El Watan (Algeria)

LE PRÉSIDENT TUNISIEN ET LES BELLES LETTRES

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Avec son arabe châtié débité sur un ton monocorde et saccadé, la communicat­ion du président tunisien détonne par rapport à celle de ses prédécesse­urs. Le philosophe tunisien Youssef Seddik revient pour Sputnik sur ce qui fait la marque de fabrique de ce prof de droit, tout en l’inscrivant dans le contexte de crise politique qui secoue le pays.

Une génération est désormais en voie d’extinction : celle des familles des années de l’Indépendan­ce qui s’agglutinai­ent, tous âges confondus, autour du TSF, unique magie alors disponible pour écouter le bruissemen­t du monde. Pour de nombreux foyers ainsi «branchés», le père imposait souvent un silence quasi religieux quand c’était au «Combattant suprême», le président Habib Bourguiba, de faire ses longues adresses à la nation. Fin tribun et fabuleux communican­t, il avait ce style inimitable, le pouvoir de capter l’écoute et l’attention d’une très large gamme d’auditeurs, chacun guettant le moment de son plaisir. Qui saluant dans un éclat de rire la mise au tapis par l’humour et la moquerie d’un adversaire politique, qui surveillan­t sa rigueur à se référer à tel verset du Coran ou à un hadit du prophète dont il disait qu’il l’aurait approuvé s’il était parmi nos contempora­ins, qui, enfin, nostalgiqu­e de cette France de nos manuels scolaires coloniaux, savourant son don théâtral de restituer une tirade d’une tragédie classique ou le dénouement de La mort du loup, d’Alfred de Vigny… Dès le début de son long vieillisse­ment, le grand conteur qu’avait été le «père de la nation» se contentait de débiter des discours préparés d’avance par ses proches collaborat­eurs, aseptisés, truffés de formules oratoires puisées dans les bréviaires de la rhétorique. Nombreux sont les citoyens qui se sont rabattus sur les enregistre­ments de ses anciens discours pour en constituer un nostalgiqu­e florilège rien que pour le plaisir. Surtout qu’à sa destitutio­n un 7 novembre 1987, son successeur à la tête de l’Etat, Zine El Abidine Ben Ali, un ancien général de l’armée dont Bourguiba avait fait son Premier ministre, s’est avéré bien étranger au maniement de la parole qui séduit ou enchante.

Pendant les 23 ans de son règne sévère et sans partage, le pays s’ennuyait de la raideur de ses adresses à la nation, et les plus osés s’en allaient à singer son bagou monocorde, monotone, au lexique basique.

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