Analyse d’une sous-estimation et propositions
Les subventions implicites proviennent du fait que les prix des produits subventionnés (aliments, eau, électricité, gaz naturel et logement public) sont vendus en deçà de leur coût de production. L’Indice des prix à la consommation souffre de nombreuses faiblesses qui contribuent pour certaines à sous-estimer et pour d’autres à surestimer l’inflation en Algérie.
Le niveau de l’inflation et sa crédibilité sont de nouveau au centre du débat public en Algérie. L’attention des ménages, des entreprises et des autres institutions s’est cristallisée toutefois davantage sur l’Indice des prix à la consommation (IPC), d’autant que les agents économiques observent quotidiennement des mouvements de prix de biens et services significatifs, conduisant à un questionnement de l’IPC publié par les autorités. Est-ce que ce questionnement est justifié dans la mesure où les mouvements de prix d’un bien ou d’un service à une période précise ne peuvent être assimiles à l’IPC qui dans le contexte algérien mesure le changement du niveau général des prix entre la période de référence 2001 et une période courante ? Au-delà de cet aspect anecdotique, y a-t-il un véritable problème de mesure de l’inflation dans le pays ? L’IPC est un outil important qui : (1) apprécie les tensions inflationnistes ; mesure l’évolution des revenus ou de la consommation des ménages en termes réels ; donne une idée sur le maintien du pouvoir d’achat du SMIC ou de certaines prestations ; et fournit une pour articuler et (2) permet d’asseoir des politiques salariales et de revenu à l’échelle macroéconomique et microéconomique et d’articuler la politique monétaire du pays. Vu son rôle-clé, il est important de se poser les questions suivantes : (1) est-ce que l’IPC joue pleinement le rôle de signal macroéconomique ? (2) quels sont les déterminants de l’inflation en Algérie qui permettent aux autorités d’articuler des politiques de stabilité des prix ? (3) la nature et l’évolution du système de formation des prix ; (4) la qualité des outils en place pour mesurer l’évolution des prix à la consommation; (5) la crédibilité de la mesure de l’inflation.
LES DÉTERMINANTS DE L’INFLATION EN ALGÉRIE
(1) De nature macroéconomique : en tant que pays pétrolier et sur la base d’une étude internationale du FMI, il ressort que l’inflation résulte d’une combinaison de facteurs réels et monétaires ; (i) à court terme, la masse monétaire, les prix des biens importés et les prix du pétrole sont les moteurs de l’inflation ; et (ii) à long terme, la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier sont de loin les facteurs-clés des variations de prix. L’étude estime aussi les élasticités ci-après : (i) une augmentation de 1% de la masse monétaire entraîne une augmentation de 0,3% du niveau général des prix ; (ii) une hausse de 1% de la production réelle hors hydrocarbures entraîne une baisse de 0,2% des niveaux général des prix ; (iii) une augmentation de 1% des prix importés contribue à une augmentation de 0,2% des prix intérieurs; et (iv) une dépréciation de 1% du taux de change effectif nominal a un effet limité de 0,1% sur les prix intérieurs à court terme. A long terme, cet effet du taux de change est encore plus faible. En conséquence, le recours aux subventions et/ou à la levée de tarifs commerciaux est préférable (d’autant que le tarif moyen pondéré est de 8,85 % en Algérie plaçant le pays à la 47e place sur 180 pays) pour contrer l’augmentation du prix des produits de base importés déclenchée par la dépréciation du taux de change ; et (v) une augmentation de 1% du prix international du baril de pétrole a un impact limité de 0,04% sur les prix intérieurs à long terme, illustrant ainsi les subventions significatives des prix des produits pétroliers en Algérie. (2) Les déterminants structurels : (i) un excès de demande pérenne dans de nombreux secteurs produisant des biens composant le panier de l’IPC ; (ii) la nature des circuits de distribution et leur capacité à résister aux faiblesses en termes de concurrence et de lutte contre les pratiques commerciales illicites et déloyales et la concentration. Utiles pour formuler des politiques inflationnistes.
