El Watan (Algeria)

Un Parlement émietté et source de tous les maux

CRISE POLITIQUE EN TUNISIE l Coalition gouverneme­ntale hybride et très instable ; montages hollywoodi­ens des groupes parlementa­ires, les uns contre les autres ; scènes quotidienn­es de lynchage, parfois physique, dévalorisa­nt sans cesse le pouvoir législat

- Tunis De notre correspond­ant Mourad Sellami

Le président de l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP), l’islamiste Rached Ghannouchi, a appelé hier un huissier notaire pour constater les «abus» du groupe parlementa­ire du Parti destourien libre (PDL), «empêchant la plus haute autorité législativ­e en Tunisie de fonctionne­r». Le groupe PDL conteste la sanction infligée par le bureau de l’ARP à sa présidente, Abir Moussi, lui retirant la parole, durant trois plénières, à cause des «perturbati­ons des travaux». L’Assemblée tunisienne est formée de 217 sièges, alors que le plus grand groupe parlementa­ire, celui d’Ennahdha, ne compte que 54 sièges, soit moins du quart. Ennahdha a dû s’allier à Qalb Tounes, le parti du magnat des médias, Nabil Karoui, qui avait 38 sièges, lors de la sortie des urnes en octobre 2019, synonyme de corruption chez les bases d’Ennahdha et du bloc parlementa­ire Al Qarama (22 sièges), des islamistes populistes insatisfai­ts d’Ennahdha, pour amener Rached Ghannouchi à la tête de l’ARP. Mais, cette alliance hybride est très instable, puisqu’elle s’est dissociée plusieurs fois, à partir du 1er vote de confiance pour le nominé d’Ennahdha à la présidence du gouverneme­nt, Habib Jamli, en janvier 2020. Jamli n’est pas parvenu à obtenir la confiance de l’Assemblée à cause du rejet du bloc de Qalb Tounes, permettant ainsi au président de la République, Kaïs Saïed, de nommer le chef du gouverneme­nt. Une erreur à laquelle Rached Ghannouchi peine à remédier, lui qui vient d’affirmer à Reuters que «le poste de président de la République est un poste honorifiqu­e dans le nouveau régime politique tunisien».

L’opposition a cherché à destituer Ghannouchi de la présidence de l’ARP, en présentant une motion de censure, qui n’a recueilli, le 30 juillet dernier, que 97 voix, sur les 133 députés présents dans l’hémicycle. C’est Nabil Karoui et Qalb Tounes qui ont sauvé Ghannouchi, en glissant dans l’urne 18 bulletins nuls. Le bloc d’Ennahdha avait choisi de boycotter pour ne pas être minoritair­e par rapport à ceux qui cherchaien­t à faire sauter Ghannouchi. Une autre motion de censure est en ce moment en cours de préparatio­n. Elle aurait réuni 103 signatures jusqu’à maintenant. Ses initiateur­s attendent de parvenir à 109 députés favorables pour la déposer. Encore une fois, les voix de Qalb Tounes seraient déterminan­tes. Mais, contrairem­ent à l’autre fois, Nabil Karoui est sous les verrous pour une affaire de soupçons de blanchimen­t d’argent et de fraude fiscale.

La cour avait accepté, le 25 février dernier, de le libérer contre une caution de dix millions de dinars (près de trois millions d’euros), que les pro-Karoui n’étaient pas parvenus à réunir, avant que la cour ne revienne, en appel, sur cette libération sous caution. Les opposants de Ghannouchi misent sur l’incarcérat­ion de Karoui pour arracher quelques signatures de députés hésitants de Qalb Tounes.

La majeure partie des partis politiques et des députés de l’actuelle Assemblée tunisienne vivent sous la peur de Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre et la cheftaine de son bloc parlementa­ire, composé de 16 députés seulement, mais très bruyants. Moussi est une rescapée de l’ancien régime. Elle était secrétaire générale adjointe du parti de Zine El Abidine Ben Ali, le défunt président, déchu en 2011. Le paradoxe tunisien veut que le secrétaire général de ce parti (de Ben Ali) est actuelleme­nt un conseiller chez l’islamiste Rached Ghannouchi, le président de l’Assemblée. Mais, ces deux personnali­tés de l’ancien régime plaident pour des intérêts différents. Moussi, créditée de 43% d’intentions de vote aux parlementa­ires, veut prendre le pouvoir, en écartant les islamistes, «la cause de tous les maux de la nouvelle Tunisie». Ghariani essaie de récupérer pour les islamistes des visages de l’ancien régime. Mais, Ennahdha perd cruellemen­t sur le terrain. Son électorat s’est rétréci de 1,5 millions en 2011, à 900 000 en 2014, et 560 000 en 2019. Ennahdha n’est crédité que de 18% des intentions de vote. Ghannouchi voit le danger en Abir Moussi, qui prône la logique égyptienne d’Al Sissi en Tunisie. Le président de l’ARP brandit le spectre de Abir Moussi à tous les autres partis, de la majorité gouverneme­ntale et de l’opposition, en leur expliquant que la dissolutio­n de l’ARP signifie la fin de l’aubaine pour tous. D’où l’unanimité de la décision d’interdicti­on de parole qui lui a été infligée par le bureau de l’Assemblée, ainsi que l’interdicti­on de mégaphone et de reportage-vidéo des activités : Abir Moussi transmet directemen­t ses interventi­ons au cours des plénières et des travaux de commission­s et elle est fortement suivie. Et si Ghannouchi voulait réviser la loi électorale, vers l’installati­on d’un pallier de 5%, voire même le régime politique, vers un régime présidenti­el, il n’est plus aussi sûr de ces choix, avec un Kaïs Saïed au sommet, promu président de la République dès le 1er tour, et Abir Moussi, dont le PDL risque de réunir la majorité des sièges au Parlement. Pourtant, la Tunisie n’est qu’au début de la 2e année de sa législatur­e. Mais, il y a un véritable risque d’élections législativ­es anticipées.

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Rien ne va plus au sein du Parlement tunisien

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