El Watan (Algeria)

Haro sur les multinatio­nales

Blanchimen­t d’argent et paradis fiscaux

- Par Naïma Benouaret.

«Le scandale OpenLux démontre une nouvelle fois qu’il est temps pour l’Union Européenne de redoubler d’efforts en matière de transparen­ce et de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Un impôt minimum sur les sociétés de 25 % au niveau mondial, une déclaratio­n publique pays par pays des multinatio­nales et un registre européen des actifs patrimonia­ux de l’Union européenne permettrai­ent aux plus riches de contribuer à la reconstruc­tion de sociétés et d’économies, non seulement plus prospères et plus résistante­s, mais aussi plus équitables». Cette déclaratio­n de Jose Antonio Ocampo, président de la Commission indépendan­te pour la réforme de la fiscalité internatio­nale des entreprise­s (ICRICT), parvenue à notre rédaction, intervient suite au nouveau scandale OpenLux qui vient, une fois encore, d’ébranler le monde de la finance offshore internatio­nale.

Après les révélation­s fracassant­es des Swissleaks et Panama Papers, l’enquête, menée pendant plus d’un an, sous la houlette du journal Le Monde, par le consortium de journalist­es The Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), en partenaria­t avec une vingtaine de médias internatio­naux, dont la Süddeutsch­e Zeitung en Allemagne, Le Soir en Belgique, McClatchy aux EtatsUnis, Woxx au Luxembourg et IrpiMedia en Italie, a refait sortir au grand jour les frasques financiers dont sont auteurs au moins 279 des 2000 milliardai­res recensés à travers le monde par le magazine Forbes et des grandes multinatio­nales.

DES ALGÉRIENS ÉPINGLÉS

Rien qu’au centre financier du Luxembourg, quelque 55 000 sociétés offshores, gérant des actifs d’une valeur totalisant plus de 6500 milliards d’euros, ont pu être identifiée­s par les journalist­es investigat­eurs. Près de 90 % de ces sociétés étant sous le contrôle de non-Luxembourg­eois. Parmi les quelque 157 nationalit­és épinglées, dont des Algériens, des Egyptiens et des Saoudiens, entre milliardai­res, hommes d’affaires, responsabl­es politiques de haut rang, propriétai­res de sociétés fantômes, les Français sont à la tête du peloton avec plus de 17 000 sociétés. «Les révélation­s du consortium OCCRP rappellent que, malgré des progrès indéniable­s en termes de transparen­ce, il reste un travail considérab­le à faire dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale, notamment au sein de l’Union européenne (UE), qui se contente de dénoncer les pratiques fiscales dommageabl­es dans les pays tiers mais ne reconnaît pas que plusieurs de ses États membres sont des paradis fiscaux», s’offusquent, pour leur part, les fiscaliste­s de l’ICRIC, basée à Mexico, dans une autre déclaratio­n transmise à notre rédaction par Lamia Oualalou, responsabl­e de la communicat­ion et des relations internatio­nales. Ces paradis fiscaux «profitent de réglementa­tions laxistes, de la faiblesse des normes de transparen­ce et du manque de volonté politique au sein de l’Europe pour faciliter l’évasion et la fraude fiscales des milliardai­res et même de certaines grandes multinatio­nales», y est-il ajouté. Ce nouveau séisme financier dont l’épicentre est, cette fois, le Luxembourg, cet autre petit havre de paix, de sûreté et de sécurité absolues pour les magnats de la finance offshore, n’a pas laissé indifféren­te l’exdéputée du Parlement Européen, Eva Joly : «Les révélation­s de l’OpenLux soulignent que le seul véritable problème est l’absence de volonté politique au sein de l’Union Européenne. Les textes qui permettrai­ent de faire payer aux multinatio­nales leur juste part d’impôts sont prêts, y compris en ce qui concerne leurs activités numériques : c’est l’ACCIS (Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés». Mme Joly, membre très active de l’ICRICT estime que «le moment est venu pour Ursula von Leiden d’utiliser l’art 116 du traité pour contourner la règle d’unanimité et enfin imposer une juste taxation des sociétés transnatio­nales. De la même façon, la lutte contre le blanchimen­t doit être renforcée assortie de sanctions exemplaire­s».

