Les autorités courtisent l’informel
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D’importantes sommes d’argent seront injectées dans le circuit bancaire dans les prochains jours, et d’autres avant le mois de Ramadhan, a indiqué le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, hier lors de son passage à la Radio nationale. Si cette mesure permettra au gouvernement de répondre au manque de liquidités, qui devient un problème «stressant», elle demeure une décision qui enflammera davantage l’inflation et impactera la valeur du dinar algérien. Le ministre a expliqué le recours à cette solution par le fait que «l’économie algérienne utilise beaucoup le cash à travers le recours à des retraits massifs de liquidités, contrairement à ce qui se passe dans certains pays où les retraits sont plafonnés à de petites sommes. Ces retraits sont favorisés par l’économie informelle qui se nourrit de ce fait», a-t-il encore signalé. «Nous essayons, dit-il, de répondre à ce besoin social et économique, avec plusieurs dispositifs mis en place et un comité de veille pour permettre de juguler ce phénomène.»
Pour faire face à cette situation, le ministre des Finances a indiqué que son département n’hésite pas à recourir à «des mesures radicales», en injectant «des sommes importantes d’argent, à travers l’émission du nouveau billet de 2000 DA jeudi dernier», ainsi que «l’introduction d’importantes sommes d’argent dès la semaine prochaine, et aussi avant le début du mois de Ramadhan». L’objectif est de mettre fin «à ce phénomène qui devient stressant» et qui touche, selon lui, plusieurs pays du monde, «à l’instar des Etats-Unis, certaines banques ont même fermé leurs distributeurs».
Expliquant la décision de fermer les comptes commerciaux de la Poste pour les orienter vers les banques prise lors du dernier Conseil des ministres, le premier argentier du pays a souligné que «les commerçants retirent des sommes importantes d’argent à partir des comptes postaux, influençant ainsi le niveau de la liquidité et impactant négativement les petits salaires et les retraités, qui souvent ne trouvent pas à retirer les montants dont ils ont besoin». Toutefois, les Banques sont instruites d’installer de nouveaux guichets au niveau des dix nouvelles wilayas et de faciliter davantage l’ouverture des comptes pour les clients. S’agissant du niveau de la liquidité, le ministre Benabderrahmane a affirmé qu’il a connu «un léger regain en passant à 780 milliards de dinars en janvier 2020». L’intervenant a mentionné un travail de fond qui est en train d’être fait pour mettre en place des moyens de paiement digitaux, comme le paiement mobile et l’utilisation de la carte.
Mesurant le volume important qu’a pris le secteur informel dans l’économie, les autorités évitent d’aller vers des mesures coercitives et préfèrent le chemin du dialogue avec les détenteurs de l’argent de l’informel. Ainsi, sur l’obligation de l’utilisation des chèques pour certains importants montants, le ministre a souligné que «cela reste pour le moment une alternative», mais le plus important est «de sensibiliser» les détenteurs des sommes importantes du marché parallèle qui a pris, dit-il, de l’ampleur depuis l’année 1990. Essayant de faire un clin d’oeil à ces personnes, Benabderrahmane a indiqué que «nous ne sommes pas leurs ennemis, on est en train de mettre en place tous les dispositifs légaux» pour les inclure dans l’économie réelle.
Répondant à une question portant sur le changement du billet de banque, comme moyen dissuasif pour bancariser l’argent de l’informel, le ministre a précisé que «ce n’est pas une solution, car la monnaie fait partie des éléments de la stabilité monétaire et, sur le plan juridique, l’ordonnance 03/11 est claire à ce sujet : le pouvoir libératoire d’une monnaie est de dix ans après son retrait». Selon Benabderahmane, le plus important est d’arriver «à négocier et d’aller vers l’autre, car le tout est de regagner la confiance des bailleurs de l’informel». Proposant des alternatives, l’invité de la radio a évoqué, dans ce sens, la nécessité d’une réforme fiscale, qui doit ouvrir la voie à une amnistie fiscale. «Mais le plus urgent, c’est de procéder à un recensement fiscal de la population, y compris celle activant dans la sphère de l’informel, en vue d’une inclusion fiscale, impérative pour une inclusion financière.» Le ministre a expliqué qu’il existe des personnes qui souffrent de la pression fiscale, citant le cas de l’IRG qui représente 40% des recettes fiscales de l’Etat, «ce qui n’est pas normal», a-t-il souligné. Le ministre a plaidé «pour la mise en place d’une justice fiscale afin de rassurer la population et de gagner sa confiance».
Toujours à propos de l’amnistie fiscale, le ministre a souligné qu’il y a des appels, dans ce sens, de la part du patronat, et «nous sommes à l’écoute de toutes les propositions», mais pour l’instant, l’Etat a lancé la finance islamique dans l’objectif d’atteindre un certain niveau d’inclusion financière et «nous prendrons des mesures rationnelles», a-t-il ajouté. Le ministre a même évoqué que des mesures plus audacieuses seront étudiées et des décisions plus rationnelles que celle de 2015 seront prises dans les semaines prochaines. Revenant sur la dépréciation de la valeur du dinar algérien, Aymen Benabderrahmane a soutenu que la valeur d’une monnaie est le reflet de la robustesse de l’économie d’un pays. «Nous avons hérité d’une situation difficile, impactée par la crise sanitaire», a-t-il expliqué. Cette perte de valeur «est prévue dans le cadrage macroéconomique du pays», mais avec «les jalons de la reprise économique et la consolidation budgétaire, ce sont des facteurs qui vont aider la reprise à la hausse de la valeur du dinar», a-t-il précisé. C’est la question à laquelle aucun officiel n’ose apporter de réponse, encore moins la Banque d’Algérie. Le ministre des Finances s’est limité a souligner que le montant actuel dépasse les 42 milliards de dollars, sans donner le chiffre réel. Toutefois, la question reste posée, vu que les autorités cachent encore le montant réel. Selon le dernier chiffre communiqué pas le président de la République, les réserves de change se situeraient entre 42 et 43 milliards de dollars, mais plusieurs spécialistes doutent de ce montant, surtout que la Banque d’Algérie ne l’a pas introduit dans sa dernière note sur la situation financière du pays.