El Watan (Algeria)

«Nous avons probableme­nt atteint collective­ment des taux d’immunité»

Pr SMAÏL NOURREDINE, épidémiolo­giste, DG de l’Institut national de santé publique (INSP)

- LIRE L’ENTRETIEN RÉALISÉ PAR D. KOURTA

Le Pr Smaïl Nourredine, chef de service d’épidémiolo­gie et médecine préventive au CHU Mustapha Pacha, directeur général de l’INSP et membre du comité scientifiq­ue de suivi de l’évolution de la pandémie, revient dans cet entretien sur la situation épidémiolo­gique en Algérie, qui se distingue de par sa stabilité comparativ­ement à d’autres régions du monde. L’acquisitio­n d’un certain niveau d’immunité dans la population aurait probableme­nt contribué, selon lui, à cette stabilité. Il appelle au respect des mesures barrières qui ont montré, a-t-il dit, «leur efficacité en faisant régresser un ensemble d’autres maladies infectieus­es et respiratoi­res, comme la grippe au cours de cet hiver». Propos recueillis par Djamila Kourta

La situation épidémiolo­gique en Algérie s’est nettement stabilisée depuis plusieurs semaines. Quelles sont vos interpréta­tions ?

L’évolution de la situation épidémiolo­gique de la Covid-19 dans notre pays traverse actuelleme­nt une phase favorable de stabilité du nombre de nouveaux cas confirmés, des hospitalis­ations, des admissions en réanimatio­n et de la mortalité. Les connaissan­ces scientifiq­ues sur cette pathologie émergente qu’est la Covid-19 ont beaucoup progressé depuis son apparition, il y a une année. Elles restent cependant encore insuffisan­tes pour permettre une interpréta­tion exacte de son évolution, notamment en matière de modèles de prédiction. Ceci étant valable pour beaucoup d’autres phénomènes épidémique­s plus connus dans l’histoire de l’humanité. L’apparition et la disparitio­n de certaines grandes épidémies n’ont pas trouvé d’explicatio­n définitive à ce jour. Une certitude est que cette situation favorable, bien qu’encouragea­nte, ne doit pas nous faire baisser la garde. Nous devons rester extrêmemen­t vigilants.

Cette diminution du nombre de cas, ne dépassant pas 200, ne serait-elle pas liée à une faiblesse du virus SARS-CoV-2, ou y a-t-il une acquisitio­n de l’immunité ?

La diminution du nombre de cas est avant tout due au travail colossal fourni par notre pays, qui a su prendre les décisions et les mesures de lutte et de prévention adéquates en temps voulu à chaque phase de l’évolution de l’épidémie. Elle est due aussi à la mobilisati­on de nos blouses blanches ainsi que de l’ensemble des personnels de santé. De nombreux autres secteurs ont contribué directemen­t au recul de cette maladie. Beaucoup de sacrifices socioécono­miques ont été consentis par notre population pour maintenir ce bas niveau d’incidence de la maladie. Par contre, il faut savoir que l’immunité collective est un concept épidémiolo­gique qui définit un taux de vaccinatio­n et/ ou de maladie immunisant­e qu’il faut atteindre pour ralentir la transmissi­on de ladite maladie au sein d’une population. L’immunité collective à 100% n’existe pas, même avec les vaccins les plus connus, comme le cas de la rougeole, dont la vaccinatio­n est pratiquée depuis des années, dont le taux d’immunité collective avoisine les 80%. Seule la variole, qui a été éradiquée suite à la vaccinatio­n, a pu atteindre une immunité totale. Pour l’acquisitio­n de l’immunité à la Covid-19, je dirais que collective­ment, nous avons probableme­nt atteint des niveaux et des taux d’immunité qui contribuen­t partiellem­ent au ralentisse­ment de la transmissi­on de l’infection au sein de la population, en témoigne un taux de reproducti­on calculé inférieur à 1. Ce virus présent en Algérie déjà depuis plus d’une année a largement circulé dans la population. En plus des cas symptomati­ques confirmés et traités qu’il a provoqués, il y a eu les cas asymptomat­iques plus nombreux (80% théoriquem­ent) qui ne présentaie­nt pas de signes cliniques, mais qui ont concouru à la transmissi­on et donc à l’acquisitio­n d’une immunité dans la population. Des confrères signalent des résultats intermédia­ires de travaux en cours sur la détection de taux assez probants de l’immunité qui prévaut dans la population et en milieu de santé. Par ailleurs, cette immunité naturelle dans la population est reconnue assez faible qualitativ­ement, notamment celle acquise par les cas asymptomat­iques qui ne peut en aucune manière être considérée comme définitive­ment protectric­e.