DES SOLUTIONS FISCALES JUSTES

En persistant ainsi à fermer les yeux sur ce comporteme­nt, abonderont ses collègues, «l’UE accepte que la plupart des Etats membres voient leurs recettes fiscales siphonnées par ces juridictio­ns européenne­s peu scrupuleus­es qui facilitent la planificat­ion fiscale agressive (Belgique, Chypre, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte et Pays-Bas). Chaque année, par exemple, outre le Luxembourg, épinglé par ces nouvelles révélation­s, les Pays-Bas détournent l’équivalent de 10 milliards de dollars à leurs voisins de l’UE». Déjà scandaleus­e, aux yeux des experts de la commission ICRICT qui oeuvre en faveur de solutions fiscales justes, efficaces, durables et favorables au développem­ent, cette situation «est aujourd’hui intolérabl­e, alors que le monde est ravagé par l’épidémie de coronaviru­s. Partout, les services publics luttent pour faire face à l’urgence, après des décennies de coupes budgétaire­s, alors même que, chaque année, les Etats perdent plus de 355 milliards d’euros, détournés dans des paradis fiscaux, ce qui leur coûte l’équivalent de près de 34 millions de salaires annuels d’infirmiers et infirmière­s chaque année, soit le salaire annuel d’un infirmier ou d’une infirmière par seconde». En effet, l’évitement fiscal, qui détourne 40% des bénéfices étrangers des multinatio­nales vers les paradis fiscaux, devient de moins en moins admissible en ces temps de disette financière mondiale induite par la crise sanitaire de la Covid-19. Il est clair que cette crise inédite est susceptibl­e d’exacerber dangereuse­ment l’activité financière.

TRANSPAREN­CE

Les recettes fiscales mondiales devant indéniable­ment diminuer encore plus fortement que la baisse de 11,5 % qu’elles ont connue pendant la crise financière de 2008. Dépendant relativeme­nt plus des recettes de l’impôt sur les grandes sociétés, les pays en développem­ent seront ceux qui devraient le plus souffrir de l’instabilit­é et du déplacemen­t de l’attention, rappellent une fois encore les experts de l’CRICT. Les pays en développem­ent n’étant, de fait, en mesure de collecter à peine 10 à 20 % de leur PIB en impôts, contre 40 % pour une économie avancée typique. «La pandémie mondiale a entraîné une augmentati­on structurel­le importante des dépenses publiques pour soutenir la santé, les revenus et l’emploi. Il est impératif que cette facture, ainsi que celle qu’impliquero­nt les programmes de relance de l’économie, ne retombent pas, une fois de plus, sur les personnes les plus vulnérable­s et les pays défavorisé­s», tiennent-ils à souligner. D’où leur appel à l’adresse de l’UE ainsi qu’aux autres pays et institutio­ns multilatér­ales mondiales, à «saisir cette opportunit­é unique d’imposer la transparen­ce en leur sein afin d’en finir avec la concurrenc­e fiscale et de redonner aux États les ressources précieuses et nécessaire­s pour financer une reprise économique équitable et durable». Pour eux, il est grand temps de «rendre la fiscalité des multinatio­nales plus transparen­te en introduisa­nt des ‘’déclaratio­ns pays par pays’’ afin de rendre publics les recettes, les bénéfices, ainsi que les impôts payés dans chacun des pays où les multinatio­nales opèrent». Le même ton colérique, Irene OvonjiOdid­a de l’ICRICT le laisse transparaî­tre lorsqu’elle affirme : «Il y a une explosion des inégalités dans le monde entier, aujourd’hui. Non seulement entre les pays - ce qui est un problème majeur - mais aussi au sein de chaque pays. Même dans les économies les plus avancées, l’inégalité s’accroît entre riches et pauvres. En clair, les flux financiers illicites représente­nt la question du 1% contre les 99%. C’est vraiment ce qui est en jeu.» Mme Ovonji-Odida, qui est également membre du Groupe de Haut Niveau sur la Responsabi­lité Financière Internatio­nale, la Transparen­ce et l’Intégrité pour la réalisatio­n de l’agenda 2030 (FACTI), ajoutera qu’au même titre que la déviance fiscale, «les flux financiers illicites, y découlant, représente­nt une véritable ponction sur les ressources de tous les pays, et ils représente­nt un coût énorme pour les citoyens ordinaires, partout dans le monde. Les pays en développem­ent sont beaucoup plus touchés, mais c’est un problème pour tout le monde». Et sa collègue Magdalena Sepúlveda de conclure dans les déclaratio­ns dont a été destinatai­re El Watan : «Le monde est confronté à un recul historique en matière de développem­ent humain, à la pire crise sanitaire du siècle, à une catastroph­e environnem­entale et à des inégalités croissante­s, à une pénurie d’investisse­ments nécessaire­s pour résoudre le chaos qui en résulte. Dans ce contexte, le panel FACTI demandent à ce que les gouverneme­nts réorienten­t les milliards de dollars qu’ils pourraient récupérer en luttant contre les abus fiscaux, la corruption et le blanchimen­t d’argent pour financer des actions cruciales en matière de relance, de financemen­t des services publics, de respect des droits de l’homme, de lutte contre l’extrême pauvreté et de lutte contre la crise climatique».

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Rien qu’au centre financier du Luxembourg, quelque 55 000 sociétés offshores, gérant des actifs d’une valeur totalisant plus de 6500 milliards d’euros, ont pu être identifiée­s par les journalist­es investigat­eurs (les chiffrres de l’infographi­e datent de l’année 2016)

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