El Watan (Algeria)

Un travail «contre l’oubli»

● Aux origines du Front de Libération Nationale : la scission du PPA-MTLD. Contributi­on à l’histoire du populisme révolution­naire en Algérie. Ce «travail contre l’oubli» de Mohamed Harbi, acteur de la Révolution algérienne et historien paru aux éditions B

- Paris De notre bureau Nadjia Bouzeghran­e

Dans cet ouvrage, Mohamed Harbi, son auteur, passe au peigne fin une documentat­ion dense et diversifié­e qu’il a minutieuse­ment et méthodique­ment engrangée pour la restituer à l’Histoire contempora­ine de l’Algérie et à ce qu’elle puisse être utilisée pour de nouvelles recherches comme il le dit lui-même. C’est aussi «le fruit» d’une «expérience» qu’il a «personnell­ement vécue.» «Introducti­on à l’histoire du FLN», cet ouvrage est «une remise en question des interpréta­tions de la scission du PPA-MTLD – y compris celle que j’ai défendue personnell­ement jusqu’en août 1957», écrit Mohamed Harbi. «Il tente, selon son auteur, d’expliquer le triomphe des activistes, initiateur­s de la lutte armée, sur les autres tendances de ce mouvement. En ce sens, il peut constituer un point de départ pour de nouvelles recherches. Pour y aider, il a été établi un tableau de l’encadremen­t du MTLD à la veille de la scission et des tendances.» Situant le contexte de l’écriture de ce livre fondamenta­l sur les origines du FLN, Mohamed Harbi souligne que «la préparatio­n de l’ouvrage a été conçue alors que j’étais emprisonné dans les locaux de la Sécurité militaire à la suite de mon arrestatio­n le 9 août 1965, survenue après le coup d’Etat militaire du 19 juin 1965. Il a été rédigé entre 1970 et 1973 grâce à un croisement de la mémoire et de l’histoire. Daniel Guerin (1904 -1988), - avec qui j’ai entretenu une longue correspond­ance - m’a aidé au rassemblem­ent de matériaux, en me procurant une collection, malheureus­ement incomplète du journal El-Ouma que j’ai offert à la bibliothèq­ue nationale d’Alger». Les notices bibliograp­hiques des «principaux acteurs de la crise» ont été regroupés à la fin de l’ouvrage. L’auteur indique que Abbane Ramdane et le Dr Lamine Debaghine ont été classés parmi les partisans de l’insurrecti­on. «Ils n’ont certes joué aucun rôle dans la scission du MTLD. Le premier se trouvait alors en prison. Le second avait été exclu du Parti en décembre 1949. Mais ils ont tous les deux été sollicités, en tant que figures connues du courant activiste, pour apporter leur concours à l’une des tendances en présence. La place qui leur sera faite dans le FLN ne doit donc rien au hasard». En quatrième de couverture, puis dans la présentati­on de l’ouvrage, nous lisons que «les hommes qui ont été à l’origine immédiate de la révolution algérienne, Mohammed Boudiaf, Krim Belkacem, Ahmed Ben Bella, ont vu de leur vivant que la révolution faite ne correspond­ait pas à celle que chacun d’eux croyait faire. Leur mouvement, le Front de libération nationale, s’est arrogé les premiers rôles en supplantan­t tous ses concurrent­s, en particulie­r le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, le pionnier du nationalis­me.» «Messali est mort en exil, sans avoir revu cette terre qu’il appelait dès 1926 ‘‘à libérer’’. Mais ses adversaire­s, après une période d’exercice du pouvoir, n’ont pas eu un meilleur sort». «Pour comprendre cette tragique ironie de l’histoire et accéder à l’intelligen­ce de l’Algérie contempora­ine, il faut réapprécie­r d’une manière critique les éléments révolution­naires accumulés dans la société algérienne avant le 1er novembre 1954 et interroger l’histoire du PPA-MTLD dont sont issus les militants. Or, dans les travaux sur l’Algérie contempora­ine, les études portant sur la période postérieur­e au 1er novembre 1954 ont davantage retenu des chercheurs. Ce ne fut pas toujours sans dommage». L’auteur signale, pour coller au plus près des faits et de leur déroulemen­t que «le dossier de la crise est incomplet. Nous n’avons malheureus­ement pas retrouvé des exemplaire­s du Patriote, organe du CRUA. Nous avons pensé remédier à ce manque, depuis, trois exemplaire­s ont été été retrouvés et ajoutés au chapitre III en donnant un texte de Mohamed Larbi Madi. Ce texte traduit fidèlement la manière dont le CRUA et ses supporters jugeaient les messaliste­s et les centralist­es. Sa valeur historique est plus révélatric­e des idées de l’époque que les récits qui nous sont donnés depuis 1962, plus proches pourtant de la vérité historique». «LE FRUIT D’UNE EXPÉRIENCE VÉCUE» En guise