Vulnérabilité sociale
Le dynamisme politique affiché lors des marches hebdomadaires tranche avec la détérioration de la situation sociale qui livre chaque jour ses différentes facettes, porteuses d’incertitudes sur l’avenir immédiat. Si le mouvement de contestation poursuit son cours avec une apparente sérénité, la détresse vécue dans le pays profond n’annonce pas des développements apaisés des événements.
Si on s’autorisait une halte dans ce contexte de très fortes tensions, on s’apercevrait d’un hiatus entre les discours produits dans le pays ou à l’étranger autour de la «révolution citoyenne» et les réalités sociales des populations qui vivent leurs difficultés, parfois dans la confidentialité la plus totale. Les propositions de «structuration» ou de conception de feuilles de route consensuelles de sortie de crise rebondissent sur un vécu fait de privations et d’inquiétudes. Dans les entreprises économiques, ce sont les plans sociaux, devenus incontournables, qui hantent quotidiennement et sans trêve l’esprit des travailleurs. On ne s’aperçoit de leur désarroi que le jour où ils investissent la rue, en rangs encore plus serrés que ceux des manifestations politiques. Entre deux files d’attente devant des établissements financiers à court d’argent, il est difficile, même surréaliste, d’appeler à participer à un débat citoyen sur la réforme de l’Etat.
Pour de larges franges de la population, le projet immédiat est celui de la survie. Donc celui de la reprise du travail et des activités trop longtemps mises en veilleuse pour différentes raisons, dont celle de la pandémie. La montée en cadence des actions de protestation, entendre la «désobéissance civile», suscite plus d’effroi que d’enthousiasme parmi les citoyens. En novembre 2019, pendant les jours de grève générale observée principalement en Kabylie, des images atterrantes avaient marqué les esprits. Des vieux titubant dans la nuit tombante, entre les étals des marchands, cherchant quelques fruits et légumes au fond des caisses vides, suite à la rupture des approvisionnements. Les chalands de l’infortune comme les commerçants de la disette ignoraient quels étaient les belligérants de cette nouvelle guerre non annoncée.
Au prochain épisode de cette stratégie d’«escalade», il n’y aura ni marchandises ni argent. L’écume de l’explosion servira juste de carburant aux managers des révolutions à distance. Ces derniers n’avaient prodigué aucune solution aux milliers d’employés qui ont souffert de restrictions salariales après avoir malencontreusement paralysé leur outil de travail pendant la même grève générale.
Il est un homme politique qui a proposé de confier à des juristes la gestion de la période de transition pour sortir le pays de cette incroyable impasse, où tous les protagonistes se solidarisent pour la faire perdurer. Ce sont, en fait, les économistes qui devraient avoir voix au chapitre pour déterminer quelques modalités de remise en marche des divers secteurs de la vie nationale. Des universitaires, plus généralement, qui tenteront de rétablir l’échelle des valeurs, au premier rang desquelles, celle du travail. En plus d’enrayer le spectre fatidique de l’explosion sociale, la relance économique et la création de richesses amèneront une meilleure disponibilité politique pour asseoir un système démocratique. Ce que ne peut promettre le populisme rampant, dont l’expérience historique montre la totale concordance avec les crises financières.