Projet politique ou effet de mode ?
L Pour réussir la transformation numérique de notre pays, il faut avoir une vision et une stratégie, une feuille de route multisectorielle et des programmes de développement transversal, un cadre légal approprié et des applications intersectorielles.
Les assises nationales sur l’économie de la connaissance ont démontré certes que le pari du gouvernement est de sortir de la «rente», aller vers une économie diversifiée et productrice de richesse en rompant avec les anciens modes, mais le chemin reste encore long pour y parvenir.
Pour réussir la transformation numérique de notre pays, il faut avoir une vision et une stratégie, une feuille de route multisectorielle et des programmes de développement transversal, un cadre légal approprié et des applications intersectorielles. Une question se pose avec acuité : cette transformation est-elle une nouvelle façon de faire incontournable ou simple effet de mode ? Force est de reconnaître que le développement s’est fait jusquelà par à-coups, par touches conjoncturelles avec peu de coordination entre les acteurs, très souvent au détriment d’une mutualisation des ressources humaines et matérielles.
De prime abord, il faudrait faire la distinction entre la numérisation et la digitalisation. Quand on parle de numérisation d’une entreprise, il s’agit de l’équipement de l’entreprise en termes d’outils numériques, comme les ordinateurs, les scanners et les logiciels. Elle concerne aussi la transformation des documents en formats numériques. Par exemple, numériser les archives et les fiches clients.
La digitalisation d’une entreprise implique, évidemment, sa numérisation mais va au-delà. En effet, digitaliser une entreprise consiste à mettre en place de nouveaux canaux de communication interne et externe via internet. Avec le digital, un système de travail collaboratif doit être mis en place et valorisé. Le passage au digital doit s’inscrire dans un véritable projet d’entreprise réfléchi, programmé, centré sur l’humain et qui demande des ressources, de l’organisation et de la patience.
S’exprimant lors d’un de ses passages au forum d’El Moudjahid, Djaoued Allal, vice-président du Forum des chefs d’entreprises (FCE) chargé du développement du numérique et directeur général de ADEX Technology, avait déclaré : «Nous devons avoir une réelle vision stratégique du numérique pour le pays à court, moyen et long termes, bâtir un véritable écosystème numérique dans le but de donner l’élan nécessaire aux acteurs locaux du numérique.» Il avait attiré l’attention sur les taxes depuis 2018 sur les équipements numériques, source de valeur ajoutée et de compétitivité pour les entreprises. Les mesures prises par la loi de finances 2018 ont «ralenti la transformation digitale en Algérie et constituent même un frein». Un ordinateur coûte plus cher et certains foyers ne pourront pas l’acquérir. Les augmentations affaiblissent le pouvoir d’achat, largement impacté par la crise économique. La construction des réseaux et les services délivrés deviennent plus chers et cela bloque l’innovation. En plus, l’activité des petites entreprises est touchée de plein fouet. Quand on augmente le coût, elles ne vont pas diminuer la taille du projet, mais cela veut dire qu’elles vont annuler carrément certains projets faute d’avoir des budgets. En fait, il y a une confusion sur les produits technologiques finis de large consommation, importés pour la revente en l’état, et les produits finis mais qui sont en réalité des intrants d’exploitation pour des projets de numérisation.
Le gouvernement ne doit plus considérer aujourd’hui l’activité numérique comme étant quelque chose d’accessoire aux métiers, mais plutôt une nécessité pour le développement. «On n’arrive pas à comprendre pourquoi on a 30% de taxes sur les outils informatiques», constate Djaoued Allal, indiquant que ces équipements s’avèrent très onéreux en Algérie et donc inaccessibles pour nombre de PME. La majorité du matériel informatique est consommée par l’Etat. Les institutions, administrations et grandes entreprises sont les plus dépendantes de ces matériels informatiques. Il faut savoir que la moyenne globale en termes de participation du numérique au PIB par pays au niveau mondial est de 8-9% et de 12% pour les pays ayant le plus investi dans le numérique. En Algérie, le numérique participe à moins de 4% au PIB national.
Le numérique est devenu un moyen incontournable pour moderniser l’administration centrale et locale, lutter contre la bureaucratie et améliorer davantage la qualité du service public rendu. Après avoir procédé à la numérisation de certains services publics indispensables pour le citoyen (état civil, casier judiciaire, carte Chifa), les pouvoirs publics prévoient de promouvoir l’administration numérique (eadministration) à travers, notamment, la dématérialisation des différentes prestations publiques.
«La numérisation n’a jamais été pour les pouvoirs publics une préoccupation majeure, traduite par une politique publique inscrite dans un programme devant donner ses fruits dans un délai précis. Elle a obéi à des initiatives d’individus, de structures ou d’injonction», a écrit dans une revue le Dr Bachir Kechroud, économiste.
Pour Djamel Eddine Tir, directeur central au ministère des Finances, «les indicateurs phares pour lesquels l’Algérie est bien classée sont : les infrastructures et les compétences, par rapport à d’autres pays de comparaison à revenu moyen de la tranche supérieure. En revanche, des efforts doivent être engagés pour surmonter les faiblesses constatées dans d’autres indicateurs, à l’image de celui de l’usage des TIC, de l’environnement de la politique de régulation, l’innovation et des affaires». Le développement de l’usage des TIC dans la sphère économique et commerciale doit constituer une priorité à court et moyen termes. Les services tels que le «e-paiement», le «e-commerce» sont autant de domaines clés qui permettraient d’augmenter le volume des transactions, de bancarisation de l’économie et de compétitivité des entreprises algériennes. Le numérique doit, pour peser dans les débats, devenir un projet politique à part entière.