«L’autonomie permettra aux universités de mener leurs propres projets de développement»
ABDELBAKI BENZIANE. Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique
Le secteur de l’Enseignement supérieur ne compte plus investir dans les infrastructures. Sa priorité est de rentabiliser les investissements, corriger les dysfonctionnements, instaurer de nouveaux modes d’enseignement et de prestation pour amener les établissements universitaires, à terme, à s’autogérer. Vous avez annoncé, la semaine passée, que le mode d’enseignement hybride est définitivement adopté et sera appliqué officiellement dès la prochaine rentrée universitaire. Pensez-vous que nos universités soient vraiment prêtes pour ce mode d’enseignement, sachant que beaucoup parmi les étudiants se plaignent de certaines contraintes ?
Lorsque nous avons parlé de ce mode d’enseignement, avant même l’apparition de la pandémie de Covid-19, nous voulions aller vers une ouverture de l’université sur les TIC. Nous avons vu la nécessité d’apporter un plus en matière de communication, à travers des cours en ligne. Il y avait déjà quelques établissements universitaires qui étaient prédestinés à ce type d’enseignement, et nous voulions l’élargir à d’autres. A l’arrivée de la pandémie, nous étions confrontés à deux choix : fermer l’université pour une année, ou bien innover et opter pour un mode d’enseignement autre que le mode classique, malgré le fait qu’on y réfléchissait depuis une dizaine d’années, sans pour autant imaginer être en mesure de le généraliser en un temps aussi court. Nous avons alors commencé par un dispositif très simple, qui consistait à mettre tous les cours sur une plateforme numérique, sans se soucier de savoir si cela respectait les normes ou pas. Une évaluation de la démarche s’en est suivie, alors que les étudiants, exceptés ceux qui avaient déjà utilisé ce mode d’enseignement, comme les informaticiens, se plaignent notamment de l’absence d’interactivité avec l’enseignant. Nous l’avons constaté particulièrement chez les étudiants en sciences sociales et humaines. Un nouveau dispositif hybride a été, alors, mis en place pour l’année 2020/2021, s’appuyant sur une alternance d’enseignement en mode présentiel par vagues, qui représente 2/3 du cursus, et en mode enseignement à distance. C’est une expérience qui a quand même des avantages, en ce sens que cela nous permet de gérer les flux et faire des économies d’infrastructures. Connaissant les moyens financiers du pays, nous ne pouvons plus continuer indéfiniment à construire des infrastructures universitaires. Maintenant, l’heure est plutôt à la rentabilisation des investissements faits dans ce domaine. C’est pourquoi nous sommes maintenant dans le triptyque : optimisation, rationalisation et mutualisation. Je dois souligner, par ailleurs, que ce mode d’enseignement hybride sera suivi d’un dispositif d’évaluation régulier pour l’améliorer, d’autant qu’il nous a permis, contrairement à d’autres pays, de continuer à assurer les enseignements depuis le 23 août 2020. Elles ne sont pas nombreuses les universités, à travers le monde, qui ont pu continuer à travailler depuis cette date.
Certains déplorent le fait que ce mode soit appliqué sans concertation préalable avec la communauté universitaire...
Je peux vous assurer qu’en ce qui concerne les démarches à caractère pédagogique, toute la communauté universitaire, de la base au sommet, y a pris part. Nous avons organisé plusieurs réunions pour valider les dispositifs proposés, en présence des syndicats et des organisations estudiantines. C’est un modèle issu de la base et des instances pédagogique et scientifique, et nous n’avons fait que vérifier sa conformité avec la réglementation en vigueur. D’ailleurs, comment nous aurions pu modifier le premier schéma si ces instances ne nous l’avaient pas recommandé. Ce n’est pas une administration qui peut mettre toute seule tout ce dispositif. Le ministère n’est que le fédérateur et le régulateur de toute cette opération. Il en est de même pour tous les règlements conçus pour gérer la situation durant la pandémie, où tous les textes réglementaires ont été discutés par la base, acceptés et aujourd’hui appliqués, notamment pour l’organisation des examens, des évaluations, des concours et autres. Il faut souligner, cependant, que nous sommes à l’université et il est tout à fait normal qu’il y ait des avis différents, voire contradictoires.
Vous avez également appelé les responsables des établissements universitaires à se préparer à l’autonomie. Qu’entendez-vous au juste par «autonomie» ?
L’université algérienne est aujourd’hui confrontée à trois grands défis : le défi de la qualité en matière de formation, de recherche et de gouvernance, le défi de l’employabilité liée à l’ouverture de l’université à son environnement socioéconomique et le défi de son ouverture à l’international. Pour cela, nous avons mis en place un dispositif à travers un certain nombre de mesures concrètes, parmi lesquelles la suppression du système centralisé qui empêche les universités de s’ouvrir sur leur environnement et sur l’international. Le dispositif que nous voulons mettre en place, progressivement bien sûr, concerne la décentralisation d’un certain nombre d’actions, comme c’est le cas actuellement de la gestion de tout ce qui a rapport avec la pandémie, puisque nous avons donné aux universités le pouvoir d’appréciation et de décision en fonction du contexte sanitaire dans lequel elles évoluent. Nous allons continuer comme cela jusqu’à ce que les établissements universitaires puissent avoir leurs propres projets de développement et aller, à terme, vers l’autonomie. Celle-ci doit leur permettre d’adapter leurs formations en fonction des besoins de leur environnement socioéconomique et prendre en charge, ainsi, le problème de l’employabilité.
