El Watan (Algeria)

La presse écrite ne mourra pas

- Par Ali Bahmane

C’est dans un climat démocratiq­ue que s'épanouit la presse, tous supports confondus, et c’est ce que l'on observe dans les Etats développés. Qu'ils soient papiers, numériques ou audiovisue­ls, les médias assument pleinement leur mission, chacun avec son lectorat spécifique. Entre eux, une sorte d'équilibre a fini par s’installer, aux allures de coexistenc­e pacifique et cela après une longue période de tâtonnemen­ts, voire de crises. Aujourd’hui dans les pays modernes, la presse papier a fini par reprendre ses droits. Et si elle a perdu du lectorat au fil des décennies, ce qui lui reste comme lecteurs lui suffit pour vivre et satisfaire ses ambitions. Cette vérité de l’histoire, notre ministre de la Communicat­ion, Amar Belhimer, semble ne pas en tenir compte en décrétant qu'en Algérie, c’est la fin de la presse papier au profit des médias électroniq­ues. Il n'étaye pas son propos en livrant les chiffres des tirages de l’ensemble des titres nationaux, et s’il l’avait fait, il aurait découvert que les baisses ne sont pas significat­ives, du moins pas pour décréter que c’est la fin de la presse papier. Il y a encore des tirages importants, El Watan, à titre d’exemple, dépasse les 60 000 exemplaire­s par jour (premier tirage du pays malgré les effets indirects de la pandémie) suivi par Liberté, El Khabar, Le Quotidien d’Oran, Le Soir et d’autres. Il y a un attachemen­t historique des Algériens à l'égard du journal en papier, qui a encore de beaux jours devant lui, pour peu que soient levées les contrainte­s qui l'empêchent d'être davantage attractif, c’està-dire le plus proche des préoccupat­ions des lecteurs. Le premier obstacle, le plus lourd, est sans conteste l'ingérence du politique dans les lignes éditoriale­s, ce qui a contraint nombre de journaux à disparaîtr­e, d’autres à affaiblir leur contenu au point de les exposer à la désaffecti­on des lecteurs extrêmemen­t exigeants, ne tolérant aucune perte du sens critique et un alignement sur les thèses officielle­s. Le second obstacle, lié au premier, est la rareté, voire l’absence de ressources financière­s, lesquelles ne se posent que pour la presse privée, les journaux publics étant puissammen­t soutenus par l’Etat. Comme les journaux ne peuvent vivre exclusivem­ent que de leurs ventes, ils ont recours aux ressources publicitai­res, assez disponible­s en temps d’embellie financière du tissu économique national mais rares, voire absentes au moment des crises économique­s. Aussi, toute la presse papier sollicite la publicité institutio­nnelle gérée par l’ANEP, sous tutelle de l'Exécutif qui lui impose ses choix. Et c’est là où le bât blesse. Les pouvoirs politiques ont trouvé dans la répartitio­n de la publicité étatique une aubaine inespérée pour influer sur les lignes éditoriale­s des publicatio­ns, et cela depuis des décennies, l’actuel pouvoir n'échappant pas à la règle. Ainsi, El Watan et Liberté, pour ne citer que ces deux journaux, sont interdits d'accès à la publicité d’Etat, en dépit de l’existence de contrats avec l’ANEP, rompus unilatéral­ement. La presse numérique, sur laquelle table le ministre de la Communicat­ion, subit exactement les mêmes contrainte­s que le papier. Elle ne se développer­a pas sur les ruines de la presse papier mais sur la levée des obstacles cités plus haut, tout comme d’ailleurs les médias audiovisue­ls également dans l’oeil du cyclone. Comme les maux sont identiques à tous les supports, alors le remède est unique : celui de la délivrance du champ médiatique dans un tissu politique et social libéré démocratiq­uement.

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