L’illusion de la normalisation
Alors que les préoccupations de l’heure des citoyens sont accaparées par l’érosion alarmante du pouvoir d’achat, la pénurie et la flambée des prix des produits de large consommation coïncidant avec l’approche du mois sacré de Ramadhan, le pouvoir a les yeux rivés sur les échéances législatives du 12 juin.
A l’indifférence manifestée par l’opinion par rapport à ce rendez-vous électoral qui ne suscite pas, pour l’heure, un enthousiasme populaire particulier, face à un événement politique censé pourtant être important dans la vie d’une nation, le pouvoir tente de créer, par des artifices surannés dont il a le secret, l’illusion d’une normalisation de la vie politique et électorale qui n’existe que dans le discours officiel et officieux. A quelques jours du lancement de la campagne électorale, le pouvoir tente laborieusement de faire lever la mayonnaise électorale pour vaincre le syndrome de l’abstentionnisme. Toutes les recettes utilisées jusque-là, à coups de fausses promesses électorales, de mesures électoralistes et populistes pour susciter l’engouement électoral de la population se sont révélées vaines et infructueuses.
Né ex nihilo, le mouvement associatif arrimé au projet de «l’Algérie nouvelle» du pouvoir a planté le décor depuis plusieurs mois déjà en occupant le terrain et l’espace médiatique. L’objectif de la démarche étant de supplanter la classe politique en place en changeant de monture tout en prenant, en apparence, des distances avec les clientèles décriées de l’ancien système, sans pour autant rompre définitivement les amarres avec ces forces, dont les capacités de nuisance demeurent toujours aussi fortes et imprévisibles. Disparus des écrans radars, les dinosaures des formations politiques de l’ancienne majorité présidentielle, dont certains sont aujourd’hui en prison et les autres réduits au confinement politique et au silence par le hirak, sont remplacés par de nouveaux acteurs politiques et sociaux formatés, dont le profil et le discours n’ont rien à envier à ceux de la nomenklatura de l’ancien régime. Avec un tel attelage présenté comme un gage de renouveau, il sera assurément difficile au pouvoir de réussir le pari d’organiser une campagne électorale relevée au plan du débat et apaisée sur le terrain. Le remplissage factice des salles de meeting au profit de partis insignifiants ou rejetés par le peuple et dont la seule «légitimité» est le soutien au pouvoir en place, le matraquage médiatique déconnecté des réalités nationales ne sauveront pas le prochain scrutin du spectre du boycott, comme cela s’est vérifié lors des précédentes consultations électorales. L’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), qui fait fonction d’antibrouillard dans l’environnement politique dépourvu de toute visibilité dans lequel est plongé le pays, s’enthousiasme en alignant, dans un premier bilan, des chiffres éloquents censés refléter un intérêt grandissant de la classe politique et des indépendants pour les candidatures aux prochaines élections législatives. Sans préjuger des valeurs intrinsèques des candidats et de leurs compétences, il demeure que la question de la légitimité de la prochaine Assemblée reste posée et sera subordonnée immanquablement au niveau de la participation électorale. Même si la Constitution ne fixe pas de seuil légal en deçà duquel le scrutin pourrait être invalidé, le pouvoir ne pourra pas politiquement et moralement s’accommoder d’un faible taux de participation sans que cela n’entame un peu plus encore sa légitimité face aux millions de voix du hirak que l’on refuse d’entendre et d’écouter.