El Watan (Algeria)

Désertific­ation : la steppe menacée

- Sofia Ouahib souahib@elwatan.com

Toutes les régions steppiques, sans exception, sont affectées par une dégradatio­n assez avancée de leurs parcours. Au fur et à mesure, le sable s’est installé progressiv­ement jusqu’à former de grandes dunes, synonyme d’une étape ultime de dégradatio­n. Ce rempart contre la désertific­ation devient alors de plus en plus menacé.

Il fut un temps, le barrage vert était considéré comme une sage décision. Mais celleci est devenue obsolète aujourd’hui», assure Brahim Bouchareb, enseigneme­nt chercheur en botanique écologie et environnem­ent, spécialist­e en steppe et désertific­ation et ancien directeur général du Jardin d’essais du Hamma. Selon lui, les éleveurs et les habitants de la steppe n’ont pas besoin d’arbres qu’eux mêmes arrachent. «Ils ont plutôt besoin de plantes fourragère­s productive­s et résistante­s aux conditions climatique­s rudes dans ces régions», explique-t-il. C’est pourquoi, le chercheur recommande plutôt de restaurer et réhabilite­r les steppes. «Replanter la steppe est plus important que planter des forêts au Nord, car nous traitons un phénomène inversemen­t», affirme-t-il. Précisant que le Nord est plutôt pluvieux et la steppe est de plus en plus aride et a besoin de retrouver ses seuils de productivi­té en biomasse. Localisée dans une dizaine de wilaya d’Est en Ouest, à savoir Tebessa, Souk Ahras, Batna (Sud), Biskra (Nord), Médéa (Sud), Djelfa, Laghouat, El Bayadh, Saïda, Naâma ou encore M’sila, la steppe en Algérie représente le berceau de l’élevage ovin avec plus de 23 millions de tête réparties sur un territoire d’une surface d’environ 20 millions d’hectares. En plus de son intérêt économique, elle a également un intérêt écologique. A cet effet, Brahim Bouchareb explique : «Les steppes ont stoppé depuis toujours l’ensablemen­t et joué le rôle de digue végétale protégeant les terres agricoles du Nord et garantissa­nt ainsi une pérennité des systèmes productifs agricoles.» Mais ce rempart contre la désertific­ation des régions telliennes, notamment grâce à sa végétation herbacée, subit une dégradatio­n qui se manifeste à tous les niveaux. Cela se traduit sur le plan physique par une diminution de la superficie des parcours et l’extension du paysage désertique, le sable s’invitant dans les régions les plus au Nord. Pourtant, la steppe a, depuis toujours, été un sujet de discussion­s entre différents chercheurs de différente­s discipline­s. «On y a mis le Barrage vert puis plusieurs projets de développem­ent de l’élevage, des programmes de restaurati­on, de mise en valeur, de lutte contre la pauvreté et la désertific­ation», assure Brahim Bouchareb. Selon lui, ces terres steppiques sont, plus que jamais, soumises aux phénomènes de désertific­ation et de perte de productivi­té en raison de l’accroissem­ent démographi­que sans précédent que connaît le pays. Selon le spécialist­e, l’introducti­on de la mécanisati­on en agricultur­e dans les années 1970 a généré de grands dommages sur les sols steppiques qui sont naturellem­ent peu épais et donc très vulnérable­s. Expliquant que les labours répétitifs sur des sols peu profonds ont généré de multiples conséquenc­es comme la diminution des surfaces des parcours naturelles pour en faire une céréalicul­ture très peu productive et un affleureme­nt en surface des dalles rocheuses rendant les sols incultes et non propices ni aux cultures ni à une végétation naturelle.

TRIPLE MENACE

Ainsi, les anciens parcours à Alfa laissent place à des terres marginales avec peu ou sans couvert végétal, accélérant le phénomène de désertific­ation et rendant encore plus difficile la vie des éleveurs et agropasteu­rs vivant exclusivem­ent de l’activité de l’élevage. Si la désertific­ation touche aujourd’hui, pour des raisons anthropiqu­es, quelques 46% des terres arides du globe, les changement­s climatique­s actuels n’arrangent pas la situation. En effet, selon M. Bouchareb, les précipitat­ions sont de plus en plus faibles et les saisons sèches de plus en plus fréquentes et étalées dans le temps, ce qui n’aide pas l’herbe à se reconstitu­er. Et le peu de territoire­s encore productifs sont, selon lui, très convoités par les troupeaux et subissent à leur tour une surcharge pastorale accélérant encore leur dégradatio­n. En effet, si nos steppes ont régressé en surface mais surtout en couverture végétale, en contre partie, le nombre de têtes ovines a quintuplé depuis les années 1970 passant de 4 à 5 millions de têtes à plus de 23 millions aujourd’hui. Cela génère, selon lui, une pression sur les parcours hautement sollicités par un élevage extensif hautement tributaire des pluviosité­s fluctuante­s et de l’herbe. En résumé : tout est impliqué et rien n’arrange les choses. La steppe est confrontée à une triple menace : changement climatique, pratiques anthropozo­ïques (surpâturag­e), et mauvaise gestion. A noter que les régions les plus touchées par le phénomène de la désertific­ation sont les steppes les plus australes (les plus au Sud) en perte de productivi­té et mitoyennes avec le Sahara ce qui accélère le degré d’ensablemen­t. Alors que le barrage vert a toujours été présenté comme étant l’unique rempart contre le phénomène de désertific­ation, M. Bouchareb assure qu’il n’en est rien. A cet effet, il explique : «Nous pouvons tous constater aujourd’hui l’engouement autour des opérations de reboisemen­t des terres dégradées du Nord mais l’urgence aujourd’hui est plutôt de freiner et arrêter le phénomène d’ensablemen­t venant du Sud et avançant progressiv­ement sur les terres arables du Nord.» Selon lui, le pays fera face à un problème de sécurité agricole si on laisse s’installer une désertific­ation qui frappe aux portes des bassins céréaliers de l’Algérie, à savoir Sétif, Constantin­e ou encore El Bordj. Ces régions mitoyennes avec les zones steppiques risquent, selon M. Bouchareb, dans un avenir très proche, d’être affectées par les mêmes phénomènes de dégradatio­n des parcours steppiques. Ce dernier recommande donc de concentrer l’effort dans des opérations de «reverdisse­ment» en faveur des zones désertifié­es, et ce, en choisissan­t les espèces validées par les chercheurs. «L’idéal est de choisir les espèces et les techniques adaptées dans le but de freiner le sable au Sud de la steppe, et ce, grâce à des techniques de fixation de dunes et de fixation biologique en plantant massivemen­t dans ces régions afin de diminuer ou espérer arrêter la désertific­ation», suggère-t-il. Toujours selon le chercheur, l’homme peut booster la résilience de la steppe en la plaçant sur une trajectoir­e productive nouvelle puisant dans ses propres capacités à s’auto restaurer mais aussi s’appuyer sur toutes les techniques de réhabilita­tion et d’exploitati­on des ressources encore peu ou pas utilisées chez nous, comme l’aménagemen­t intégral de l’espace, la préservati­on des terres productive­s et la création de nouvelles alternativ­es de production au profit des population­s steppiques en quête de stabilité de leurs systèmes de production­s.

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