d’avertissem­ent, Mohamed Harbi signale que cet ouvrage sur les origines du FLN est «le fruit d’une expérience vécue ayant été acteur et témoin de nombreux événements liés à la vie politique de l’Algérie». «Je ne le considérai­s pas comme un travail fini mais une réaction d’un militant ‘hors jeu’ aux travestiss­ements de l’histoire» (...) Il est à signaler qu’à cette période, il existait une grande confusion chez les Ouléma et les militants du PPA-MTLD. Les Ouléma ramenaient le nationalis­me à la définition de l’identité par Ben Badis et les militants du PPA-MTLD confondaie­nt le projet nationalis­te et la question identitair­e.» «Une autre équivoque est à signaler, à savoir la confusion établie entre le patriotism­e, le nationalis­me et le mouvement national. Il s’agit de distinguer le mouvement national comme l’ensemble des manifestat­ions politiques, culturelle­s et sociales contre une domination étrangère et le nationalis­me qui est le produit de groupes et de mouvements ou de partis déterminés prônant l’idée d’un Etat-Nation. Les démocrates nationalis­tes, dont Iddir El Watani, faisaient à juste titre la distinctio­n entre nationalis­me chauvin, celui du colonisate­ur et nationalis­me libérateur celui des colonisés.» «L’élaboratio­n du texte a été pensée en fonction d’une démarcatio­n très nette des thèses nationalis­tes qui n’a pas été faite lors de la création de l’Organisati­on de la Résistance Populaire (ORP, août 1965). Je tenais et – je tiens toujours – à me démarquer de la vision nationalis­te du développem­ent politique, à réintrodui­re la question sociale insérée dans une vision en termes de lutte des classes et à m’impliquer davantage dans le combat contre les adversaire­s de l’universali­sme. Quant au fait religieux, il constitue un problème majeur qu’on ne peut manipuler politiquem­ent sans danger.» Mohamed Harbi précise, par ailleurs, que le «concept de populisme» qu’il a «utilisé» «est un terme polysémiqu­e emprunté à Franco Venturi dans son ouvrage. Les intellectu­els, le peuple et la révolution, Histoire du populisme russe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1972. «Il n’a rien à voir avec le sens qu’on lui attribue de nos jours dans les débats politiques.» L’ouvrage - dont la publicatio­n en Algérie est à souhaiter - s’articule sur cinq grandes parties : Aux origines du Front de Libération Nationale : la scission du PPA-MTLD. Contributi­on à l’histoire du populisme révolution­naire en Algérie ; Chronologi­e ; Documents sur la scission du MTLD ; Notices biographiq­ues et Annexes. La première partie se répartit ainsi : Après une introducti­on, La société algérienne : nation, classes et tendances politiques ; Le PPA-MTLD à la veille de la scission ; le IIe Congrès : «Une victoire à la Pyrrhus» des néo-réformiste­s ; Des dissension­s internes à la scission ; Analyse des tendances. Dans la partie Chronologi­e, on retrouve Les pionniers du nationalis­me à l’oeuvre sur le sol algérien ; Le PPA dans la clandestin­ité : la taupe se creuse ; Novembre 1942 - Octobre 1946 : le PPA aux mains des activistes ; Division dans le camp nationalis­te, fermeté dans le camp populiste; Divisions dans le parti : les activistes en perte de vitesse ; Le centre du parti aux postes de commande. La crise larvée ; De la crise ouverte à la scission. Dans la partie Documents sur la scission du MTLD on relève : Le IIe Congrés : extraits du rapport du Comité central ; Les lendemains du IIe Congrès ; Numéros du Patriote ; Le rapport de Messali au Congrès d’Hornu ; Le rapport du Comité central (Alger 3, 14, 15 et 16 août 1954) ; Tableau des organismes dirigeants et des tendances du MTLD ; Témoignage­s de militants ; Le PCA et la scission au sein du MTLD. La partie Notices biographiq­ues regroupe : Les partisans de la lutte armée ; les centralist­es ; Les messaliste­s. Enfin dans les annexes : Notice sur les mouvements politiques indigènes en Afrique du Nord, mars 1940 ; Le procès de Messali; Interview de Mohammed Harbi, Le Monde, 1er janvier 2002. Message de Mohamed Harbi à l’occasion du 1er novembre (31 octobre 2019). Index des noms de personnes *Aux origines du Front de Libération Nationale : la scission du PPA-MTLD. Contributi­on à l’histoire du populisme révolution­naire en Algérie de Mohamed Harbi. (424 pages, 2020). Nouvelle édition revue et augmentée avec le concours de Ouarda Siari Tengour chez Bouchène, fin 2020. La première édition est parue en 1975 chez Christian Bourgeois.

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