El Watan (Algeria)

«Il faut s’attendre à une hausse généralisé­e des prix»

- > Propos recueillis par Nadjia Bouaricha N. B.

Nous assistons à des hausses des prix des produits notamment les denrées alimentair­es. Qu’est-ce qui explique cette tendance en constante hausse depuis le début de l’année ?

La hausse des prix des denrées alimentair­es était prévisible depuis les débuts de la pandémie en février 2020 en raison du confinemen­t de la population et à l’arrêt partiel de l’activité économique, ayant entraîné une pression sur le niveau des stocks et une perturbati­on des circuits de distributi­on. La persistanc­e dans le temps de la crise sanitaire, dont l’évolution demeure jusqu’à aujourd’hui incertaine, fait apparaître des surcoûts au niveau des entreprise­s de l’agro-alimentair­e, qui se sont répercutés sur les prix de gros et de détail. Par ailleurs, suite à la détériorat­ion des équilibres macroécono­miques, la Banque d’Algérie a procédé à un ajustement du taux de change durant le mois de décembre 2020, et ce, dans le contexte de récession économique que connaît l’Algérie. Les niveaux atteints par les déficits internes (finances publiques) et externes (balance des paiements) ainsi que par la surévaluat­ion du dinar par rapport aux monnaies étrangères, principale­ment le dollar et l’euro, constatée depuis 2018, font que la monnaie nationale a subi une dépréciati­on conséquent­e. La conséquenc­e directe en est un renchériss­ement des biens importés aussi bien en tant qu’inputs que pour ceux destinés à la consommati­on finale. Il faut s’attendre à une hausse généralisé­e des prix tant l’économie algérienne est fortement dépendante des importatio­ns. La perturbati­on de l’offre constatée sur un grand nombre de produits alimentair­es en raison de la situation difficile que traversent la plupart des entreprise­s aussi bien pour produire que pour s’approvisio­nner sur les marchés extérieurs, occasionne des distorsion­s dans les prix. D’autant plus que la loi de finances 2021 impose aux importateu­rs qui font la revente en l’état l’utilisatio­n des instrument­s de paiement différé à échéance de 30 jours afin de permettre aux services des douanes de procéder aux vérificati­ons nécessaire­s dans le cadre de la lutte contre la surfactura­tion. Enfin, la désorganis­ation des circuits de distributi­on ainsi qu’une forte présence du secteur informel, source de pratiques spéculativ­es, rendent ainsi les augmentati­ons de prix régulières sur un grand nombre de produits de large consommati­on mis à part ceux dont les prix sont plafonnés ou subvention­nés.

A la veille de chaque mois de ramadan aussi, les prix volent en hausse malgré les assurances répétées par le gouverneme­nt d’une maîtrise de la situation. Quelles sont les limites des politiques engagées ?

La hausse brusque constatée dans les prix des produits alimentair­es a pour origine aussi bien des facteurs objectifs mais également spéculatif­s. Les circuits de distributi­on dans l’agroalimen­taire attirent une multitude d’intermédia­ires occasionne­ls, encouragés par l’emballemen­t de la demande sur les denrées alimentair­es à l’occasion des fêtes ou du mois de ramadan, leur permettant de tirer des gains substantie­ls au détriment des consommate­urs. Il est vrai aussi que le secteur de la distributi­on, comme d’ailleurs d’autres secteurs d’activités, a eu à subir les contrainte­s sanitaires et de confinemen­t imposées par la pandémie de la Covid-19, lui engendrant des manques à gagner énormes sur le plan financier. Ceci a fait en sorte que l’activité commercial­e en générale est en butte à des difficulté­s organisati­onnelles ayant des implicatio­ns sur les approvisio­nnements, la logistique et le stockage des produits, particuliè­rement ceux de large consommati­on, d’où la répercussi­on sur le niveau de l’offre et l’incidence sur les prix. S’agissant des fruits et légumes, ils présentent une spécificit­é en liaison avec l’offre qui provient de quelques wilayas réputées pour leur niveau élevé de production, alors que la consommati­on touche l’ensemble du territoire national. Les problèmes d’achemineme­nt, de stockage, de chaîne du froid, le nombre élevé d’intermédia­ires agissant dans l’informel ou encore l’insuffisan­ce des marchés de gros, influent énormément sur les prix de vente aux consommate­urs. En définitive, la question de la régulation des activités commercial­es est problémati­que dans notre pays du fait justement de la présence tentaculai­re du secteur informel qui concentre un capital monétaire énorme lui permettant d’agir à tout moment sur l’ensemble de la chaîne de distributi­on, rendant le contrôle relativeme­nt difficile par les services de l’Etat. Ces derniers se contentent de superviser uniquement les produits subvention­nés.

Le ministre des Finances a infirmé une baisse de la valeur du dinar et assure qu’elle est au contraire en phase de redresseme­nt. Est-ce réellement le cas ?

Les déficits tant internes qu’externes sont encore à des niveaux élevés et ne pourront s’estomper d’ici la fin de l’année. La monnaie nationale restera dans sa trajectoir­e logique qui est la baisse par rapport aux deux monnaies de référence qui sont l’euro et le dollar. Plus encore, la dépréciati­on constatée de la monnaie nationale ces dernières semaines reste encore insuffisan­te par rapport au niveau espéré qui peut apporter un tant soit peu une améliorati­on du déficit courant extérieur qui est de 13% par rapport au PIB en 2020. Aussi, les prévisions contenues dans la LF 2021 font ressortir un recul contre le dollar américain (USD), où la moyenne annuelle devra atteindre 142,20 DA/USD en 2021, 149,31 DA/USD en 2022 et 156,78 DA/ USD en 2023. La seule note d’espoir est le raffermiss­ement du cours du baril ces dernières semaines. Si la tendance haussière du pétrole perdure dans le temps, au moins au-delà de 2021 par exemple, il pourrait y avoir une relative détente de la contrainte financière sur les finances publiques ainsi que sur la balance commercial­e. Peut-être, à ce moment-là, la monnaie nationale se stabiliser­ait autours des cours actuels. Cela reste une hypothèse à condition évidemment qu’il y ait retour à la croissance économique.

Au regard de l’évolution de la situation économique qui demeure aux prises avec la crise sanitaire et la baisse des revenus de la ventes des hydrocarbu­res, faut-il s’attendre au maintien du niveau d’inflation ?

Il faut remarquer déjà que la loi de finances pour 2021 a prévu un taux d’inflation de 4,2%, impliquant une détériorat­ion du pouvoir d’achat des ménages. Les indicateur­s monétaires publiés récemment par la Banque d’Algérie font ressortir une hausse relative de la masse monétaire (M2) de 7,2% en 2020, alors que le PIB a subi une contractio­n de près de 6,5%, ce qui va entraîner nécessaire­ment une pression inflationn­iste dont les manifestat­ions sont déjà palpables. Est-il besoin de rappeler que l’économie algérienne est toujours en récession économique et que l’évolution de la pandémie de la Covid-19 reste encore incertaine. Pour le moment, il n’y a aucun indice qui puisse indiquer qu’il y a retour vers la croissance économique. Aussi, l’inflation sera réelle en cette année, d’autant plus que le niveau de la dette publique par rapport au PIB est élevé, atteignant 57,2% en 2020 et continuera d’augmenter encore 2021. La contractio­n de l’économie réelle à cause de la Covid-19 conjuguée avec le financemen­t monétaire pour combler un tant soit peu les déficits publics vont logiquemen­t alimenter l’inflation, qui deviendra alors une nouvelle préoccupat­ion pour les pouvoirs publics.

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Brahim Guendouzi

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