Un polar historico-politique en 1556
L’auteure et historienne algérienne Corinne Chevallier, fille de Jacques Chevallier, ancien maire d’Alger, vient de publier un nouvel ouvrage intitulé Prodigieuse fortune chez Casbah Editions Un roman historique, captivant, se déroulant en 1556, à Alger, régentée par l’impérieux règne ottoman.
Après l’essai Les trente premières années de l’Etat d’Alger : 1510-1541 (Office des publications universitaires (OPU), Alger, 1986), Prisonnier de Barberousse, (Hatier, 1992, (ill. par Christine Flament)-Prix du roman historique pour la jeunesse de la ville de Nancy-, La petite fille du Tassili (Éditions Casbah, Alger, 2001), La nuit du corsaire (Éditions Casbah, Alger, 2005, fidèle à son éditeur (Casbah), Corinne Chevallier sort un nouveau roman, historique, dans la même veine, Prodigieuse fortune. Le livre, dédié à la mémoire du regretté Mouloud Achour, est d’emblée précédé d’un avertissement de l’auteure : «On ne saura jamais assez l’étonnante succession d’événements qui ont émaillé, pendant près de trois siècles, l’histoire d’Alger et contribué à ce que Fernand Braudel a pu appeler sa ‘‘Prodigieuse Fortune’’. Ceci est un roman. Mais tout ce qu’il raconte est vrai ou aurait pu l’être, excepté, peutêtre, l’histoire du collier. Et, encore, je n’en suis pas sûre…» Le pitch ? Au milieu du XVIe siècle, la ville d’Alger, protégée par le puissant Empire ottoman, en 1556, une épidémie de peste s’abat sur la ville et la mort du Pacha donne l’occasion aux janissaires de s’opposer au raïs et de se rebeller pour la première fois contre l’autorité de Constantinople. Pendant ce temps, deux religieux espagnols viennent racheter les captifs, une fille publique est assassinée et le mezzouar poursuit inlassablement son enquête sur un étrange collier...
«GAME OF THRONES»
Le personnage central du roman Prodigieuse fortune, de Corine Chevalier, est en fait, Alger, El Djazaïr ou Algel (en espagnol). L’auteure lui rend un hommage appuyé. Cette mer «nourricière», cette baie, cet atout «nageur» qui tempête, tonne et canonne contre les assauts envahisseurs. L’insularité d’Alger est omniprésente. Et c’est une immersion au sein d’El Mahroussa (la gardée, la protégée). Le livre est palpitant, on ne peut le lâcher, tant est-il fluide et attrayant. Corinne Chevallier tisse une intrigue au millimètre près avec un fil… d’Ariane et d’or. Une enquête politico-policière en 1556, sous le règne, la «protection», la Régence de l’Empire ottoman. Une fille publique, une fugitive, est retrouvée morte, égorgée. Le «mezzouar», le limier d’alors, faisant dans l’investigation et le renseignement, va défaire… et trouver le bout du fil… du rasoir – une enquête à la Umberto Eco (Au nom de la rose), et ce, à Alger, qui était à l’époque devenue la plus redoutable des villes neuves de la Méditerranée. De par son essor, son ascension, sa menace, son défi… Elle poursuivait les Espagnols, menaçait les Américains et défiait les flottes chrétiennes qui par trois fois avaient tenté de l’assiéger. Elle s’enrichissait de leurs dépouilles. Alger, Argel, El Djazaïr affichait avec insolence «prodige et fortune». Donc, un polar historique et politique, sur fond d’une plaie, la peste, d’une lutte féroce de succession et autre partage de pouvoir, entre les janissaires et les corsaires, l’abandon de la reconquête d’Oran occupée par les Espagnols, le rachat de captifs chrétiens, les supputations du leadership…
SUJETS MALGRÉ EUX SOUS LES OTTOMANS
Un climat crépusculaire, mortifère où on est à couteaux tirés, ça fomente, ça trame en conciliabule et ça se «rebiffe» contre l’ordre établi ottoman agissant en terrain conquis, une colonie, une colonisation. Les habitants d’El Djazaïr se sentaient sujets malgré eux. Mais ce roman n’est pas tout à fait noir tel un polar. Il brille, il irradie, il tangue, il chaloupe et nous embarque vers la clarté de la tolérance, l’amour, le soufisme, la paix de l’âme… Corinne Chevallier cisèle le récit avec une fidélité historique, sans anachronismes, avec le souci du détail d’une grande crédibilité. Car très documenté. A lire absolument.
Prodigieuse fortune Corinne Chevallier Casbah Editions Mars 2021 245 pages Prix : 850 DA