LE HIRAK RÉSISTE À BÉJAÏA
Le mouvement populaire du 22 Février 2019 résiste malgré le temps, les poursuites judiciaires qui le ciblent et les tenants du pouvoir qui l’ignorent. La 111e marche qui a eu lieu hier dans la ville de Béjaïa l’a démontré en mobilisant quelques milliers de citoyens de tout âge, dont ceux qui continuent à venir nombreux de plusieurs localités, voire même d’autres wilayas.
Passé le choc du séisme, Béjaïa a vibré autrement. Aux côtés des enfants qui accompagnent leurs parents, les femmes ne sont plus en nombre limité comme lors des premières marches de la reprise du mouvement, en février dernier. Il est loisible de constater qu’elles sont de plus en plus nombreuses à sortir, parfois drapées du drapeau national. Celles qui ont l’habitude de manifester chaque vendredi depuis plus de deux ans ont redonné forme à leur carré, animé à l’aide d’un mégaphone. Le carré «rouge», qui distingue les militants et sympathisants du PST, était hier au rendez-vous, avec l’inévitable fanion à l’effigie du Che. Mahmoud Rechidi, le porte-parole du parti, a pris place à la tête du carré où une banderole rend hommage au défunt Achour Idir, ex-secrétaire général du Conseil des lycées d’Algérie (CLA), dont on commémore le deuxième anniversaire de sa disparition. La manif’ n’a rien changé à son rythme festif, avec le son des tambours qui imprègne à la marche l’ambiance des stades. Une pancarte rappelle cependant que la ville compte toujours des sinistrés du dernier séisme. «Urgent : un logement pour chaque famille sinistrée», alerte l’une des rares pancartes qui collent à la sinistre actualité de Béjaïa qui a connu, successivement, un double féminicide à Feraoune, séisme et drame à la prison de Oued Ghir. Elle est brandie à côté d’une autre qui réaffirme que «Pas de vote, pas de recul. Le combat continue». Le prochain rendez-vous électoral du 12 juin est dans les esprits, qui l’attendent pour rééditer le troisième boycott de suite depuis la présidentielle de décembre 2019. Le mouvement maintient le cap du rejet en continuant à crier «Oulach l’vot» (pas de vote). Le mot d’ordre revient comme cet autre slogan qui est remis sur scène pour rappeler, à travers une pancarte, qu’il n’y a «Pas de dialogue avec el îssaba (le clan)», sauf que le rejet est, cette fois, reformulé sans qu’il y ait en face une offre de dialogue. «Il faut qu’on débatte des perspectives de notre mouvement pour savoir où nous allons», lance, dans un hautparleur, un manifestant sur la placette Saïd Mekbel, où un débat est initié pendant le déroulement de la marche. Le gros de la foule a continué à marcher. Loin devant, sur le boulevard de la Liberté, dans le style de la dérision, et actualité oblige, un manifestant caricature le slogan de «L’Algérie nouvelle» en lui accrochant les emballages de pâtes alimentaires, de l’huile de table et de lait pour nourrisson, des produits qui se font rares sur le marché ou dont les prix ont flambé. «Nous ne sommes pas sortis pour notre ventre, mais pour libérer notre pays», dispose une banderole, tandis qu’une autre repose la revendication tenace d’appliquer les articles 7 et 8 de la Constitution qui donnent le pouvoir au peuple.