L’investissement bloqué faute de textes d’application
RÉACTIVÉ EN 2020, LE CALPIREF N’A JAMAIS SIÉGÉ POUR RÉPONDRE AUX DOLÉANCES DES PORTEURS DE PROJETS l se demande un investisseur.
«Le dernier Conseil des ministres a parlé de tout et de rien dimanche, sauf de l’investissement Comment peut-on débattre de la gestion de la Grande Mosquée et éluder un sujet aussi important pour l’économie nationale ? Le Président sait-il que le Conseil national de l’investissement ne s’est pas réuni depuis plus d’une année ?»
Un fait unique dans les annales. Depuis janvier 2020, aucun investisseur privé n’a obtenu de terrain relevant du domaine privé de l’Etat en vue de concrétiser son projet. Cela est valable pour toutes les wilayas du pays. Alors que l’Algérie traverse une crise sans précédent, le gouvernement semble naviguer à vue, ne savant plus quoi faire pour mettre la machine du développement sur les rails. Annoncée à maintes reprises, la facilitation des mesures d’accès au foncier industriel ne s’est jamais traduite dans les faits. Mis au placard en 2015, le Comité d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de la régulation du foncier (Calpiref) a été réactivé à la faveur de l’article 118 de la loi de finances 2020. Néanmoins, cet organe, dont la mission principale est d’étudier les dossiers d’investissement et d’octroyer des terrains aux promoteurs, tarde toujours à reprendre du service. Ce retard s’explique par l’absence de textes d’application que l’équipe de l’ex-ministre de l’Industrie, Farhat Aït Ali Brahim, a mis plus d’une année à peaufiner sans toutefois réussir à les parachever. Son successeur, Mohamed Bacha, n’a pas fait mieux. Le coordinateur de la Confédération algérienne du patronat de Boumerdès, Raouf Bouhbila, parle d’«une situation de blocage tous azimuts». «Il n’y a pas que les demandeurs de terrains qui sont pénalisés. Même ceux qui veulent changer leur activité ou engager des partenariats avec des étrangers doivent passer par le Calpiref pour modifier leur titre de concession», a-t-il indiqué. Malgré la forte demande enregistrée sur le foncier, des centaines de lots de terrain récupérés dans le cadre de l’opération d’assainissement des zones industrielles et d’activités tardent à être attribués.
Attendu sur ces questions, le dernier Conseil des ministres en a déçu plus d’un. «Il y a un énorme fossé entre le discours officiel et la réalité. Le dernier Conseil des ministres a parlé de tout et de rien dimanche, sauf de l’investissement. Comment peut-on débattre de l’organisation de la gestion de la Grande Mosquée d’Alger et éluder un sujet aussi important pour l’économie nationale ? Le Président sait-il que le conseil national de l’investissement ne s’est pas réuni depuis plus d’une année ? Lors de sa dernière rencontre avec les représentants de la presse nationale, il a promis que la nouvelle loi relative à la promotion des investissements sera promulguée au plus tard au mois de mars. A ce jour, on n’a rien vu», s’étonne le gérant d’une entreprise de conditionnement basée à Bouira. Comme dans d’autres wilayas du pays, les autorités locales se sont lancées dans une rude bataille contre les promoteurs défaillants et les spéculateurs fonciers. Cette opération a permis la récupération de 109 lots de terrain, mais leur attribution est suspendue à la promulgation des textes d’application du Calpiref. «La première mouture de la loi a été envoyée aux directions de wilaya en avril 2020, pour l’enrichir et apporter leurs propositions. Aucune bonne nouvelle depuis», s’indigne notre interlocuteur. Selon lui, même le projet de révision de la Constitution n’a pas connu un tel retard. «Ne dit-on pas que quand on veut, on peut. Je présume que nos dirigeants ont d’autres préoccupations. Il y a un mois, le chef de l’Etat a tenté d’envoyer la balle aux maires, alors que les assemblées élues n’ont ni les moyens financiers ni les compétences et encore moins le droit de gérer le foncier», a-t-il expliqué.
Dans la wilaya de Boumerdès, des dizaines de porteurs de projets sont dans l’expectative. Sur un total de 4000 dossiers d’investissement déposés auprès des services concernés, plus de 820 ont été jugés éligibles, mais la quasi-totalité est rangée dans les tiroirs. L’indisponibilité du foncier brise les rêves des plus ambitieux entrepreneurs. C’est le cas du gérant de la SARL Iskirol de Hammadi, une unité spécialisée dans la fabrication de détergents dont les produits sont exportés depuis plusieurs années. «Notre entreprise emploie 320 personnes. Nous voulons développer nos activités, mais nous n’avons pas de terrain», a-t-il déploré lors d’une rencontre ayant réuni des dizaines d’opérateurs avec le wali. Un investisseur de Baghlia dit avoir acheté un terrain de seconde main dans la zone d’activités avant qu’il ne lui soit retiré par les autorités. «Mon projet est consistant. Je vise l’exportation. On m’a donné un autre lot qui non seulement est incessible mais une partie est réclamée par l’exploitant d’une EAC, avec lequel je suis en litige. J’ai beaucoup dépensé là-bas.
Et on est bloqué depuis deux ans», a-t-il relaté avant de demander le changement de son lot de terrain. Bien d’autres investisseurs sont dans la même situation. A Ouled Moussa, 53 opérateurs sont bloqués à cause de problèmes de bornage et de la zone d’activités. La plupart attendent avec impatience la réactivation du Calpiref pour pouvoir modifier leurs arrêtés de concession. A Constantine, le wali, Ahmed Abdelhafid, a fait état récemment de 3693 demandes qui ont été déposées au niveau du Calpiref. Ces projets d’un montant de 3039 milliards de dinars devaient créer 245 000 postes d’emploi, mais cet objectif risque de ne jamais être atteint. A Tizi Ouzou, sur 1512 dossiers d’investissement formulés, 358 ont été approuvés et validés par la commission de wilaya, selon les déclarations du directeur de l’industrie rapportées en janvier dernier par El Watan. Le coût de ces investissements est évalué à 84 milliards de dinars. «Il s’agit d’une valeur ajoutée importante pour notre wilaya pour peu que ces projets soient concrétisés. Ils permettront aussi la création d’environ 17 000 postes d’emploi», a-t-il souligné, ajoutant que seuls 21 projets sont entrés en activité. Malgré ce cuisant échec, le gouvernement continue à faire du surplace et à multiplier les déclarations d’intention sans jamais passer à l’acte.