«L’exégèse» problématique de Mohamed Charfi
La déclaration faite par Mohamed Charfi, président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), dimanche sur les ondes de la Chaîne 1 de la Radio nationale, à propos du calcul des voix exprimées pour chaque liste et pour chaque candidat sur la même liste, a suscité de nombreuses réactions. Selon lui, les bulletins glissés dans l’urne où l’électeur n’a pas coché les noms du candidat ou des candidats de son choix sont acceptés. Jusque-là, rien d’anormal. Mais Mohamed Charfi ajoute que les bulletins en question seront comptabilisés en tant que voix pour la liste concernée et pour chacun des candidats qui y sont inscrits. Cette «interprétation» de la nouvelle loi électorale ne fait pas, bien entendu, l’unanimité. A cet effet, il faut rappeler que l’article 156 de l’ordonnance n°21-01 du 10 mars 2021 portant loi organique relative au régime électoral stipule que les bulletins nuls sont «l’enveloppe sans bulletin ou le bulletin sans enveloppe, plusieurs bulletins dans une enveloppe, les enveloppes ou bulletins comportant des mentions, griffonnés ou déchirés, les bulletins entièrement ou partiellement barrés, ou comportant toute mention, sauf lorsque le mode de scrutin choisi impose cette forme et dans les limites fixées suivant la procédure prévue aux articles 170 et 192 de la présente loi organique et les bulletins ou enveloppes non réglementaires». Le même article ajoute que «les bulletins de vote ne comportant aucun choix de candidat sont considérés suffrage exprimé au profit de la liste». Donc, pas de mention pour une quelconque attribution de voix pour chacun des candidats de la même liste.
«Les responsables de l’Autorité (indépendante) ne se rendent-ils pas compte que permettre à une autre personne d’assister un électeur à l’intérieur de l’isoloir (articles 148 et 149 de la loi électorale, ndlr) pour le choix des candidats est une atteinte au principe qui énonce que le vote est personnel et secret et que chaque électeur, dans le système de listes ouvertes, est obligé de choisir des candidats en cochant leurs noms sinon le bulletin est annulé ?» s’est demandé, à ce propos, l’universitaire et spécialiste en droit constitutionnel Ahmed Betatache, qui a tenu à rappeler qu’il avait, dès le départ, émis des réserves par rapport au système électoral choisi dans cette loi (système de listes ouvertes) dans la mesure où, a-t-il dit, «20% des électeurs ne savent ni lire ni écrire».
Cette déclaration de Charfi peut être aussi en contradiction avec les articles 170 et 176, pour les élections locales, et 191 et 192, pour les législatives, de la loi électorale qui stipulent que «dans chaque bureau de vote, l’électeur, une fois dans l’isoloir, opte pour une seule liste et exprime un vote préférentiel pour un ou plusieurs candidats de cette liste dans la limite du nombre des sièges attribués à cette circonscription électorale». Ceci sachant que «la liste des candidats doit comprendre un nombre de candidats supérieur de trois au nombre de sièges à pourvoir dans les circonscriptions électorales dont le nombre de sièges est impair et de deux dans les circonscriptions électorales dont le nombre de sièges à pourvoir est pair». C’est-à-dire dans une circonscription de 19 sièges, par exemple, une liste doit comprendre 22 noms et l’électeur doit en cocher 19 au maximum. Or, d’après l’«interprétation» du président de l’Autorité, les 22 noms de la liste auront une voix chacun dans le cas où l’électeur n’a pas coché de noms. En dernier lieu, il faut noter que les «bulletins nuls» sont devenus un enjeu au vu de leurs nombres de plus en plus élevés enregistrés ces dernières années. Pour rester dans les toutes dernières élections, 637 308 bulletins nuls ont été comptabilisés lors du référendum du 1er novembre, sur un total de 5 661 547 votants, soit un taux de 11,25%, alors que le taux était de 12,76% (1 244 925 bulletins nuls sur 9 755 340 voix exprimées) lors de la présidentielle du 12 décembre 2019.
L’ANIE craint-elle qu’il y ait un nombre important de bulletins nuls vu que l’opération de vote pourrait être compliquée pour certaines catégories de la société ? En tout cas, l’Autorité est appelée à fournir plus de précisions par rapport à cette question.