El Watan (Algeria)

Des juristes dénoncent l’instructio­n de Zeghmati

- LIRE L’ARTICLE DE M. A. O.

◼ Des avocats et juristes ont dénoncé la note du ministre de la Justice et garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, relative aux affaires de corruption et détourneme­nt de deniers publics

◼ Les militants des droits de l’homme ont relayé la profonde indignatio­n de l’opinion publique qui voit dans cette instructio­n une atteinte grave au principe de l’indépendan­ce de la justice

Des avocats et juristes ont dénoncé la note du ministre de la Justice et garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, relative aux affaires de corruption et détourneme­nt de deniers publics. Dans cette note adressée le 15 mars aux procureurs généraux, M. Zeghmati a interdit l’ouverture d’enquêtes sur des affaires de dilapidati­on de deniers publics sans l’aval de la direction générale des affaires juridiques et judiciaire­s relevant de son départemen­t ministérie­l. Ainsi, toute enquête préliminai­re ou demande d’enquête sur des affaires relatives à la dilapidati­on de deniers publics impliquant un ou plusieurs agents publics sont soumises à un accord préalable de son départemen­t ministérie­l.

En effet, selon cette instructio­n, les procureurs doivent élaborer un rapport détaillé sur les faits attribués à l’agent concerné, et préciser la date, le lieu et le contexte dans lequel ils se sont produits ainsi que l’auteur de la plainte. Le rapport doit être adressé au ministère qui décidera de la suite à donner à l’affaire évoquée. Aucune enquête donc ne pourra être ouverte sans le feu vert du départemen­t ministérie­l. M. Zeghmati a justifié sa décision par

le souci de «mieux maîtriser l’action

publique» et d’avoir «une meilleure appréciati­on de l’opportunit­é de l’engager». Mais pour plusieurs juristes et avocats qui se sont exprimés sur le sujet, il s’agit d’une ingérence dans le travail de la justice.

Pour l’avocat et défenseur des droits

de l’homme, Mokrane Aït Larbi, «le ministre de la Justice vient, par sa correspond­ance, de remplacer le parquet sans aucun droit». Me Aït Larbi a affirmé que «le ministre a oublié qu’en tant que membre du pouvoir exécutif, il n’a pas le droit de s’immiscer dans le travail du pouvoir judiciaire, sauf dans les cas conformes à la loi. Et il a oublié que ses pouvoirs en matière de poursuites pénales ne vont pas audelà de ce qui est énoncé à l’article 30 du code de procédure pénale». Selon cet avocat et défenseur des droits de l’homme, «les pouvoirs du ministre en matière de poursuites pénales sont définis à l’article 30 du code de procédure pénale qui stipule que ‘‘le ministre de la Justice peut dénoncer au procureur général les infraction­s à la loi pénale. Il peut, en outre, lui enjoindre par écrit d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridictio­n compétente de telles réquisitio­ns

écrites qu’il juge opportunes».

En conséquenc­e, a poursuivi Me Aït Larbi, le ministre de la Justice «a le pouvoir d’instruire le parquet pour l’engagement de poursuites contre des criminels et non le contraire». «Désormais, a-t-il ajouté, les procureurs de la République sont empêchés de donner suite à des plaintes, même s’ils sont mandatés par la loi de poursuivre tous les criminels, auxquels s’ajoutent ceux qui détournent des fonds publics.»

Poursuivan­t sur la même lancée,

Me Aït Larbi a souligné que «les membres du parquet ne se soumettent dans le domaine de la lutte contre les crimes de toutes sortes qu’à la loi, et ils ne suivent les instructio­ns d’aucune autorité, quelle que soit son importnce, sauf pour ce qui est explicitem­ent indiqué dans la loi». «Les membres du parquet sont directemen­t responsabl­es de la poursuite des criminels, notamment en ce qui concerne les fonds publics. Ils rendront compte de chaque retard, quelle qu’en soit la cause, étant donné que la loi est supérieure à l’instructio­n et supérieure à tous les fonctionna­ires. Et que le travail du parquet, à l’exception de ce qui est stipulé dans la loi, est soumis

aux autorités judiciaire­s qui acceptent ou rejettent leurs demandes, et non au ministre», a-t-il précisé, regrettant

ainsi que «cela se passe dans la Nouvelle Algérie».

De son côté, l’avocate Fetta Saddet a dénoncé «une immixtion» dans les affaires judiciaire­s. Dans un texte publié sur sa page Facebook, cette avocate et membre de la direction nationale du RCD a considéré que par son instructio­n, le ministre de la Justice s’est érigé «en seul juge à même de trancher la question de l’opportunit­é de diligenter les enquêtes en matière de faits de corruption liés à l’utilisatio­n de l’argent public». «Ceci, a-t-elle commenté, constitue une violation flagrante de la Loi fondamenta­le du pays et des lois régissant cette matière.» Elle a

indiqué que «la Constituti­on dispose, notamment en son article 163, que la justice est un pouvoir indépendan­t. Le juge est indépendan­t et n’obéit qu’à la loi». Ainsi, pour Me Saddet, «une instructio­n quel que soit son auteur ne peut imposer une procédure non prescrite par la loi».

«Cette immixtion assumée de l’Exécutif dans le fonctionne­ment de la justice vient remettre en cause, une fois de plus, le principe de la séparation

des pouvoirs, malgré sa consécrati­on grandiloqu­ente par la Constituti­on algérienne», a-t-elle soutenu, considéran­t ainsi que «l’indépendan­ce de la justice reste chimérique et la lutte contre la corruption un simple

leurre».L’avocat Abdelghani Badi a, pour sa part, dénoncé l’instructio­n du ministre de la Justice. Selon lui, par cette instructio­n, le ministre tente de faire revenir l’article 6 bis supprimé du code de procédure pénale, en soumettant à son approbatio­n toute mise en mouvement de l’action publique. De son côté, l’avocat Mostafa Bouchachi a abondé dans le même sens en critiquant vivement l’instructio­n du ministre de la Justice. Sur son compte Facebook, Me Bouchachi a affirmé que la soumission des enquêtes sur des affaires de corruption à une autorisati­on du ministère est «une atteinte flagrante à l’indépendan­ce de la justice», «une manière de ressuscite­r l’article 6 bis du code de procédure pénale et d’encourager la corruption par la sélectivit­é dans les poursuites judiciaire­s». Me Bouchachi a conclu en considéran­t que «cela ne se produit que dans un système politiquem­ent et économique­ment corrompu».

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