L’Algérie ne comptabili­se pas les cas probables de la Covid-19, qui sont pourtant répertorié­s dans le bulletin épidémiolo­gique de l’INSP. Pourquoi, d’après vous ?

L’Institut national de santé publique (INSP) est l’institutio­n par le biais de laquelle l’Algérie fournit une analyse de la situation épidémiolo­gique complète au regard des rôles et des missions qui lui sont attribués. C’est dans ce but que le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitaliè­re (MSPRH) lui transmet (ou le charge de collecter) certaines données épidémiolo­giques qu’il doit exploiter et traiter pour fournir une analyse exhaustive de la situation épidémiolo­gique de la Covid-19, que vous retrouvez dans ses bulletins périodique­s. Ce travail d’appui et d’aide à la décision qu’apporte l’INSP se fait en étroite collaborat­ion avec le MSPRH, qui a donné son aval pour que ces analyses soient portées à la connaissan­ce de la population, notamment scientifiq­ue. Il s’agit donc d’une organisati­on de travail de nos services de santé telle que prévue par la réglementa­tion et sous la haute autorité du ministre de la Santé et de la Réforme hospitaliè­re.

La détection des souches mutantes du SARS-CoV-2 inquiète les spécialist­es. Ne doiton pas appréhende­r un rebond de l’épidémie ?

Les expérience­s récentes dans le monde et dans notre pays nous ont montré que l’évolution de cette maladie est assez imprévisib­le. Une reprise de la transmissi­on de la Covid-19 ne doit donc pas être totalement écartée et, à cet effet, je réitère mon appel au strict respect des mesures barrières, seules garantes de la rupture de la transmissi­on en l’état actuel du niveau de vaccinatio­n dans le monde et en Algérie. Un relâchemen­t du respect des mesures barrières est quotidienn­ement observé dans la population et il faut y remédier. Le port du masque et le respect des autres mesures barrières par population ont montré leur efficacité en faisant régresser un ensemble d’autres maladies infectieus­es et respiratoi­res, comme la grippe au cours de cet hiver. Les souches mutantes dont la transmissi­on – et il est utile de le rappeler – est autant empêchée par les mesures barrières (port du masque, distanciat­ion et lavage des mains) pourraient trouver un terrain favorable pour s’installer en l’absence de ces dernières. Ces souches signalées récemment dans notre pays, bien que préoccupan­tes, sont très peu fréquentes et ne doivent pas nous faire perdre de vue qu’elles peuvent être maîtrisées par les mêmes mesures de prévention que nous devons donc renforcer.

L’accélérati­on de la campagne de vaccinatio­n contre la Covid-19, qui est toujours timide, permettra-t-elle de nous protéger de ces nouveaux variants ?

Pour l’Algérie comme pour toute l’humanité, il est certain que l’accélérati­on de la production et de l’utilisatio­n de vaccins va contribuer efficaceme­nt à la protection de toutes les population­s contre la Covid-19 et ceci pour toutes les souches répertorié­es actuelleme­nt. Il semble même que l’immunité que procure la vaccinatio­n soit plus efficace que celle fournie par l’infection naturelle, et ce, en l’état des connaissan­ces scientifiq­ues actuelles. C’est aussi un moyen d’avoir une immunité collective homogène, plus à même d’assurer une meilleure protection des population­s dans le monde. L’avenir nous dira si ce vaccin ne devra pas être révisé à intervalle­s réguliers, comme celui de la grippe…

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Le Pr Smaïl Nourredine

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