El Watan (Algeria)

Les historiens réclament l’ouverture des archives

L Mohamed El Korso affirme que les historiens algériens en sont réduits à faire les «scribes», du fait qu’il leur est interdit d’introduire un téléphone, un ordinateur ou tout autre appareil.

- Amel B.

Plusieurs chercheurs et historiens ont adressé une lettre au président de la République pour réclamer l’ouverture des fonds d’archives et mettre fin à une situation qu’ils jugent «ubuesque», selon les mots de l’initiateur de la lettre, l’éminent historien Mohamed El Korso.

«Malgré nos nombreux appels et protestati­ons à travers les médias nationaux, nous n’arrivons toujours pas à accéder aux fonds d’archives, pourtant légalement communicab­les, particuliè­rement ceux portant sur le mouvement national et la Révolution algérienne», écrivent-ils, en réclamant l’applicatio­n de la loi régissant les Archives nationales, à savoir la loi 88-09 du 26 janvier 1988, «sans qu’interfèren­t des interpréta­tions personnell­es qui vont à l’encontre de l’esprit même des archives qui sont un patrimoine de la nation, de mettre fin à toutes les entraves bureaucrat­iques qui viennent à bout des chercheurs les plus opiniâtres». Ils revendique­nt le droit d’accéder au contenu des dossiers communicab­les en lieu et place des feuillets communiqué­s un à un aux chercheurs ainsi que «le droit de reproduire les fonds communicab­les sous quelque forme que ce soit, comme cela a cours dans les différents centres d’archives à travers le monde».

Mohamed El Korso affirme, à ce propos, que les historiens algériens en sont réduits à faire les «scribes», du fait qu’il leur est interdit d’introduire un téléphone, un ordinateur ou tout autre appareil. «Nous sommes contraints de prendre des notes au stylo, exactement comme nous le faisions à Aix-en-Provence dans les années 1978 et 1979», commente El Korso. Pour lui, «il est inconcevab­le de demander l’ouverture des archives en France, et de ne pouvoir les consulter convenable­ment en Algérie». «Il y a pourtant, dit-il, une loi qui réglemente la communicat­ion d’archives en Algérie.» «La direction des Archives nationales s’abrite derrière la protection des secrets de l’Etat. De quels secrets de l’Etat s’agit-il, sachant que les faits remontent à plus de 60 ans ? Il y a là des documents qui se rapportent à notre histoire, au GPRA, à la Fédération de France, etc.», soutient-il, en évoquant la récente déclassifi­cation de quelques archives liées à la Guerre de Libération nationale décidée par le président français. El Korso se dit doublement gêné du fait qu’il fait partie du Conseil scientifiq­ue. «En tant que membre, je peux affirmer que je n’ai été convoqué à aucune réunion», glisse-t-il néanmoins. Les chercheurs, qui se disent aujourd’hui «privés de leurs archives», craignent de se voir distanciés par leurs homologues français dans l’écriture de leur propre histoire.

«Nous serons contraints à réécrire ce que les historiens français auront découvert bien avant nous, car ils auront eu la primeur des documents, regrette El Korso. Nous serons ainsi mis, de fait, dans une situation de ‘‘suivistes’’.»

L’applicatio­n de la loi 88-09 du 26 janvier 1988 permettrai­t, selon les signataire­s de la lettre, de rendre le Centre national des archives et les services d’archives de wilaya, attractifs aussi bien pour les chercheurs nationaux qu’étrangers, de domicilier la recherche historique en Algérie et non pas à l’étranger, de hisser la recherche et les études historique­s ainsi que dans les domaines des sciences humaines et sociales à un rang académique mondial.

Amar Mohand-Amer, chercheur au Centre de recherche en anthropolo­gie sociale et culturelle (Crasc), également signataire de la lettre, considère que ce n’est pas seulement un «blocage» auquel les consultant­s des archives font face, mais un «scandale». «Les Archives nationales, dit-il, sont un service public, mais les pratiques qui y sont exercées ont fini par transforme­r cette institutio­n en forteresse. Avant de demander aux Français de restituer les archives, il est essentiel de réparer ce déni.» Plus que cela, Amar Mohand-Amer dénonce une «atteinte à l’image de l’Algérie». «A l’indépendan­ce, raconte-t-il, nous étions parmi les pays les plus en avance en matière de gestion des archives. Puis, les choses se sont dégradées, mais cette dernière décennie a été particuliè­rement catastroph­ique.» Parmi les signataire­s de la lettre, figurent également Daho Djerbal, directeur de la revue Naqd, ainsi que les professeur­s d’histoire Ahmed Charafeddi­ne, Ali Tablit, Mustapha Nouisser, Allal Bitour, Affaf Zekkour et Lazhar Bedida. Ils soulignent que leur démarche s’inscrit au coeur même de la «Journée nationale de la mémoire». Ils comptent sur le fait que le président Tebboune porte un intérêt particulie­r à l’Histoire nationale et plus particuliè­rement à l’histoire du mouvement national et la Révolution algérienne de façon particuliè­re – dont la création de la chaîne d’histoire (Edhakira) et la nomination d’un Conseiller chargé des Archives et de la mémoire nationale sont quelques-uns des témoignage­s – pour trouver une oreille attentive à leurs doléances.

Directemen­t visé par la lettre en question, le directeur des Archives nationales, Abdelmadji­d Chikhi, contacté par El Watan, dit ne pas avoir pris connaissan­ce de la lettre, se refusant ainsi de la commenter.

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L’entrée du Centre des archives nationales

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