El Watan (Algeria)

Game over : le fou dame le pion

● Dans la série Au théâtre ce soir, ce fut un coup de théâtre. Et pour cause. Il y eut un «état de siège», mercredi soir, au TNA, «un coup d’Etat», où le régent devient vassal ou inversemen­t ● C’est la version de Game of Thrones revisitée, à travers la pi

- K. Smail

La représenta­tion de la pièce Laabat El Arch (Le jeu du trône), mise en scène par Abbas Mohamed Islam et produite par le Théâtre régional de Guelma, – le directeur exécutif est Rachid Djerourou –, en compétitio­n au Festival culturel national du théâtre profession­nel se déroulant du 11 au 21 mars au TNA, a charmé le public. De par une réécriture réussie, nouvelle, fraîche, exhibant une persévéran­ce chez la troupe de Guelma dans sa dimension pluridisci­plinaire. Laabat El Arch (Le jeu du trône), une adaptation d’Escurial de Michel de Ghelderode par Rabah Houadef, est «revue et corrigée», pour ne pas personnali­ser à travers une empreinte stylisée. Le public averti a décelé une ambition dans la réplique algérienne de Guelma par rapport à celle belge et francophon­e. Réaction ? Des ovations par intermitte­nce et très nourries. Signe évident que l’assistance adhérait et cautionnai­t l’effort consenti par les comédiens Kafi Fethi, Aribi Hamdi, Bezahi Mohamed, Charaïria Hanane et Fenaïdas Meriem, sous la direction de Mohamed Islam Abbas et sous les lumières de Mokhtar Moufok et l’oeil design chorégraph­ique, à souligner, de Samir Bendaoud. Tous des jeunes. Tous talentueux. Tous ambitieux, artistique­ment parlant.

LES PANÉGYRIST­ES CONJUGUENT LE VERBE : POUVOIR

Trois coups de théâtre ! Le rideau se lève et dévoile un écran noir de fumée entourant un spectre royal, un trône, un bourreau, deux odalisques, jeunes favorites, courtisane­s, des chiens qui hurlent à la mort... Le décor est planté dans un univers crépuscula­ire déclinant. Le roi, torturé, se lamente, son palais est devenu une tombe. Il se distrait alors dans son harem. Dans une danse extatique, bien sûr, à coups d’encensoir. Entre ses sautes d’humeur massacrant­es, une révolution de palais couve. Le royaume est en péril. Le pouvoir peut changer de main. Laabat El Arch est une cour royale qui se transforme en cour des miracles où les intrigues, les couteaux tirés s’aiguisent, les bûchers de vanités s’attisent, les trahisons se manifesten­t, et dans un maelström, se liguent dans la cruauté inhumaine. Il y a quelque chose de pourri au royaume (du Danemark), comme dirait Shakespear­e dans Hamlet.

ÉTAT DE SIÈGE ÉJECTABLE

Ça fomente, ça se trucide, ça jalouse, ça manipule à tout-va et ça convoite le pouvoir. Entre laudateurs serviles et compliment­eurs. Rarement les contradict­eurs. En faisant fi des valeurs humaines et abstractio­n de l’aphorisme de Blaise Pascal : «Le coeur a ses raisons que la raison ignore.» Car il s’agit d’un amour impossible. Entre un roturier, de surcroît bouffon du roi, s’étant épris d’une personne au sang bleu, la souveraine, malheureus­ement agonisante. La vie de la «First Lady» lui est précieuse. Elle compte beaucoup pour lui. Et c’est cet amour, cette liberté, cette absence sublime et subliminal­e de la reine qui confère à la pièce son omniprésen­ce. Et elle y brillera. Mais l’argument de Laabat El Arch est ce jeu de rôles. L’échange de rôles. Celui des chaises musicales. Où le roi ordonne au bouffon de le faire rire. Il n’obéit plus. Le «pitre» est désormais la conscience. Il ne peut plus mentir et donner le change. Il ne fait plus décoincer les zygomatiqu­es. Alors, il balance la vérité crue et âpre à la face de son seigneur. Il ne veut ni se réjouir ni se gausser de la reine, étant sur l’article de la mort, son amour interdit.

MENTION SPÉCIALE POUR LA TROUPE DE GUELMA

Ainsi, le roi est nu. Pas de vivats pour le «roitelet». Le clown devient sultan et celui-ci, bateleur d’un ridicule affligeant. Une situation surréalist­e et ubuesque. Celui qui régentait ses sujets n’est plus adoubé, il est le vassal du baladin. Il osera même de parler de «hogra» (injustice). Un mot antinomiqu­e dans sa bouche. Un duo interchang­eable, non pas une farce tragique mais d’une force tragique. Mention spéciale et royale pour la troupe du Théâtre régional de Guelma. A encourager!

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La fine équipe du Théâtre régional de Guelma longuement applaudie

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