Cela les conduira-t-il aussi à une autonomie financière ?
Certainement. Je pense que sur ce plan, nous avançons déjà bien par rapport à pas mal de pays, puisque le budget est affecté aux universités contrairement à d’autres pays où il est centralisé. Nos établissements universitaires reçoivent les notifications budgétaires et ce sont eux qui adaptent le budget par rapport à leur fonctionnement. Mais nous allons mettre également un dispositif qui permette de ramener à l’université des ressources financières supplémentaires, car l’autonomie implique aussi un financement hors budget de l’Etat.
Doit-on s’attendre, avec cette autonomie, à un autre système pour la désignation des recteurs ?
Rien n’empêche de réfléchir à un autre système qui reste peut-être sur le mode de désignation, mais une désignation sur la base d’un projet, c’est-à-dire un recteur peut être sollicité pour ramener un projet à l’université et le soumettre à l’approbation de la communauté universitaire.
Où en est-on aujourd’hui dans le travail d’évaluation du système LMD ?
Pour pouvoir l’évaluer en totalité, il faut pouvoir d’abord le réaliser. Lorsque nous l’avons mis en oeuvre, il avait fonctionné parallèlement à l’ancien système, et c’est ce qui a freiné son développement. Toute réforme est perfectible, et nous sommes censés la mettre, à chaque fois, en évaluation. Une première évaluation, donc, a été faite en 2008 et 2016 où des corrections minimes ont été apportées, mais depuis, il n’y a pas eu une véritable évaluation des différentes phases de ce système. Aujourd’hui, nous avons repris ce dossier à l’effet de corriger les insuffisances et les dysfonctionnements, à travers un dispositif de textes réglementaires qui sont actuellement au niveau du gouvernement.
Il n’est pas question de l’abroger alors...
On ne peut pas sortir d’un système qui existe mondialement. C’est un modèle anglosaxon qui a été repris par les Européens, et nous n’avons fait que changer quelques appellations. Son avantage est de permettre une ouverture sur l’environnement socioéconomique, à travers des formations professionnalisantes de courte durée, permettant à l’étudiant d’être opérationnel immédiatement après sa sortie de l’université, mais aussi de pouvoir travailler durant son temps libre, grâce à des volumes horaires réduits. Dans la pratique, 80% des licences proposées sont aujourd’hui académiques, alors qu’il s’agit en principe de formation professionnalisantes.
Justement, le problème de l’emploi des diplômés se pose avec acuité. Qu’est-ce qui est fait pour l’atténuer un tant soit peu ?
Les conventions que nous signons avec le secteur économique sont justement un moyen qui permet de préparer les étudiants à l’emploi, notamment grâce aux accords de stage conclus avec les entreprises. Quant aux détenteurs de doctorat, ils pourront bientôt bénéficier d’un statut, dont la mouture est en train d’être finalisée, pour qu’ils puissent être recrutés par la Fonction publique ou le secteur économique. Mais l’université continuera, chaque année, à recruter des docteurs et des détenteurs de magistère, en fonction de ses besoins pédagogiques, qui sont aujourd’hui clairement identifiés. Certains avancent le chiffre de 60 000 postes à pourvoir, alors que c’est complètement faux. Certes, nous sommes sur un taux d’encadrement de 1 enseignant pour 25 étudiants, et notre objectif est de nous rapprocher de la norme internationale de 1 enseignant pour 20 étudiants, mais cela ne nécessite pas pour autant le recrutement de 60 000 enseignants, d’autant que le taux de croissance du nombre des étudiants est moyen, soit de 5 à 6% par an.
Vous allez bientôt présenter au gouvernement le projet de réforme des oeuvres universitaires. Peut-on en connaître les principales propositions ?
Nous n’allons pas présenter le projet luimême, mais plutôt la vision intégrée et complémentaire pour la réforme du système des oeuvres universitaires, comme le président de la République l’a demandé. C’est en fonction de cette vision que ce projet se construira avec la participation des partenaires sociaux. Nous allons donc proposer un nouveau système permettant une meilleure organisation, une meilleure gestion et une meilleure prestation qui concerne l’hébergement, la restauration, le transport et la bourse.
Actuellement, les étudiants se plaignent du fait que quel que soit l’effort fourni par l’Etat, la prestation demeure faible, voire nulle dans certains cas. C’est pourquoi nous avons fait une évaluation sur le terrain de toutes les résidences avec un constat des différents volets évoqués par les étudiants. Il en ressort que 20% des résidences sont dans un état catastrophique, majoritairement à Alger. Heureusement, nous envisageons, d’ici l’été prochain, la réception de 11 000 nouveaux lits à la nouvelle résidence universitaire de Sidi Abdellah, où l’on déplacera les étudiants pour permettre la rénovation des structures délabrées. Nous réceptionnerons aussi à El Affroun, à Blida, 8000 autres nouveaux lits, et cela constituera une véritable bouffée d’oxygène pour le Grand-Alger. En matière de gouvernance, nous avons mis un nouveau dispositif pour voir si nous pouvons améliorer, dans le système actuel, les prestations existantes.
Qu’en est-il de l’entreprise Tahkout ? Continuera-t-elle à assurer le transport des étudiants ?
Le problème ne se pose plus, du moment que l’entreprise Tahkout est maintenant dirigée par un administrateur, avec lequel nous traitons selon les règles qui régissent le code des marchés publics. Des entreprises ont été retenues pour l’appel d’offres que nous avons lancé, d’autres ne l’ont pas été, et le libre jeu de la concurrence est garanti.