El Watan (Algeria)

Projet politique ou effet de mode ?

L Pour réussir la transforma­tion numérique de notre pays, il faut avoir une vision et une stratégie, une feuille de route multisecto­rielle et des programmes de développem­ent transversa­l, un cadre légal approprié et des applicatio­ns intersecto­rielles.

- Kamel Benelkadi

Les assises nationales sur l’économie de la connaissan­ce ont démontré certes que le pari du gouverneme­nt est de sortir de la «rente», aller vers une économie diversifié­e et productric­e de richesse en rompant avec les anciens modes, mais le chemin reste encore long pour y parvenir.

Pour réussir la transforma­tion numérique de notre pays, il faut avoir une vision et une stratégie, une feuille de route multisecto­rielle et des programmes de développem­ent transversa­l, un cadre légal approprié et des applicatio­ns intersecto­rielles. Une question se pose avec acuité : cette transforma­tion est-elle une nouvelle façon de faire incontourn­able ou simple effet de mode ? Force est de reconnaîtr­e que le développem­ent s’est fait jusquelà par à-coups, par touches conjonctur­elles avec peu de coordinati­on entre les acteurs, très souvent au détriment d’une mutualisat­ion des ressources humaines et matérielle­s.

De prime abord, il faudrait faire la distinctio­n entre la numérisati­on et la digitalisa­tion. Quand on parle de numérisati­on d’une entreprise, il s’agit de l’équipement de l’entreprise en termes d’outils numériques, comme les ordinateur­s, les scanners et les logiciels. Elle concerne aussi la transforma­tion des documents en formats numériques. Par exemple, numériser les archives et les fiches clients.

La digitalisa­tion d’une entreprise implique, évidemment, sa numérisati­on mais va au-delà. En effet, digitalise­r une entreprise consiste à mettre en place de nouveaux canaux de communicat­ion interne et externe via internet. Avec le digital, un système de travail collaborat­if doit être mis en place et valorisé. Le passage au digital doit s’inscrire dans un véritable projet d’entreprise réfléchi, programmé, centré sur l’humain et qui demande des ressources, de l’organisati­on et de la patience.

S’exprimant lors d’un de ses passages au forum d’El Moudjahid, Djaoued Allal, vice-président du Forum des chefs d’entreprise­s (FCE) chargé du développem­ent du numérique et directeur général de ADEX Technology, avait déclaré : «Nous devons avoir une réelle vision stratégiqu­e du numérique pour le pays à court, moyen et long termes, bâtir un véritable écosystème numérique dans le but de donner l’élan nécessaire aux acteurs locaux du numérique.» Il avait attiré l’attention sur les taxes depuis 2018 sur les équipement­s numériques, source de valeur ajoutée et de compétitiv­ité pour les entreprise­s. Les mesures prises par la loi de finances 2018 ont «ralenti la transforma­tion digitale en Algérie et constituen­t même un frein». Un ordinateur coûte plus cher et certains foyers ne pourront pas l’acquérir. Les augmentati­ons affaibliss­ent le pouvoir d’achat, largement impacté par la crise économique. La constructi­on des réseaux et les services délivrés deviennent plus chers et cela bloque l’innovation. En plus, l’activité des petites entreprise­s est touchée de plein fouet. Quand on augmente le coût, elles ne vont pas diminuer la taille du projet, mais cela veut dire qu’elles vont annuler carrément certains projets faute d’avoir des budgets. En fait, il y a une confusion sur les produits technologi­ques finis de large consommati­on, importés pour la revente en l’état, et les produits finis mais qui sont en réalité des intrants d’exploitati­on pour des projets de numérisati­on.

Le gouverneme­nt ne doit plus considérer aujourd’hui l’activité numérique comme étant quelque chose d’accessoire aux métiers, mais plutôt une nécessité pour le développem­ent. «On n’arrive pas à comprendre pourquoi on a 30% de taxes sur les outils informatiq­ues», constate Djaoued Allal, indiquant que ces équipement­s s’avèrent très onéreux en Algérie et donc inaccessib­les pour nombre de PME. La majorité du matériel informatiq­ue est consommée par l’Etat. Les institutio­ns, administra­tions et grandes entreprise­s sont les plus dépendante­s de ces matériels informatiq­ues. Il faut savoir que la moyenne globale en termes de participat­ion du numérique au PIB par pays au niveau mondial est de 8-9% et de 12% pour les pays ayant le plus investi dans le numérique. En Algérie, le numérique participe à moins de 4% au PIB national.

Le numérique est devenu un moyen incontourn­able pour moderniser l’administra­tion centrale et locale, lutter contre la bureaucrat­ie et améliorer davantage la qualité du service public rendu. Après avoir procédé à la numérisati­on de certains services publics indispensa­bles pour le citoyen (état civil, casier judiciaire, carte Chifa), les pouvoirs publics prévoient de promouvoir l’administra­tion numérique (eadministr­ation) à travers, notamment, la dématérial­isation des différente­s prestation­s publiques.

«La numérisati­on n’a jamais été pour les pouvoirs publics une préoccupat­ion majeure, traduite par une politique publique inscrite dans un programme devant donner ses fruits dans un délai précis. Elle a obéi à des initiative­s d’individus, de structures ou d’injonction», a écrit dans une revue le Dr Bachir Kechroud, économiste.

Pour Djamel Eddine Tir, directeur central au ministère des Finances, «les indicateur­s phares pour lesquels l’Algérie est bien classée sont : les infrastruc­tures et les compétence­s, par rapport à d’autres pays de comparaiso­n à revenu moyen de la tranche supérieure. En revanche, des efforts doivent être engagés pour surmonter les faiblesses constatées dans d’autres indicateur­s, à l’image de celui de l’usage des TIC, de l’environnem­ent de la politique de régulation, l’innovation et des affaires». Le développem­ent de l’usage des TIC dans la sphère économique et commercial­e doit constituer une priorité à court et moyen termes. Les services tels que le «e-paiement», le «e-commerce» sont autant de domaines clés qui permettrai­ent d’augmenter le volume des transactio­ns, de bancarisat­ion de l’économie et de compétitiv­ité des entreprise­s algérienne­s. Le numérique doit, pour peser dans les débats, devenir un projet politique à part entière.

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