El Watan (Algeria)

LE PATRIMOINE IMMOBILIER ORANAIS EN PÉRIL

L Il n’existe pas un quartier, une ruelle, dans le centre-ville oranais, où nous ne pouvions lire ce SOS lancinant, en forme de graffiti, adressé aux autorités locales : «Habitat précaire, familles en danger».

- LIRE LE DOSSIER DE AKRAM EL KÉBIR ET L’ENTRETIEN REALISÉ PAR NABILA AMIR

n 4600 immeubles, relevant du patrimoine immobilier d’Oran, ont été retenus pour bénéficier d’une opération de réhabilita­tion à la fin des années 2000. Depuis, une partie de ces immeubles a bel et bien été restaurée, alors que d’autres sont toujours en stand-by.

L’épineuse problémati­que du vieux bâti a fait couler beaucoup d’encre à Oran ces dernières années. Il n’existe pas un quartier, une ruelle, dans le centrevill­e oranais, où nous ne pouvions lire ce SOS lancinant, en forme de graffiti, adressé aux autorités locales : «Habitat précaire, familles en danger».

Parfois, les appréhensi­ons de ces familles s’avèrent vraies, et des bâtiments entiers s’écroulent, comme ce fût le cas durant la soirée du 9 janvier dernier, dans le quartier populaire de Plateau, où un immeuble s’est affaissé de façon spectacula­ire, suite aux violentes intempérie­s qui ont frappé en amont la wilaya d’Oran. Fort heureuseme­nt, ce soir-là, les membres de la Protection civile, alertés à temps, sont intervenus pour évacuer manu-militari les occupants de l’immeuble vétuste, et les sauver de l’écroulemen­t de la bâtisse qui allait s’ensuivre. Quelques jours plus tard, quelle ne fut pas la détresse des nombreuses familles qui ont vu leurs logis vaciller à mesure qu’Oran était secouée par un tremblemen­t de terre de plusieurs secondes, qui s’élevait à 3,5 sur l’échelle de Richter. Là aussi, si aucune perte humaine n’a été déplorée, beaucoup ont vu leurs habitation­s davantage se fissurer et des pans entiers de murs s’affaisser. Si on remonte un peu plus loin dans le passé, aux premiers mois de la pandémie, l’effondreme­nt d’un immeuble a eu lieu pendant la première quinzaine du Ramadhan, à Saint-Pierre, plus précisémen­t à la rue Serrar Mohamed, en sandwich entre la placette du quartier et la cité Perret. Ce triste incident, qui n’a fort heureuseme­nt pas fait de victimes, a mis en émoi toute la population oranaise, d’autant que son affaisseme­nt a été filmé en direct et la vidéo mise sur les réseaux sociaux par les voisins de l’immeuble d’en face.

Où qu’on aille à Oran, on peut constater de visu la vétusté des immeubles, et subodorer, de facto, les drames qui peuvent en découler. Certes, à la fin des années 2000 et au début des années 2010, lorsque les caisses de l’Etat étaient pleines, un ambitieux programme de restaurati­on du vieux bâti a été mis en place, en faisant appel à la technicité des Espagnols et Italiens, en vue de réhabilite­r, dans les règles de l’art, le patrimoine oranais, laissé de longues décennies en abandon. Depuis, si nombre d’immeubles prestigieu­x du centre-ville, essentiell­ement ceux des rues Larbi Ben M’hidi et Khémisti, les boulevards Maâta et Emir Abdelkader, ont bénéficié d’une réhabilita­tion (qui a surtout consisté en un ravalement de façade et l’étanchéité des parties communes), force est d’admettre que nombre d’autres immeubles, pourtant retenus pour l’opération de restaurati­on, attendent toujours de bénéficier du fameux «lifting». Certains observateu­rs, à cette époque, avaient pointé du doigt la cadence avec laquelle se menaient les opérations de réhabilita­tion, très poussive, et qui faisait qu’il fallait un siècle, au bas mot, pour voir tous les immeubles du centre-ville d’Oran réhabilité­s. Autrement dit, il faudrait plus de temps à restaurer ces immeubles qu’à les construire. Certes, il n’a jamais été question de réhabilite­r la totalité du patri

moine immobilier de l’ère coloniale à Oran, et certains immeubles, complèteme­nt irrécupéra­bles, ne pouvaient connaître un autre sort que celui de «passer au bulldozer» après le relogement de leurs habitants. Cela a été le cas, notamment, dans les quartiers de Saint-Pierre et de SaintEugèn­e, mais là encore, ces opérations de «lutte contre l’habitat précaire» ne sont jamais allées jusqu’au bout, et de nombreuses familles, jusqu’à ce jour, continuent à vivre la peur au ventre de voir leur habitation s’écrouler sur leurs têtes et les engloutir.

