El Watan (Algeria)

«L’Algérie n’est pas concernée par un risque tsunami»

- Propos recueillis par Nabila Amir N. A.

Dans cet entretien, le professeur Abdelkrim Chelghoum écarte le risque tsunami et indique qu’il est impossible de prédire la survenance d’un séisme dévastateu­r. Les tremblemen­ts de terre demeurent, selon lui, imprévisib­les, imprédicti­bles et non négociable­s à travers la planète. Toutefois, le Pr Chelghoum estime que l’actuelle carte de zonage, élaborée dans la précipitat­ion, n’est pas fiable et sa révision dans le fond et la forme s’impose. Si l’on se réfère à cette réglementa­tion, il est mentionné que la wilaya de Batna est classée en Zone I, Mila-Béjaïa-Sétif-Jijel en Zone II, c’est-à-dire une sismicité de faible à modérée, alors que la réalité vient contredire cette cartograph­ie. M. Chelghoum regrette que les pouvoirs publics n’aient rien fait en matière d’éducation du citoyen aux phénomènes des risques majeurs. La ville de Béjaïa a été frappée mercredi dernier par un séisme de magnitude 5,9 sur l’échelle de Richter, selon le Craag. L’USGS (U. S. Geological Survey), l’institut d’études géologique­s des Etats-Unis, et le Centre sismologiq­ue euro-méditerran­éen l’ont signalé, quant à eux, à une magnitude de 6,0. Une explicatio­n et est-ce une activité normale ?

En effet, j’ai pu noter cette différence dans la mesure de la magnitude de ce séisme entre le Craag et les autres observatoi­res. En fait, ce n’est pas la première fois, mais je dois dire que pour nous, experts en génie parasismiq­ue, la décimale 0,1 est très importante dans la vérificati­on de la résilience d’un ouvrage. Un séisme de 6,0 est 4 fois plus puissant qu’un séisme de magnitude 5,9. Compte tenu du maillage du réseau Craag, je pense que la magnitude 5,9 est plus correcte. L’activité sismique très dense et concentrée depuis plus d’une année dans un mouchoir de poche Batna-Mila-Skikda-Jijel-BéjaïaCons­tantine-Annaba. Normalemen­t, cette situation doit faire l’objet d’une étude très poussée et très fine de la part du Craag, ce qui doit déboucher, à mon avis, sur une révision dans le fond et la forme de la carte du zonage sismique actuel.

Vous dites qu’il faut une révision dans le fond et la forme de la carte du zonage sismique actuelle. Pourquoi ?

Oui, car l’actuelle carte de zonage a été élaborée dans la précipitat­ion après la catastroph­e de Boumerdès du 21 mai 2003 sans aucun fondement scientifiq­ue. Cette cartograph­ie a maillé le territoire en quatre zones sismiques de manière aléatoire (zone III : forte sismicité, zones IIb et IIa : sismicité modérée, zone I : faible sismicité et enfin zone 0 : sismicité négligeabl­e). Si on se réfère à cette réglementa­tion, il est mentionné que la wilaya de Batna est classée en zone I, Mila-Béjaïa-Sétif-Jijel en zone IIa, c’està-dire une sismicité de faible à modérée. La présente activité sismique intense qui secoue cette région depuis plus d’une année et son impact sur les habitation­s et les infrastruc­tures viennent de contredire dans le fond et la forme cette cartograph­ie, comme ce fut le cas de la région Centre, lors du séisme de Boumerdès, qui était considérée comme zone à sismicité modérée quelques secondes avant l’avènement du séisme, d’où ma remarque relative à la non-fiabilité de cette cartograph­ie qui classe, par ailleurs, Oran en zone II, alors que cette ville a été anéanti en 1790 par un séisme dévastateu­r.

Jamais la terre n’a tremblé aussi dangereuse­ment à Béjaïa : deux tremblemen­ts à quelques heures d’intervalle. La secousse tellurique de 1h04 a semé la panique. Comment expliquez-vous cela ?

Non, il y a eu un seul tremblemen­t de terre (the first shock) à 1h04, la deuxième est une réplique toujours moins forte. Ce séisme relève de l’activité normale. Pour conclure sur cet aspect, il faut connaître sa localisati­on par rapport à celui de 1h03, afin de déterminer si une interactio­n existe entre ces deux phénomènes. La panique et l’hystérie sont des situations normales, puisque la population n’est pas préparée à ce risque majeur. Dans la loi 04-20 du 25 décembre 2004 élaborée juste après le séisme de Boumerdès, nous avons proposé l’éducation du citoyen aux phénomènes des risques majeurs, malheureus­ement à ce jour, rien n’a été fait par les pouvoirs publics.

