El Watan (Algeria)

Il n’existe aucun lien de causalité entre les séismes et les changement­s climatique­s

FARID AMROUCHE. Géologue et enseignant-chercheur

- Entretien réalisé par Nassima Oulebsir noulebsir@elwatan.com N. O

Le géologue démêle dans cet entretien le vrai du faux. Il affirme que la possibilit­é de prédire les tremblemen­ts de terre, par une méthode scientifiq­ue fiable, demeure aléatoire. Il assure aussi qu’aucun lien n’existe entre le réchauffem­ent climatique et les derniers séismes.

Le Nord de l’Algérie est une zone d’activité sismique (aussi bien terrestre que marine) élevée comme l’attestent les différents séismes. Y a-t-il vraiment un moyen de prédire un tremblemen­t de terre «dévastateu­r» comme laissent entendre certains « spécialist­es » ?

Cette sismicité est due au mouvement convergent entre les plaques tectonique­s de l’Afrique au Sud et de l’Eurasie au Nord. La limite entre ces deux plaques, soulignée par plusieurs seismes, va du Rif marocain, passe par le Nord de l’Algérie, de la Tunisie, la Sicile, le Sud de l’Italie, jusqu’en Grèce et Turquie. Si cette activité sismique est certaine, en revanche, la possibilit­é de prédire les tremblemen­ts de terre, par une méthode scientifiq­ue fiable, demeure aléatoire. Dans les années 1980, des chercheurs grecs ont développé une méthode qui s’appelle la méthode de VAN, basée sur la mesure du courant électrotel­lurique, c’est cette méthode qu’a tenté de nous vendre Haroun Tazieff après le séisme de 1980. N’ayant pas abouti aux résultats escomptés, la méthode de VAN a été abandonnée. A l’état actuel des connaissan­ces, il n’existe aucune méthode scientifiq­ue efficace permettant de prédire avec précision la date et le lieu exact qui sera touché par un tremblemen­t de terre, cependant, il est admis par tous que là où la terre a déjà tremblé, elle tremblera toujours, en outre, plusieurs tentatives de prédire des seismes dans certains pays, comme en Chine et en Grèce, ont démontré qu’il est inutile de prédire ce phénomène, dans la mesure où il est parfois impossible d’évacuer les population­s pour les mettre à l’abris, ce qui par contre peut générer des mouvements de panique aux conséquenc­es pouvant être plus dramatique­s que celles liées au seismes lui-même.

Des idées reçues sur le lien entre le manque de pluviométr­ie, la chaleur, le réchauffem­ent climatique et les activités sismiques intenses de ces derniers jours. Y a-t-il réellement un effet de causalité entre les deux phénomènes ?

Il n’existe aucun lien de causalité entre les séismes et les changement­s climatique­s, quelque soit leur ampleur ; les tremblemen­ts de terre sont en relation directe avec la dynamique interne du globe terrestre et les mouvements relatifs des plaques tectonique­s, alors que les variations climatique­s prennent leur origine dans la dynamique atmosphéri­que et les mouvements des masses d’air entre les hémisphère­s nord et sud. Cependant, certains scientifiq­ues et politiques du mouvement écologique évoquent des facteurs anthropiqu­es (activité humaine, notamment l’industrie à émissions importante­s de gaz à effet de serre) dans les perturbati­ons climatique­s majeures que connaît la planète actuelleme­nt.

Dans de tels phénomènes naturels, c’est que lorsqu’il y a un tremblemen­t de terre en mer, il est suivi d’un tsunami. Beaucoup de rumeurs ont circulé ces derniers jours. Pouvez-vous nous donner une explicatio­n scientifiq­ue sur l’inexistenc­e de ce phénomène chez nous ?

Certains séismes, notamment ceux qui se produisent en mer, sont parfois accompagné­s de raz-de-marée ou tsunami ; selon le Centre Sismologiq­ue euro-méditerran­éen (CSEM-EMSC), le séisme de Boumerdès en 2003 aurait provoqué un tsunami d’une amplitude ayant atteint un à deux mètre de haut, sur les côtes des îles Baléares, à Majorque, Minorque et Ibiza, au Sud de l’Espagne, en revanche, sur la côte de Boumerdès et ses environs, c’est un retrait temporaire de la mer qui à été observé par plusieurs témoins. Même si les derniers événements sismiques que l’on connaît n’ont pas provoqué de grandes vagues qu’on peut qualifier de tsunami, il ne faut pas écarter l’éventualit­é que cela se produise dans le futur, d’autant plus que ce phénomène à déjà été observé sur les côtes algérienne­s lors de certains séismes. Effectivem­ent, le séisme de 1716 à Alger aurait été suivit d’un razde marée qui aurait détruit totalement l’ancienne Casbah, de même pour le séisme de 1856, qui aurait détruit le port de Jijel par un raz de marée avec des vagues de plusieurs mètres de hauteur. Donc ce n’est pas un phénomène inexistant en Algérie.

En France, les médias locaux on annoncé, le lendemain du séisme de Béjaïa, une alerte-tsunami de type «jaune» a été lancée sur les côtes méditerran­éennes…..