VRAIS PROBLÈMES, FAUSSES SOLUTIONS

Quand on pose la question à Kouider Métaïr, président de l’associatio­n Bel Horizon, consacrée à la sauvegarde du patrimoine oranais, sur la définition du vieux bâti dans le cas de la ville d’Oran – si elle renvoie davantage à l’âge du bâtiment, à la technique de constructi­on ou bien si elle a un rapport avec l’état de dégradatio­n –, il nous répond qu’il opte plutôt pour ce dernier critère «parce que ça permettra d’inclure des cités construite­s en béton armé durant la période postindépe­ndance et qui sont dans un état de dégradatio­n avancée en raison de l’état des parties communes : problème d’étanchéité au niveau des terrasses, marches des escaliers dégradées et caves souvent inondées, ce qui, à termes, a fini par affaiblir la structure même du bâtiment». Pour le président de l’associatio­n Bel Horizon, nous subissons aujourd’hui les choix qui ont été décidés il y a quatre décennies de cela, en l’occurrence la loi de copropriét­é de 1981, qui a notamment permis aux locataires de devenir copropriét­aires. «Depuis cette loi, les parties communes ont subi de fortes dégradatio­ns puisque l’on a supprimé le syndic et la concierger­ie, en laissant le soin aux coproprios de s’organiser.» Depuis, se désole-t-il, le bilan est catastroph­ique et tout est devenu vieux et ingérable. Abordant la question du relogement des familles, que ce soit celles qui vivent dans des les vieilles bâtisses menaçant ruine et celles des bidonville­s qui ceignent la ville d’Oran, Kouider Métaïr dira que l’opération de relogement systématiq­ue peut devenir, à terme, une politique sans fin. «On ne peut pas éradiquer tous les bidonville­s, certains peuvent être restructur­és et réaménagés. Il faut avoir à l’esprit qu’on ne peut pas reloger les occupants de tous les bidonville­s qui entourent la ville d’Oran.» De même qu’il soulignera que le concept même du logement gratuit est une fausse solution, car «c’est un appel d’air à la spéculatio­n, aux protestati­ons». «Telle que pratiquée, cette politique s’est avérée une fausse solution parce que le logement est un projet de vie et il faut favoriser le marché locatif, comme dans trous les pays du monde, qui demeure chez nous insignifia­nt et non réglementé.» Enfin, il est de toute importance de se pencher sur la problémati­que des immeubles précaires du centrevill­e, vidés de leurs occupants, et qui se retrouvent aussitôt «réoccupés par d’autres, qui seront, de facto, de futurs postulants au relogement, comme les terrains récupérés après relogement qui sont en grande partie réinvestis». Devant cette situation, argue-t-il, il préconise de mettre en place un «projet urbain», une méthodolog­ie de travail qui a fait ses preuves dans d’autres villes du monde. «Ce projet urbain, outil consensuel et intersecto­riel, préconise un retour de la ville sur elle-même, un projet qui pense la ville durable, la ville où s’articule l’urbanisme et l’architectu­re, règle de manière méthodique la réaffectat­ion des terrains et bâtiments récupérés, réglemente les cas des démolition­s, de réhabilita­tion et de restaurati­on selon les cas, en particulie­r s’agissant du centre historique qui, en dépit du fait qu’il soit érigé en secteur sauvegardé, continue à se dégrader de manière inquiétant­e et voit sa population le quitter par manque de perspectiv­e, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des centres historique­s, comme La Casbah d’Alger, la Souika de Constantin­e, etc.», conclut-il.

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Vue du vieux Oran

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