La Chine est encore loin
La ministre de la Culture, Malika Bendouda, s'apprête à organiser le forum de l'économie culturelle. Une excellente initiative. En théorie. Depuis Azzedine Mihoubi, les officiels ont découvert les concepts d'économie et d'industrie culturelles, pour en user comme stratégie de communication, à défaut de joindre l'acte à la parole. Bendouda, naviguant à vue dans un gouvernement sans perspectives, s'est emparée à son tour de ces concepts pour faire miroiter le changement. Des éléments de langage qui collent au discours de l'Exécutif reproduisant les promesses de «changement de modèle de développement», d'«économie productrice de richesses», etc.
Dans la vraie vie, les deux concepts sont de réels moteurs de développement des nations. En 2014, l'Industrie de la culture et de la création (ICC) en Europe pesait 536 milliards d'euros, soit 4,2% du PIB européen. Ce qui en fait le troisième employeur européen, selon un rapport commandé au bureau Ernest & Young par un groupement de professionnels. En France, pays leader en la matière, les ICC ont généré 91,4 milliards d'euros en 2018. Pas moins de 600 métiers et 300 000 entreprises, associations et organismes publics font tourner cette économie qui emploie 670 000 personnes, soit 2,5% de la population active.
En dehors de l'Occident, l'enjeu économique devient clair pour les Etats ambitieux. C'est le cas en Chine, où à partir du plan quinquennal 2011-2015, Pékin mise sérieusement sur le secteur visant une croissance à deux chiffres et un PIB à 5%. Autre exemple, les Emirats arabes unis cultivent clairement l'ambition de devenir un pôle culturel mondial et dépensent sans compter pour attirer des tournages hollywoodiens ou encore accueillir des répliques du Louvre et du musée Guggenheim. Le retour sur investissement est perçu non seulement dans les chiffres économiques, mais aussi et surtout dans l'accroissement de l'influence mondiale de ces pays, la culture étant un outil de soft power à l'efficacité vérifiée.
L'événement national prévu le 3 avril sera l'occasion de parler. Mais qui va parler ? De quoi va-t-on parler ? Et dans quels objectifs et à quelle vision obéit ce rendez-vous ? Questions légitimes vu que le terrain est loin d'être déblayé. En termes de ressources humaines et d'expertise en matière d'économie culturelle, l'Algérie est un désert aride qui nécessite du temps et d'une transplantation pour devenir fécond. Il a besoin aussi de l'atténuation des archaïsmes et des tabous sociaux pour constituer des marchés florissants, notamment dans le spectacle, et ça, Bendouda l'enseignante de philosophie ne doit pas l'ignorer. Mais par-dessus tous les obstacles connus, c'est la nature de l'Etat même qui empêche le changement. La culture n'est pas près d'arracher une place au podium économique algérien. Ce n'est pas une fatalité, mais il est difficile de miser sur les initiatives du plateau des Anassers.