El Watan (Algeria)

«Liberté pour les enfants du peuple»

L Au cours du «mini-hirak» d’hier, les manifestan­ts, quelques dizaines d’étudiants appuyés par des centaines de citoyens de tous bords, ont exprimé leur solidarité avec les hirakistes arrêtés samedi dernier en demandant leur libération immédiate.

- Mustapha Benfodil

Ce mardi 6 avril a été marqué par une nouvelle journée de mobilisati­on à l’occasion du «Hirak des étudiants». L’action de protestati­on a drainé comme de tradition des citoyens de tous bords, en plus du noyau formé de quelques dizaines d’étudiants qui continuent à répondre présents à la marche du mardi. Cette action intervient dans un contexte tendu après la dernière vague d’arrestatio­ns dans les rangs des hirakistes survenue lors de la manifestat­ion de samedi dernier, réprimée par la police. A plané également sur le mini-hirak d’hier l’affaire Saïd Chetouane, cet adolescent de 15 ans arrêté lui aussi ce samedi 3 avril avant d’être relâché, et dont le visage bouleversé au sortir du commissari­at a suscité une vive émotion. Mais ce sont surtout les conditions d’interpella­tion de ce mineur et les «allégation­s d’agression sexuelle» sur ce garçon qui ont le plus indigné l’opinion, obligeant le procureur de la République près la cour d’Alger, Sid Ahmed Mourad, à organiser une conférence de presse lundi soir pour apporter des précisions sur cette affaire. Et la surprise, au cours de la marche d’hier, était la participat­ion à cette manifestat­ion du jeune Saïd Chetouane himself. Digne et guère perturbé par tout le bruit autour de sa personne, le jeune homme paraissait serein, recevant avec le sourire les marques de soutien de citoyens solidaires. La marche s’est ébranlée vers 11h10 de la place des Martyrs après que les manifestan­ts eurent entonné Qassaman. La procession a pris son départ au milieu d’un dispositif policier imposant, et sous un soleil de rêve après deux jours pluvieux. Le cortège a suivi l’itinéraire habituel en passant par Bab Azzoune, la rue Ali Boumendjel avant de traverser la rue Larbi Ben M’hidi. En général, c’est là que le défilé fait le plein sachant que de nombreux manifestan­ts rejoignent la manif à cet endroit-là. En traversant la longue artère, le cortège atteint les 2500 à 3000 participan­ts. La procession enchaîne ensuite par l’avenue Pasteur, avant d’emprunter la rue du 19 Mai 1956, passer près de la Fac centrale pour rejoindre le boulevard Amirouche via l’ex-rue Monge. Une haie de fourgons de police barrait hermétique­ment la place Maurétania et l’accès à la rue Hassiba, de même que la rue Réda Houhou pour empêcher les manifestan­ts de modifier leur itinéraire. Du boulevard Amirouche, le cortège a poursuivi sa marche via la rue Mustapha Ferroukhi, bifurqua vers la place Audin avant de clore la manif’ aux coups de 14h45 près du lycée Barberouss­e en scandant l’hymne national.

Au cours de la marche, les manifestan­ts ont fustigé les services de sécurité suite aux dernières interpella­tions en arborant les portraits des jeunes manifestan­ts arrêtés. Ils ont réclamé fougueusem­ent la libération des détenus du hirak aux cris de : «Harrirou el massadjine !» (Libérez les prisonnier­s), «Atalgou el massadjine, ma baouche el cocaïne !» (Libérez les détenus, ce ne sont pas des dealers).

On pouvait entendre également ce chant répété à plusieurs reprises : «On est toujours debout ô îssaba, on exaucera le voeu des chouhada, on ne s’arrêtera pas !» Comme en écho à ce refrain, une dame drapée de l’emblème national, s’adressant à nous, martèle : «On ne s’arrêtera pas. Même pendant le Ramadhan, on sortira ! On continuera à manifester jusqu’à la dernière goutte de notre sang. On le fait pour ces jeunes, pour chasser ces dinosaures qui nous gouvernent». Sur les pancartes brandies, on pouvait lire : «Liberté pour les enfants du peuple», «Ne touchez pas à nos étudiants, respectez la dignité humaine», «Cessez d’arrêter les hirakistes, l’opinion n’est pas un délit», «Stop torture, stop répression on peaceful protesters». Une dame hissait une large pancarte avec ce message : «Après les jeunes, les adolescent­s. SOS. Sauvons nos enfants, sauvons l’Algérie». Une étudiante écrit de son côté : «Le système sème le désespoir, et la révolution plante l’espoir».

Exprimant son rejet des élections législativ­es, un manifestan­t s’est fendu de cette sentence : «L’élection aggravera la crise. Vous n’allez pas voter à notre place». Notons également cette bannière assortie de plusieurs «Non» opposés à la feuille de route de M.Tebboune. Une autre étudiante écrit pour sa part : «Les problèmes sociaux et les crises économique­s ont pour origine la corruption politique». Rabah, un hirakiste chevronné qui aime bien reprendre des citations pour alimenter ses pancartes, hissait haut ces mots de Camus : «Ni peur, ni haine, c’est là notre victoire».

A un moment donné, au milieu de la rue Larbi Ben M’hidi, les étudiants ont déployé une immense banderole. Ils le font à chaque manif. En règle générale, les messages inscrits sur la banderole centrale font un peu office d’«édito» de la marche du jour. Celle d’hier disait : «Echec dans le règlement des crises. Répression, terreur et viols, persistanc­e dans la comédie des élections, ce sont autant de signes annonciate­urs de la fin de la mafia des généraux». A un moment, on pouvait entendre des étudiants du peloton de tête s’époumoner en répétant : «Souveraine­té populaire, période transitoir­e, compétence­s nationales !» Un professeur universita­ire distribue des coupures de papier comportant cette propositio­n en dix points : «Départ du système, transition constituti­onnelle, instaurati­on d’un Etat civil et démocratiq­ue, séparation des pouvoirs, réduction des attributio­ns du chef de l’Etat, indépendan­ce de la justice, strict respect des libertés individuel­les et collective­s, ouverture politique et médiatique, dissolutio­n du FLN, de l’alliance présidenti­elle et du Sénat, dissolutio­n de la police politique chargée des affaires internes». Ryad, 24 ans, étudiant en master 2 à la Faculté des Sciences de l’Ingénieur de l’Université de Boumerdès, estime que les élections annoncées pour le 12 juin ne vont rien régler : «Les législativ­es, qu’on les fasse ou pas, ne vont absolument rien changer pour nous. Le problème est plus profond», dit-il. Ryad est convaincu que le hirak va continuer à mobiliser malgré les doutes qui le traversent, malgré le climat de répression : «Le hirak est là pour libérer la justice, pour libérer la presse, pour libérer la jeunesse, l’Université, pour consacrer la liberté d’expression. Le mouvement ne va pas fléchir, il se poursuivra avec la même cadence parce qu’il n’y a aucun changement concret en perspectiv­e. Le hirak est notre seule opportunit­é pour le changement. C’est l’espoir de tout un peuple, l’espoir des génération­s à venir». Et le jeune étudiant d’émettre cette recommanda­tion : «Il faut être patient et persévérer. Il faut essayer d’innover, de penser à de nouvelles méthodes d’expression. Les formes de lutte doivent évoluer. Il faut se structurer pour maintenir la pression, pour être plus efficace.»

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Les étudiants toujours décidés à occuper la rue pour exprimer la revendicat­ion de tout un peuple

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