L’envers de la baisse de liquidités
DES ÉCONOMISTES ANALYSENT DIVERS ASPECTS DE CE PHÉNOMÈNE LOIN D’ÊTRE CONJONCTUREL l Si jusqu’ici le gouvernement s’est montré incapable de juguler ce phénomène de manque de liquidités, qui s’est imposé sur la scène économique nationale depuis quelques moi
Décidément, le problème de la liquidité a la peau dure. Le phénomène, qui n’en est pas un à vrai dire, puisqu’il remonte à l’été dernier, quand des bureaux de poste affichaient quotidiennement la face hideuse de longues files d’attente pour retrait d’argent, n’est pas près de disparaître en dépit des multiples interventions de l’Exécutif. Les réponses apportées à cette crise de liquidités, dont pâtissent notamment les retraités et les fonctionnaires, semblent de nul effet à long terme. Les guichets de la poste sont à nouveau à court d’argent. L’une des dernières mesures à laquelle a eu recours le gouvernement pour tenter de remédier à la situation est le retrait des comptes commerciaux d’Algérie Poste. Cette action vise en effet, selon les explications du ministre des Finances, à ne pas effectuer des retraits d’argent qui devraient être l’apanage des retraités et des fonctionnaires. S’il paraît vraisemblable que cette mesure puisse atteindre l’objectif recherché dans une certaine mesure, il n’en demeure pas moins que le doute reste persistant sur sa capacité à endiguer le phénomène tout entier. Car, la crise de liquidités à laquelle fait face le pays semble obéir à d’autres caractéristiques. Le diagnostic est en effet encore plus sévère. Le pays a connu une récession durant l’année 2020, avec un taux officiel de -4,6%. La pandémie de Covid-19 a certes aggravé la situation économique du pays, qui a commencé à péricliter dès la chute des cours du brut en 2014. D’où la question : la dernière décision du gouvernement de fermer les comptes commerciaux au niveau de la poste et celle consistant à injecter d’importantes sommes d’argent dans le circuit bancaire seront-elles suffisantes pour endiguer la crise de liquidités ? Selon l’économiste Smail Lalmas, le problème qui se pose est beaucoup plus profond. «Prenons, à titre d’exemple, le cas de l’Aïd El Kébir dernier. L’opération d’achat du mouton montre que l’argent qui est dépensé est transféré vers l’informel, puisque le vendeur n’effectue aucune facture. Cela veut dire qu’une partie de cette masse d’argent sera acheminée dans le secteur informel. L’argent tourne dans un circuit fermé, comme le sang dans le corps humain. Donc, le problème de la liquidité en Algérie, c’est l’informel», a-t-il commenté. Et de s’interroger : «D’où vient cet argent de l’informel ?» Avant de conclure : «Cela prouve que la planche à billets a toujours existé en Algérie et ça continuera…» Mahfoud Kaoubi, analyste économique de son état, se montre assez critique avec la mesure relative à la fermeture des comptes commerciaux. «Je suis un peu surpris… D’abord, sur quelle base ferme-t-on les comptes des commerçants ? Les agents économiques ont besoin d’être rassurés au lieu de les laisser dans le doute», a-t-il analysé. Poussant son diagnostic plus loin, il affirme que «la réponse du gouvernement n’étant pas suffisante, il faut partir de l’origine du problème. Ce n’est pas un phénomène conjoncturel». Et de s’interroger : «Comment on est passé en 2016 d’une situation de surliquidités, l’année du financement non conventionnel, à une situation de manque de liquidités ?» «La baisse de liquidités, a-t-il expliqué, traduit la baisse du rythme d’activité. Il s’agit de la vitesse de circulation de l’argent. Quand il n’y a pas de transaction, d’activité dynamique, cela produit une baisse structurelle de la liquidité bancaire. Il en résulte ainsi une asthénie de l’activité économique. Tout cela s’est exacerbé avec le doute institutionnel à la faveur du hirak. Car quand les agents économiques ont peur, il y a une rétention de la liquidité. Il s’agit là d’un phénomène psychologique. Les gens achètent moins et investissent moins. Les chiffres de l’ONS le prouvent amplement.» Le gouvernement, faut-il le rappeler, a annoncé, par le biais de son ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, qu’il est sur le point de lancer tout un programme visant à capter une partie de cet argent dans le circuit bancaire. Y arrivera-t-il pour autant ? L’économiste S. Lalmas semble plus sceptique que jamais, lui qui considère que «l’on ne doit pas casser l’informel». La raison ? «On doit mettre en place une politique qui va l’absorber. N’oublions pas que c’est un secteur employeur. La solution passe nécessairement par un règlement politique. Il faut qu’il y ait absolument une direction politique légitime à la tête du pays, acceptée par le peuple. La confiance doit être de mise pour que les acteurs de l’informel acceptent d’intégrer le formel.» Telles sont les conditions requises, selon Lalmas, pour amorcer une vraie politique de réforme dans le pays. Pour sa part, M. Kaoubi considère que le diagnostic qui a été fait est «superficiel». Selon lui, «la solution passe par la restauration de la confiance et la relance économique». Quoi qu’il en soit, le manque de liquidités, l’informel et les besoins de financement de l’économie constituent trois axes majeurs au sujet desquels le gouvernement est comme mis en demeure de trouver les solutions qui conviennent dans les plus brefs délais s’il ne veut pas affronter à la fois la bombe à retardement que sont le chômage, l’inflation et le désinvestissement.