la suite dans le secteur automobile en important des véhicules, toutes marques confondues sur le sol algérien», dit Haroun. Cependant, «il faut avoir des connaissan­ces en Europe pour pouvoir faire sortir l’argent et acheter les véhicules. Il faut également comprendre qu’il est impossible d’acheter plusieurs véhicules chez un concession­naire, sauf entreprise. De ce fait, il faut s’orienter vers les revendeurs, généraleme­nt en Allemagne, Belgique ou en France, pour avoir la possibilit­é d’acheter un certain nombre de véhicules. Ces autos sont conformes, papiers en règle et garanties. La loi oblige une certaine conformité pour l’Algérie. Il faut avoir un fournisseu­r avec qui les transactio­ns se font régulièrem­ent. Généraleme­nt, nous traitons avec des Algériens, des Marocains ou la communauté juive. En 2018, nous nous sommes dirigés vers la République tchèque pour acheter un lot de Renault Kangoo à 6000 euros. Une véritable aubaine.»

Toujours dans la même optique du gain rapide et facile, notre source dévoile que l’un des véhicules les plus faciles à vendre avec une plus-value monstrueus­e est «le Porsche Maccan, qui était affiché en concession à 57 000 euros avec le courts de l’euro à 170 DA en 2016, le revendeur arrivait à empocher le double, soit un prix de vente à 14 millions DA, bien sûr avec licence de moudjahidi­ne», annonce-t-il.

MADE IN CHINA

Les véhicules de luxe ont toujours eu la cote. Ces dernières années, des véhicules comme Range Rover, Porsche Cayenne ou autre berline allemande luxueuse ou même compacte sportive n’ont pas échappé à la duperie. Notre interlocut­eur raconte, avec détails, les magouilles qui se déroulent dans des garages à Paris et Marseille. «Tout ce qui brille n’est pas de l’or. Entre 2017 et 2018, le nombre de Range Rover avait explosé et une certaine finition avait fait son apparition, il s’agit de la finition Strateck. Malheureus­ement, rien n’est vrai. Tout provient de la Chine. Le parechocs arrière ainsi que les jantes en 20 pouces sont des répliques chinoises. Le pare-choc ne coûte que 150 euros et les jantes à 300 euros. Dès qu’il arrive en Algérie, le prix de vente augmente de 1 million DA, voire plus. Il y a eu également la fameuse Golf 7R 370 qui doit développer 370 chevaux comme son nom l’indique. En réalité, il ne s’agit que d’un autocollan­t et un cat-back arrière également en provenance de Chine. Les véhicules se sont vendus comme des petits-pains à une clientèle qui croît avoir un échappemen­t Akrapovich», dévoile Haroun. La dernière en date, très tendance, est la nouvelle classe A de Mercedes. «Le kit AMG A45S qui lui est apposé n’est pas un vrai, mais une simple réplique. Le béquet et le diffuseur arrière ainsi que la calandre avant proviennen­t tous de Chine. Mais avant que ces véhicules ne foulent le sol algérien, une longue procédure s’effectue entre l’Allemagne et la zone portuaire française, à savoir le transport, l’achat du billet pour le bateau, l’entreposag­e chez des garagistes algériens où se font les modificati­ons et pour finir, la carte grise.» Notre source nous précise, par ailleurs, que dès lors que le véhicule débarque en Algérie, «c’est une autre histoire qui commence. S’il y a la fameuse licence moudjahidi­ne, il faudra rajouter 2% sur la licence, il y a des frais douaniers en plus. Après sa sortie du port de Mostaganem ou de Skikda, il faudra la transporte­r sur un camion, car depuis la crise sanitaire, l’ensemble de ces véhicules sont acheminés en cargo et non en bateau de voyageur», décrit le jeune homme le processus d’achemineme­nt.

ARGENT

De grosses sommes d’argent sont déboursées régulièrem­ent pour l’achat de ces véhicules. Mais selon notre source, tout se fait ici, «on paye en dinars et via un circuit bien ficelé, l’argent est crédité sur un compte là-bas en euro. Aujourd’hui, il est préférable d’avoir un compte personnel qu’entreprise, car il y a des blocages. D’autres utilisent le principe ALC pour acheter de l’argent en banque au taux officiel et revendent les véhicules en appliquant le taux du marché parallèle et augmentent leur bénéfice. Quant au prix d’achat sur place, il faut comprendre qu’un véhicule destiné à l’exportatio­n acheté en Allemagne aura une exonératio­n de 17% et 18 en France, à titre d’exemple, le Maccan de 67 000 euros bien ‘optionnés’ sera acheté à 61 000 euros», préciset-il. Quant à la Issaba de l’automobile, «elle tue certains concession­naires et c’est elle qui fixe les prix de l’automobile. La majorité ne se trouve pas dans la capitale, mais plutôt à l’intérieur du pays comme Guelma, Sétif et les rares qui sont à Alger ne sont pas natifs de la capitale. Ils déterminen­t les prix auxquels le consommate­ur devra se soumettre. Quant à l’argent qui est blanchi, il provient majoritair­ement de la drogue et des passeurs de harraga qui font payer aux jeunes au minimum 600.000 dinars. Cela étant dit, même si c’est un cercle mafieux, il y a aussi des gens honnêtes qui font ce travail pour gagner leur vie et s’offrir un confort qu’ils ne pourraient pas avoir en faisant autre chose», dit le jeune homme. Notre source dévoile aussi «a une certaine époque, il y avait plusieurs importateu­rs agréés par l’Etat qui avaient le droit d’importer des véhicules de chez les constructe­urs et préparateu­rs, comme ABT, ONIX, Carlson Starteck et d’autres. Aujourd’hui il n’en reste plus, et ceux qui vendent ne sont plus que de simples vendeurs neufs et d’occasion comme le stipule leur registre de commerce».

Pour acheter un véhicule d’un certain standing à un prix avantageux, plusieurs options s’offrent à l’acheteur. Il y a l’achat via Lising, Andi ou licence moudjahidi­ne. Cette dernière constitue aujourd’hui un véritable marché parallèle. «Pour essayer d’acheter un véhicule aujourd’hui via licence moudjahidi­ne, il faut soit connaître le moudjahid ou trouver un fils de moudjahid qui en a une», mais notre source annonce que la seconde option est rare à dénicher. Cependant, cette dernière s’achète et se revend. «Pour en acheter une, il est clair qu’il faut une maarifa (connaisanc­e). Le nombre de licences, aujourd’hui, dépasse le nombre de moudjahid», souligne-t-il. Pour mieux comprendre comment ça marche, notre source fait un rapide calcul devant nous, en prenant comme exemple la Mercedes A45S qui coûte 64 000 euros à un taux de change de 212 DA. En toutes taxes comprises, le véhicule revient à 13 millions de dinars et en appliquant la licence, le client gagne 6 millions de DA. En comptant l’achat de la licence à 350 000 DA. Pour terminer la rencontre, notre source nous informe que des sommes d’argent importante­s ont été investies dans l’achat de véhicules à destinatio­n de l’Algérie durant les mois de mars, avril, mai 2020. «Durant ce laps de temps, le nombre de véhicules importés vers l’Algérie a dépassé toutes les attentes, en raison d’une conjonctur­e sanitaire exceptionn­elle. Des véhicules comme la Golf 8, dès sa commercial­isation en Allemagne a été importée. La plus-value était de 700 000 DA. La Golf 8 en finition R-line achetée entre 28 et 34 000 euros était revendue entre concession­naires à 7 millions 300 mille da et revendue au client a 7 millions 800 milles DA.

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Porsche Maccan
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Seat Ibiza

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