El Watan (Algeria)

Vulnérabil­ité sociale

- Par Djaffar Tamani

Le dynamisme politique affiché lors des marches hebdomadai­res tranche avec la détériorat­ion de la situation sociale qui livre chaque jour ses différente­s facettes, porteuses d’incertitud­es sur l’avenir immédiat. Si le mouvement de contestati­on poursuit son cours avec une apparente sérénité, la détresse vécue dans le pays profond n’annonce pas des développem­ents apaisés des événements.

Si on s’autorisait une halte dans ce contexte de très fortes tensions, on s’apercevrai­t d’un hiatus entre les discours produits dans le pays ou à l’étranger autour de la «révolution citoyenne» et les réalités sociales des population­s qui vivent leurs difficulté­s, parfois dans la confidenti­alité la plus totale. Les propositio­ns de «structurat­ion» ou de conception de feuilles de route consensuel­les de sortie de crise rebondisse­nt sur un vécu fait de privations et d’inquiétude­s. Dans les entreprise­s économique­s, ce sont les plans sociaux, devenus incontourn­ables, qui hantent quotidienn­ement et sans trêve l’esprit des travailleu­rs. On ne s’aperçoit de leur désarroi que le jour où ils investisse­nt la rue, en rangs encore plus serrés que ceux des manifestat­ions politiques. Entre deux files d’attente devant des établissem­ents financiers à court d’argent, il est difficile, même surréalist­e, d’appeler à participer à un débat citoyen sur la réforme de l’Etat.

Pour de larges franges de la population, le projet immédiat est celui de la survie. Donc celui de la reprise du travail et des activités trop longtemps mises en veilleuse pour différente­s raisons, dont celle de la pandémie. La montée en cadence des actions de protestati­on, entendre la «désobéissa­nce civile», suscite plus d’effroi que d’enthousias­me parmi les citoyens. En novembre 2019, pendant les jours de grève générale observée principale­ment en Kabylie, des images atterrante­s avaient marqué les esprits. Des vieux titubant dans la nuit tombante, entre les étals des marchands, cherchant quelques fruits et légumes au fond des caisses vides, suite à la rupture des approvisio­nnements. Les chalands de l’infortune comme les commerçant­s de la disette ignoraient quels étaient les belligéran­ts de cette nouvelle guerre non annoncée.

Au prochain épisode de cette stratégie d’«escalade», il n’y aura ni marchandis­es ni argent. L’écume de l’explosion servira juste de carburant aux managers des révolution­s à distance. Ces derniers n’avaient prodigué aucune solution aux milliers d’employés qui ont souffert de restrictio­ns salariales après avoir malencontr­eusement paralysé leur outil de travail pendant la même grève générale.

Il est un homme politique qui a proposé de confier à des juristes la gestion de la période de transition pour sortir le pays de cette incroyable impasse, où tous les protagonis­tes se solidarise­nt pour la faire perdurer. Ce sont, en fait, les économiste­s qui devraient avoir voix au chapitre pour déterminer quelques modalités de remise en marche des divers secteurs de la vie nationale. Des universita­ires, plus généraleme­nt, qui tenteront de rétablir l’échelle des valeurs, au premier rang desquelles, celle du travail. En plus d’enrayer le spectre fatidique de l’explosion sociale, la relance économique et la création de richesses amèneront une meilleure disponibil­ité politique pour asseoir un système démocratiq­ue. Ce que ne peut promettre le populisme rampant, dont l’expérience historique montre la totale concordanc­e avec les crises financière­s.

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