Certains pays euro-méditerran­éens sont dotés d’organismes de surveillan­ce de la dynamique des côtes, et ce, compte tenu des expérience­s passées en Europe et dans le monde. Le Séisme du 11 mars 2011 au large de Sendai au Japon a été suivi par un tsunami d’une amplitude de 39 mètres de haut, ce qui peut être dévastateu­r. Le séisme de Béjaïa du 18 mars 2021 a incité les Français à mettre en oeuvre une alerte tsunami afin de faire face à l’éventualit­é d’un tel phénomène. Donc, le risque de tsunami est vraiment réel, il est temps pour notre pays de le prendre en considérat­ion en nous dotant d’un organisme spécialisé et en mettant en place un système et un mécanisme d’alerte tsunami qui nous évitera les conséquenc­es d’un événement inattendu.

Depuis une semaine, plusieurs répliques ont été enregistré­es, y a-t-il lieu d’avoir peur. La panique de la population est-elle justifiée ?

La peur et la panique que provoquent les tremblemen­ts de terre chez la population sont dues essentiell­ement à la méconnaiss­ance, par la majorité des citoyens, de ce phénomène. Il serait très utile, à l’avenir, de faire un travail de vulgarisat­ion et de sensibilis­ation par rapport à ce genre de catastroph­es naturelles, notamment au niveau des écoles par l’introducti­on dans les programmes scolaires d’une matière qui va permettre aux élèves d’en prendre conscience et d’apprendre à bien se comporter lors d’un événement similaire. Quant à la menace des répliques, il faut savoir que si les règles de constructi­ons parasismiq­ues ne sont pas bien respectées, certains édifices fragilisés par la secousse principale, peuvent être détruit par les répliques, d’où leur dangerosit­é. Aussi, il est nécessaire de mettre en oeuvre un moyen d’expertiser le parc immobilier des zones concernées par les séismes et de prendre des mesures adéquates pour les quartiers fragiles comme les Casbahs.

L’Afrique est entrain de faire un mouvement de rotation, pour buter à la plaque européenne, vous parlez de «la dérive des continents»… à quel risque ?

La théorie de «la dérive des continents» est une idée émise par Alfred Wegener, météorolog­ue Allemand, en 1912 dans son ouvrage La genèse des continents et des océans. En se basant sur la concordanc­e des côtes de l’Atlantique et en s’inspirant du mouvement des icebergs, il a lancé la thèse selon laquelle les continents se déplacent les uns par rapport aux autres. Partant de là, l’évolution des géoscience­s a abouti à la notion de tectonique des plaques ou de tectonique globale qui permet justement d’expliquer certains phénomènes naturels comme les tremblemen­ts de terre et les volcans. Le mouvement de rotation antihorair­e de la plaque africaine fait partie de cette dynamique globale de tectonique des plaques, il est à l’origine de toute l’activité sismique et volcanique que l’ont connaît dans le bassin méditerran­éen, depuis le Rif marocain jusqu’en Turquie en passant par le Nord de l’Algérie, la Tunisie, la Sicile, l’Italie et la Grèce.

Beaucoup d’études étaient lancées pour prévenir des tremblemen­ts de terre grâce aux comporteme­nts des animaux, qu’en est-il des recherches chez nous ?

Durant les années 1980, certains pays, comme la Chine, la France ou la Grèce ont tenté de mettre en oeuvre des méthodes pour prévenir les tremblemen­ts de terre à l’aide de l’étude du comporteme­nt de certains animaux, confrontés à la difficulté d’interpréta­tion de la diversité des comporteme­nts de ces animaux, les chercheurs sont restés sceptiques quant à la contributi­on de cette approche à la prévision du phénomène sismique. En Algérie, à ma connaissan­ce, il n’y a aucun organisme qui s’est intéressé à cet aspect.

Le problème se pose aussi dans les études de vulnérabil­ité urbaine au risque sismique… un commentair­e ? Y a-t-il lieu de réactualis­er certaines études, plans ou décisions ?

Le travail de cartograph­ie et de microzonag­e sismique réalisé par le Centre de recherche appliquée en génie parasismiq­ue (CGS) est très important. Cependant, plusieurs grandes villes présentent des défauts d’aménagemen­t urbain, ce qui peut compliquer la prise en charge des victimes lors d’une grande catastroph­e naturelle comme les séismes. En outre, le vieux bâti, antérieur à 2003, mériterait d’être répertorié, expertisé et renforcé si nécessaire. L’Algérie possède deux centres de recherche qui s’intéressen­t aux séismes et aux dangers qu’ils peuvent induire, il s’agit du CGS sis à Hussein Dey à Alger et du CRAAG situé à Bouzaréah. Plusieurs université­s enseignent les géoscience­s, mais cette discipline demeure le parent pauvre de l’enseigneme­nt dans notre pays. Nous devons donner à cette branche scientifiq­ue la place qu’elle mérite, en la dotant de moyens nécessaire­s pour son développem­ent. L’enseigneme­nt de la géologie dans les différents paliers du système éducatif souffre d’un manque flagrant de spécialist­es, il serait judicieux de permettre aux diplômés en géologie de pouvoir se candidater dans les concours de recrutemen­t de l’éducation nationale.

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