Le système de formation des prix actuel est hybride avec des formes de soutien et de contrôle de prix et de marge qui contribuent ainsi à une certaine répression de l’inflation
Si de nombreux prix de biens et services résultent du libre jeu de l’offre et de la demande, d’autres voient leurs prix contraints par deux mécanismes : les subventions budgétaires et le système des prix et marges réglementés. Les subventions directes et indirectes. Le niveau des subventions est en progression continue depuis la crise de 2014. Ces subventions couvrent divers appuis et sont de deux ordres : les subventions explicites et implicites. Les subventions explicites incluent certains produits alimentaires, l’eau, l’électricité, le gaz, le logement, l’éducation et les taux d’intérêt (dont l’objectif est d’encourager l’investissement et promouvoir l’entrepreneuriat). Les subventions implicites, quant à elles, proviennent du fait que les prix des produits subventionnés (aliments, eau, électricité, gaz naturel et logement public) sont vendus en-deçà de leur coût de production. Ces pratiques mettent les entreprises productrices en difficulté, ce qui se traduit in fine par des subventions d’exploitation à un moment ou un autre de la part du Trésor. Il est estimé que le niveau des subventions est passé de 2136 milliards de dinars en 2014 à 2400 milliards de dinars (12,7% du PIB) en 2020, soit une progression de 12,4% en 5 ans. Le régime des prix et des marges réglementés de certains produits et services. Ce régime touche des produits alimentaires (5 catégories), des produits industriels (3 catégories), des services (5 types), des prix de cession (touchant l’électricité et le raffinage) et des marges réglementées (médicaments). In fine, la répression de l’inflation à travers des mécanismes directs de contrôle (sur les prix et salaires et le rationnement) ne contribue nullement à éliminer les pressions inflationnistes. L’inflation réprimée ouvre la voie au marché noir, la corruption, la thésaurisation et les abus. Enfin, elle affaiblit les politiques anti-inflationnistes.
LA MESURE DE L’INFLATION AU NIVEAU DE LA CONSOMMATION EN ALGÉRIE
En plus d’un indice des prix de gros des fruits et légumes, l’ONS produit mensuellement : (1) l’IPC d’Alger (couvrant 11 secteurs géographiques, dont le Grand Alger et Ain Benian) avec pour base de calcul l’année 2001 en considération d’un panier de biens et services tiré de l’enquête nationale sur la consommation des ménages de 2000 qui a sondé 12 150 ménages (261 articles représentés par 791 variétés sélectionnées sur la base de critères tels que la dépense annuelle, la fréquence de la dépense, l’utilité) ; (2) l’IPC national élaboré selon la même démarche à partir de l’observation des prix auprès d’un échantillon de 17 villes et villages représentatifs du territoire national et répartis selon les strates géographiques de l’enquête sur les dépenses de consommation. Un indice des prix annuel est également calculé. L’ONS attire à juste titre l’attention des populations sur ce qui suit : (1) l’IPC ne calcule ni : (1) un indice du coût de la vie ; (2) ni un indice de la variation du budget de consommation ; et (3) encore moins une variation des prix pour une période donnée. Son champ d’application est simple et précis : calculer une variation des prix entre la période de référence et la période courante. En conséquence, il est clair que certains biens vont enregistrer des hausses de prix à un temps «t» (par exemple 2019 ou 2020) mais demeurer inchangé entre la période «t» et la période de base. Cette clarification sur le champ de couverture de l’IPC est fondamentale car elle génère énormément de confusion auprès des agents économiques. En plus de la dualité des indices, l’IPC souffre de nombreuses faiblesses qui contribuent pour certaines à sous-estimer et pour d’autres à surestimer l’inflation en Algérie. (1) Parmi les facteurs qui surestiment l’inflation, notons: (i) l’aspect qualité