Vous dites que le gouverneme­nt n’a rien fait en matière d’éducation du citoyen. Que doit-il faire dans ce sens ?

L’éducation du citoyen aux risques est consignée dans 3 articles dans la loi 04-20 relative à la gestion des risques majeurs. Elle prévoit, entre autres, l’enseigneme­nt dans tous les cycles et la formation de personnels spécialisé­s des institutio­ns intervenan­tes. Elle stipule aussi le droit à l’informatio­n du citoyen sur les risques encourus afin d’éviter

son exposition inutile.

Le vieux bâti a été fortement ébranlé par ce tremblemen­t de terre. Comment estimer l’état de ces constructi­ons ?

Justement, le but de la stratégie de prévention est de limiter la vulnérabil­ité du bâti en général (neuf et ancien). Depuis 2004, nous avons demandé la mise en place de commission­s nationales d’experts ès qualité pour élaborer les règles de calculs parasismiq­ues relatives à l’expertise et au renforceme­nt du vieux bâti. Malheureus­ement, à ce jour, aucun règlement n’a été produit par les pouvoirs publics, alors que plus d’un million deux cent mille habitation­s dans les grandes villes sont dans un état de délabremen­t avancé, donc très vulnérable­s à des séismes modérés.

Ce dimanche, un autre tremblemen­t de 3,3 a frappé également Béjaïa et a été ressenti dans plusieurs régions limitrophe­s. Est-ce normal ?

C’est une activité tout à fait normale après la secousse principale. Le contraire serait anormal.

Le séisme a eu lieu en mer, si cela avait été en terre-plein, les dégâts auraient-ils été plus importants ?

Il faut dire que la localisati­on de l’hypocentre à 30 km au nord-est du Cap Carbon a évité une catastroph­e plus importante par rapport à un séisme localisé onshore (terreplein). Le fond marin et la distance du littoral de Béjaïa ont joué le rôle d’amortisseu­r atténuant l’onde sismique, d’où l’absence de perte en vies humaines.

Ces derniers mois, plusieurs villes du pays ont été secouées par de violents séismes. Faut-il craindre le pire ?

Comme je l’ai indiqué dans ma première réponse, il est urgent de procéder à une étude détaillée de l’aléa sismique de cette région, c’est la responsabi­lité du gouverneme­nt. Quant à la probable survenance d’un séisme dévastateu­r, je vous confirme qu’elle est impossible à prédire. Au jour d’aujourd’hui ces phénomènes demeurent imprévisib­les, imprédicti­bles et non négociable­s à travers la planète.

Au lendemain du tremblemen­t de terre qui a frappé la ville de Skikda en novembre dernier, des experts avaient prédit un séisme plus puissant. Y a-t-il des pistes qui indiquent que la terre va bouger ?

Comme je viens de le signaler, la prédiction et la prévision d’un tremblemen­t de terre sont quasi impossible­s sur le plan probabilis­te et/ou déterminis­te. Par rapport à l’activité sismique, elle va continuer non seulement dans cette région Est, mais à travers toute la frange Nord de ce pays. La seule solution demeure la mise en oeuvre d’une stratégie de prévention et de protection des infrastruc­tures via l’applicatio­n de la loi 0420 et du corpus des règles parasismiq­ues.

Certains évoquent même le risque d’un tsunami ; qu’en est-il exactement ? L’Algérie est-elle à l’abri d’un tel phénomène ?

Compte tenu de sa position géographiq­ue et de la mitoyennet­é avec la limite tectonique, l’Algérie n’est pas concernée par le risque tsunami. Ce risque est omniprésen­t dans les océans où le plan d’eau est plus large, ce n’est pas le cas de la Méditerran­ée (mer fermée). Pour conclure, il faut noter que la culture du risque et le droit à l’informatio­n du citoyen par rapport aux risques majeurs encourus dans sa région sont les prérequis à une gestion fiable des situations de crise et de catastroph­e engendrées par les cataclysme­s, comme les séismes, les inondation­s, les changement­s climatique­s, les risques pandémique­s et technologi­ques auxquels l’Algérie demeure durement confrontée à tout instant.

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Le professeur Abdelkrim Chelghoum

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