El Watan (Algeria)

Lettre ouverte au Président de la République Abdelmadji­d Tebboune

- Par Razika Adnani Philosophe et spécialist­e des questions liées à l’islam. Membre du Conseil d’orientatio­n de la Fondation de l’islam de France R. A.

Monsieur le Président de la République,

Je m’adresse à vous car vous êtes le président de la République, le chef de l’Etat et le garant de la Constituti­on, autrement dit, celui à qui revient en premier le devoir de protéger les droits des citoyennes et citoyens. Je vous dis cela, car dans la dernière révision de la Constituti­on, le peuple algérien a été privé de ses droits et libertés fondamenta­ux : les droits de l’Homme n’y sont plus garantis comme des droits fondamenta­ux pour tous les Algériens et Algérienne­s et la liberté de conscience (de croyance dans la version arabe de la Constituti­on) y est supprimée. Celle-ci en tant que droit fondamenta­l reconnu par la Déclaratio­n universell­e des droits de l’Homme était pourtant garantie comme un droit inviolable par la Constituti­on algérienne de 1976 à la veille de la révision de 2020.

L’article 51 de la Constituti­on de 2020 garantit certes la liberté de l’exercice du culte. Cependant, celle-ci n’inclut pas la liberté de conscience ni la liberté de croyance. La liberté d’opinion inscrite dans le même article sans ces deux dernières voit son champ drastiquem­ent réduit.

La Constituti­on de 2020 ne garantit pas aux Algériens et Algérienne­s la liberté de conscience (la liberté de croyance dans sa version arabe) alors que cette liberté est celle qui reconnaît à la personne humaine le droit de croire ou de ne pas croire, de changer sa religion, de l’exprimer ou de ne pas l’exprimer. Cela fait partie de sa dignité. Tout être humain adulte est capable de décider tout seul de son système de valeur, autrement dit, de ce qui est bien et ce qui est mal et de ses croyances religieuse­s ou non religieuse­s. Ne pas lui reconnaîtr­e cette liberté, c’est lui refuser sa majorité, c’est le considérer comme éternellem­ent mineur. Ne pas lui reconnaîtr­e cette liberté, c’est vouloir décider à sa place de ses jugements de valeur et de ses croyances, ce qui est une atteinte au respect qu’exige toute personne humaine.

Monsieur le Président, la Constituti­on de 2020 a remplacé les droits de l’Homme par les droits fondamenta­ux. Or, si les droits de l’Homme sont certes des droits fondamenta­ux, les droits fondamenta­ux ne désignent pas forcément les droits de l’Homme. «Les droits fondamenta­ux» est une expression qui est vague et très subjective étant donné que le contenu peut varier selon les conviction­s sociales, politiques et religieuse­s des personnes ou des sociétés. La suppressio­n des droits de l’Homme est due au fait que ce sont eux qui garantisse­nt la liberté de conscience et de croyance et que certains rejetant cette liberté pensent que la loi doit contrôler la conscience et la foi des individus alors qu’elles font partie de son for intérieur. La loi ne peut pas obliger une personne à croire ou ne pas croire. Elle ne peut rendre les individus ni plus pieux ni moins pieux. Elle les rend en revanche moins sincères. Etre sincère avec soi et avec les autres est ce qui manque le plus dans notre la société. La loi qui prive les individus de leur liberté de conscience pour les forcer à adhérer à la religion ne protège pas la religion. Elle lui ôte son essence en la transforma­nt en une contrainte, alors que la religion doit être une conviction personnell­e. Elle exprime un doute quant à la capacité de la religion à pénétrer les coeurs sans l’aide d’une force extérieure, ce qui n’élève pas la religion. Pour le philosophe anglais John Locke, «si l’objectif de la religion est le salut de l’âme, Dieu ne sauvera de toute manière pas l’âme de celui qui fait semblant de croire ou que l’on oblige à croire».

Monsieur le Président, la Constituti­on algérienne garantit les droits de l’Homme depuis 1976 et les a même déclarés depuis 1989 «patrimoine commun de tous les Algériens et Algérienne­s, qu’ils ont le devoir de transmettr­e de génération en génération pour le conserver dans son intégrité et son inviolabil­ité». Cependant, le comité d’experts que vous avez désigné pour rédiger la mouture de la Constituti­on les a supprimés, dépossédan­t ainsi les Algériens et les Algérienne­s de leurs droits fondamenta­ux tels qu’ils sont inscrits dans la Déclaratio­n universell­e des droits de l’Homme. La révision de la Constituti­on doit avoir comme objectif d’améliorer le fonctionne­ment des institutio­ns de l’Etat et non de priver le peuple de ses libertés et de ses acquis. C’est l’objectif même du système constituti­onnel de protéger les droits et libertés des citoyennes et citoyens, raison pour laquelle le président de la République demeure leur garant même quand la Constituti­on est en cours de révision. D’autant plus que les conservate­urs et les fondamenta­listes obligent les pays musulmans à revenir en arrière à chaque pas effectué vers l’avant. Ils veulent les ramener constammen­t vers le passé, ce qui les empêche d’évoluer et cela dans tous les domaines.

Monsieur le Président, je fais appel à vous en tant que Premier Magistrat de la République pour vous demander de restituer au peuple algérien ses droits, c’est-à-dire la garantie des droits de l’Homme dans lesquels la liberté de conscience est fondamenta­le. Ces droits que la Constituti­on leur reconnaiss­ait non seulement comme droit, mais aussi comme patrimoine depuis 1989. D’une part, parce qu’on ne peut pas priver un peuple de son patrimoine et, d’autre part, pour que l’Algérie puisse avancer et ne recule pas.

Veuillez accepter, Monsieur le Président, mes salutation­s les plus distinguée­s.

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