des produits (ce qui ne permet donc pas de distinguer entre variations de prix stricto sensu et celles induites par des changements dans la qualité ou les caractéristiques des produits) ; (ii) l’aspect substitution des biens ; et (iii) l’arrivée de nouveaux produits, trois traits importants qui ne sont pas pris en compte du fait de l’ancienneté du panier qui date de 2000 et dont la base 2001 a une pondération des biens qui accorde un poids considérable aux produits alimentaires (43% du panier). Il est clair que la consommation a profondément changé depuis 20 ans. La non capture de ces facteurs contribue à surévaluer l’IPC d’au moins 0,5% compte tenu de la pondération actuelle. (2) Parmi les facteurs qui contribuent à sous-estimer l’inflation, citons les éléments suivants : (i) la qualité des données (taille de l’échantillon ; plan d’échantillonnage ); (ii) le traitement des données (infrastructure de collecte des données ; traitement des données reposant sur des principes technologiques qui remontent à plus de 20 ans) ; et (iii) les politiques publiques qui tendent à réprimer l’inflation, notamment la politique généreuse de subventions budgétaires et les prix et marges réglementés cités ci-dessus. Ajoutons a cela la sous-évaluation du dinar (de près de 30%) et les dysfonctionnements des circuits de distribution (pratiques commerciales illicites ou déloyales, absence de rigueur dans la conduite de la politique de concurrence et pratiques de concentration). L’ensemble de ces facteurs sous-estiment en moyenne l’inflation d’au moins 2,5 points. L’inflation est sous-estimée d’environ 2 points. Cela veut dire que le taux moyen d’inflation pour 2019 et 2020 qui étaient de 1,95 % et 3,52%, respectivement s’établiraient à 3,5% et 5,5% toutes choses étant égales par ailleurs. Ces taux sont plus cohérents avec les autres indicateurs macroéconomiques. En conséquence, baser une politique monétaire sur un point d’ancrage erroné peut conduire à des erreurs et complique la lutte contre l’inflation notamment en période de récession.
PROJECTIONS DES PRIX EN ALGÉRIE POUR 2020-2022
Vu les aspects structurels, monétaires, extérieurs et réels qui sous-tendent l’évolution des prix en Algérie et en l’absence de plan de relance solide pour contrer la récession (qui a affecté aussi bien la demande globale que l’offre globale de biens et services), la trajectoire prévisionnelle est celle d’une hausse des prix à la consommation entre 2021-2023. Ainsi, il est attendu une remontée de l’inflation qui devrait se situer à environ 5,5-6,5 entre 2021 et 2023. Pour leur part, les autorités projettent un taux d’inflation irrégulier (et inexplicable) qui passera de 4,5% en 2021 à 4% en 2022 et 4,7% en 2023. Deux suggestions : (1) Il faut actualiser l’actuel IPC, notamment à la faveur du récent recensement général de la population. Certes, cela prendra du temps et exigera des ressources importantes. En attendant la production de données sous-jacentes, il serait alors judicieux de construire un autre panier de l’IPC en utilisant des pondérations extrapolées basées sur les changements dans les modèles de consommation au cours de la dernière décennie. (2) Alternativement, il est possible de continuer à utiliser l’IPC actuel comme point d’ancrage nominale si on prend le soin de fixer des limites de tolérance plus élevées ou plus basses pour l’inflation en hausse ou en baisse en relation avec les prix des produits alimentaires et non alimentaires. Ces solutions, cependant, ne sont qu’un palliatif à la mise à jour de l’IPC ; (3) reformer le système actuel des subventions qui sont coûteuses, inéquitables et inefficaces. Elles génèrent la surconsommation et le gaspillage et surtout réduisent les tentatives d’investissement dans le secteur agricole (importations massives de lait et de blé, deux produits subventionnés fortement) ; et (4) actualiser le système de prix et de marges réglementés. (*) Macroéconomiste, spécialiste des pays