«Le distanciel ne convient jamais aux situations d’apprentissage»
Entretien réalisé par Naïma Djekhar
Le MESRS a annoncé l’élaboration en cours de textes à l’effet de l’adoption définitive du système de l’enseignement hybride...
Intention louable du ministre et rendue nécessaire par la nouvelle donne sanitaire ainsi que les menaces toujours présentes de la Covid-19 et ses variantes et celles à venir. Il est vrai que l’enseignement hybride va désormais faire partie du décor pour ce qui est de l’enseignement universitaire, et cela de manière, semble-t-il irrémédiable. Pourtant rien ne dit que les choses vont nécessairement se dérouler sans soubresaut. L’expérience de l’enseignement par vague (qu’implique le mode hybride) est à mon avis loin d’être conclusive, malgré certains bilans triomphalistes ici et là. Le premier semestre qui s’est achevé en décembre et qui correspondait au premier semestre inachevé de l’année 2020 étant un semestre de «sauvetage», il ne compte pas ; quant au deuxième semestre en voie de complétion, il n’est pas loisible d’en tirer encore un quelque bilan que ce soit. Je dirai cependant, d’après les échos recueillis ici et là pour cet enseignement alterné, qu’il a été très mal vécu par les étudiants largement confinés chez eux ou campant dans leurs cités universitaires, même s’ils s’en sont accommodé peu ou prou. Mentionnons ainsi qu’une bonne partie des effectifs, ceux surtout de Tronc commun et de Licence, n’ont bénéficié que de quatre semaines en présentiel pour un semestre qui en compte normalement 12 à 15.
Et pourtant, lors de la conférence nationale des universités, les activités et dispositions pédagogiques du semestre ont été appréciées positivement ?
Il est fondamental de distinguer entre bilan administratif et bilan réel. Rappelons d’abord que ce qu’on appelle pompeusement mode virtuel (ou «remote») et qui constitue une partie du mode hybride, est en fait au mieux dans le contexte algérien qu’un échange de documents entre les étudiants et leurs enseignants à travers un email ou une plateforme dédicacée. Il ne s’agit que très rarement d’enseignement interactif à travers une application de type Zoom, par exemple. Pour les étudiants qui savent se prendre en charge et les «bucheurs», aucun souci, il n’y aura pas d’impact négatif significatif. Pour la majorité des autres, par contre, il est fort à craindre que cela va résulter en une baisse catastrophique de leur taux d’acquisition de connaissances par cet enseignement bien moins dense qu’habituellement, même si cela pourrait ne pas apparaître dans les résultats et taux de réussite. Le «système» va en effet faire en sorte d’amortir le choc, et on pourrait ne pas prendre conscience dans toute sa mesure de ce déficit cognitif que bien plus tard.
La communauté universitaire n’a pas encore acquiescé à cette décision ...
Ne nous faisons pas d’illusions sur un point important, le dernier mot n’a pas été dit par la communauté universitaire, étudiants et enseignants, sur leur acceptation de cette méthode de prodiguer les enseignements en mode hybride. L’histoire témoigne que lorsque l’on ne consulte pas suffisamment les parties intéressées, même avec la meilleure intention du monde, on peut avoir des surprises. L’opération coup de poing des étudiants à l’université de Constantine, il y a environ un mois et probablement dans d’autres universités pour exprimer leur exaspération envers les enseignements par vague et donc en mode partiellement «virtuel», devrait être perçue comme un coup de semonce. Rappelons de plus que l’absence de réaction encore plus forte des étudiants provient probablement du fait que la réponse à cette situation sanitaire a été de vider largement les campus des étudiants. Ainsi le Bloc dit «des Lettres» à l’UFMC bouillonnant de vie auparavant avec des embouteillages piétons qui vous faisaient faire du sur place, n’est devenu que l’ombre de lui-même avec une proportion d’un tiers peut-être de ses salles de classe occupé seulement et des classes à effectifs limités. Cela ne veut donc pas signifier un acquiescement de fait.
La création d’un environnement interactif et efficace pour pallier la perte du présentiel ne nécessite-t-elle pas un dispositif conséquent ?
Ne nous trompons pas, le défi à relever est immense. Il ne s’agit pas seulement de décréter quelque chose pour qu’il se réalise au mieux. Ce mode d’enseignement où il a été adopté exclusivement (certains pays industrialisés, les pays du Golf…) s’est fait dans des conditions autrement différentes que celles qui sont les nôtres. Des rapports enseignants - apprenants imbattables, des moyens techniques exceptionnels, des étudiants d’une tempe particulière qui payent leurs études (ou leurs parents du moins) vus comme un investissement et donc décidés à en tirer le maximum pour leurs dollars. Il est clair, cependant, que le défi n’est pas seulement matériel ou pécuniaire, mais bien humain. Il s’agit de créer un environnement interactif digital motivant et efficace qui pallie dans une large mesure la perte du présentiel. Les étudiants doivent en avoir pour leur argent. Cela nécessite des équipes pédagogiques dédiées et bénéficiant d’un support technique et didactique de haut niveau. La condition de l’université algérienne, même si nous nous garderons de généraliser, car certaines de nos universités s’en tirent bien mieux que d’autres, est à mille lieues de cette situation idyllique juste décrite. Le point d’achoppement principal pourrait bien être nos enseignants recrutés sur la base d’un doctorat de recherche couronné par une publication et qui ont une expérience pédagogique limitée. L’amélioration de leurs compétences pédagogiques et leur mise à niveau avec les exigences nouvelles n’est pas à l’ordre du jour, en plus du fait qu’ils ne sont pas rétribués pour la qualité de leur enseignement. L’autre point d’achoppement pourrait bien être l’administration elle-même médiocre et tatillonne à la fois comme jamais. Toujours est-il que commencer tôt et mettre sur pied une telle plateforme pour parer à d’autres crises majeures futures est très positif. On pourra toujours rétrograder si la situation s’améliore et qu’on peut revenir à un mode présentiel. Le mode virtuel qui, encore une fois, pour être efficace ne peut être qu’interactif (appelons le «présentiel par écrans interposés» !), devrait être à mon avis réservé à des cours avec des enseignants délocalisés ou en général des formations spéciales, jamais en situation d’apprentissage normal ou le lien humain est crucial, surtout pour les étudiants des premières années.